FU - OH ROMEO, WHY ARE YOU ROMEO | ZIGVY

Est-ce qu’on m’en voudra beaucoup si je viens à rater le spectacle de l’école ? Parce que je n’aime pas les spectacles et en plus, cette école, ça ne fait que quelques mois que j’y suis et parfois, j’ai l’impression que les autres élèves me regardent comme-ci j’étais un alien débarqué d’une autre planète. Alors être sur scène devant toute l’école qui me dévisage car ma ressemblance avec E.T. doit n’échapper qu’à moi, ça m’angoisse. Beaucoup. C’est pour ça, d’ailleurs, que je n’ose pas quitter les toilettes et que je reste planté là, à attendre que le temps passe ou que le courage ne vienne, à observer la porte en bois qui trône devant moi et où quelques gravures enfantines siègent, annonçant à tous les lecteurs curieux, que Nick est secrètement amoureux de Maddie. Je me tortille légèrement, essayant de trouver une position adéquate pour patienter. La cuvette n’a rien d’agréable, mais je suis prêt à sacrifier mon confort si ça me permet d’éviter un évanouissement presque certain quand j’aurais posé un pied sur l’estrade. Je ne veux pas jouer cette pièce. En aucune façon. Même si mon rôle est secondaire, voire même inutile, puisque j’ai été relayé au rang de pommier et que, tout le monde le sait, on s’en fiche de l’arbre au fond de la salle qui n’est là que pendant dix minutes. Mais c’est déjà trop long pour moi. Et oui, c’est complètement idiot d’avoir choisi l’option théâtre, mais je n’ai pas vraiment eu le choix. Je voulais faire de la musique, moi, mais j’ai raté les inscriptions et j’ai paniqué. J’ai pris le premier choix qui s’offrait à moi, en me disant que ça ne pourrait pas être si terrible que ça et finalement, c’est bien pire ! Si mes parents ont accueilli cette nouvelle avec joie, moi, je suis allé à tous les cours à reculons, tentant de me faire le plus petit possible à chaque fois. J’espérais qu’on finisse par m’oublier, mais ça n’a pas réellement.
Des coups donnés contre le mur me sortent de mes pensées et c’est la voix mi-inquiète, mi-amusée, de Lula qui parvient à mes oreilles. « Zig-Zag, tu es là ? » Devenu mon surnom officiel, Lula est l’une des rares personnes, peut-être même la seule en fait, par ne jamais m’appeler par mon prénom. « Non. » Que je réponds, avant de plaquer mes deux mains sur ma bouche en grimaçant devant ma bêtise. Idiot ! Un petit rire s’échappe de sa bouche et je m’avoue vaincu. Je tourne la serrure avant de m’extirper de ma cachette en soufflant. Ça va être la pire soirée de ma vie.

Lula a réussi à me convaincre. Je ne sais pas comment elle a fait, mais je pense que cette fille à des supers-pouvoirs. Je n’ai pas encore percé son secret, on ne se connaît pas assez pour ça, mais je trouverais. Et j’arrive pile à l’heure dans les coulisses, armé de mon costume que je vais regretter de porter. Celle que je considère comme ma meilleure amie ose me dire que je suis, je cite ‘A-DO-RA-BLE’ dedans, mais je n’en crois pas un mot. Je lui tire la langue, croisant les bras sur mon torse tronc, tandis qu’elle s’éloigne déjà pour retrouver ses parents dans la salle. Je veux me terrer dans un trou et ne plus jamais en sortir.
Tout le monde s’active autour de moi et la peur va finir par avoir raison de moi. Je commence les quelques exercices de respirations que l’une de nos professeurs nous a appris quand l’un de mes camarades m’annonce que Madame Elibeth veut me voir. U.G.H. Je traîne des pieds jusqu’à trouver celle qui me demande, et avant que je n’ai pu poser la moindre question, une petite blonde me rejoint. Elle semble être là pour les mêmes raisons que moi et m’adresse un signe de la main tout en me saluant. Je rentre ma tête dans mes épaules, ne souhaitant plus qu’une chose : disparaître. Mais je suis poli, alors je lui réponds dans un petit sourire. « Salut, Ivy. » Mais pas le temps d’échanger plus longtemps, notre professeure prend la parole et nous annonce, de but en blanc, que notre Romeo et notre Juliette sont tous les deux absents et que, par la barbe de Merlin, nous sommes les seuls à pouvoir les remplacer. « Quoi ?! » Ma mâchoire est si grande ouverte qu’elle pourrait se décrocher. « Im… impossible. On n’a pas les bons costumes… » Oui, voilà. Romeo n’était pas un arbre, on va devoir annuler la pièce, c’est dommage, mais ça me convient très bien. Mais c’est trop beau rêver. « Nous avons des costumes de rechanges et ils vont iront à la perfection. Tenez. » Dit-elle en nous tendant nos nouvelles tenues. « Allez vous changer, on commence dans dix minutes ! » Je vais m’évanouir. Et sans doute vomir en même temps. Je ne veux pas être sur le devant de la scène. Et en plus, tout le monde risque de se moquer de moi à cause de mon accent…

C’est un cauchemar. Un véritable cauchemar, sauf que je n’ai aucun moyen de me réveiller. Je savais que j’aurais dû rester cacher dans les toilettes pour l’éternité. Là-bas, j’aurais été en sécurité. Après tout, ce n’est pas comme ci un troll des montagnes allait y surgir, et en réfléchissant bien, je crois que j’aurais préféré me trouver nez à nez avec un troll plutôt que de monter sur scène ce soir. Et maintenant que je suis condamné à jouer le rôle de Romeo, c’est pire. Et je n’ai même pas le temps de retourner faire mon trouillard en m’enfermant de nouveau loin, très loin d’ici. Puis de toute façon, je n’arriverais pas à courir dans ce maudit costume d’arbre, c’est à peine si j’arrive à marcher normalement. Mais je préfère être ridicule en arrière-plan que ridicule et sous les projecteurs. Je n’ai pas répété pour ce rôle et si je me trompe, tout le monde se moquera de moi. Malheureusement, Madame Elibeth n’en démord pas et tient absolument à ce qu’on remplace les deux malades. Une sorcière m’a maudit à la naissance, ce n’est pas possible. Je regarde notre professeure de théâtre, avec des yeux de chaton blessé, mais elle agite ses mains dans notre direction pour qu’on déguerpisse le plancher et qu’on aille se changer. SU-PER. Je regarde Ivy d’un air désolé avant de m’éclipser dans les loges destinées aux garçons pour me changer. Mon costume d’arbre troqué pour celui du Montaigu, je m’observe dans le miroir, non sans un sourire de dégoût en découvrant mon reflet. J’ai vraiment l’air stupide dans cette tenue bien trop grand pour moi. Mais je n’ai pas le temps de me soucier plus longtemps de mon style qu’on toque à la porte, la voix de notre professeure s’élevant de l’autre côté et m’intimant de me presser. « J’arrive… » Je grommelle entre mes dents, réajustant mon costume sur ma taille. Je ne peux plus faire marche arrière.

Je rejoins les coulisses en serrant et desserrant mon poing autour de mon masque, espérant que ce geste répétitif me permettra de me détendre, mais je n’obtiens que l’effet contraire. Je fais les cent pas derrière l’immense rideau noir, observant du coin de l’œil les adultes courir dans tous les sens pour terminer de tout mettre en place pour le spectacle. Je suis bientôt rejoint par Ivy qui tremble comme une feuille. « Tu..tu es prêt ? » Je secoue la tête de droite à gauche, n’osant à peine la regarder. Comment pourrais-je l’être ? « Et toi ? » Mais vu son état, je connais déjà la réponse. « J’ai peur… Je vais être ridicule… J’ai peur d’oublier mon texte… » Je décide finalement de me tourner vers elle, l’observant de haut en bas, détaillant les traits de son visage apeuré. Je pose une main tremblante sur son épaule, essayant du mieux possible de camoufler ma propre peur et ainsi la rassurer. « Je suis sûr que… » Je prends une profonde respiration. « Que tu seras parfaite… » Je lui souris et retire ma main de son épaule au moment où Madame Elibeth revient vers nous en s’écriant que nous sommes beaux. Bah voyons. « Les enfants il est l’heure d’entrer en scène ! » Elle frappe dans ses mains, tout sourire, plus excitée que jamais. Et moi ? J’ai la douloureuse impression que mes jambes vont me lâcher.

Le rideau encore fermé, j’entre sur scène, tremblant. Une voix s’élève, présentant la pièce de ce soir et mon cœur se serre. Il ne me reste qu’une petite minute avant le grand plongeon. Derrière moi, un décor représentant l’entrée de la demeure des Capulet, préparé avec soin en cours d’art, puis, à mes côtés, Cody – qui joue Mercutio – et Liam – qui interprète Benvolio – se tiennent bien droit et semble sereins. J’aimerais avoir la même confiance qu’eux ou au moins être capable de faire semblant de l’être. Mais la voix se tait et le rideau s’ouvre sur nous sous les applaudissements de nos parents. Je fais abstraction à la foule bien trop nombreuse et me tourne vers Cody qui vient de prendre la parole. « Allons, Romeo, il faut que tu viennes danser. » Je secoue la tête de droite à gauche, et d’un ton las, répond. « Hélas, j'ai comme des semelles de plomb qui m'attachent à la terre... Je n'en ai pas envie ! » Mes deux camarades jouent le jeu à la perfection et si nous n’étions pas dans un rôle, je pourrais presque croire à leur agacement. « Ami, voici plus d'une heure que nous essayons de te convaincre. Nous finirons par être en retard ! Viens, je t'en supplie. » Et je finis par céder, ou plutôt Romeo cède et accepte de se rendre au bal donné par ses pires ennemis. « Vous m'importunez tellement que je ne puis vous faire taire qu'en vous cédant. Mais, pour tout dire, je crains qu'il n'arrive là-bas quelque chose que je ne pourrai pas maîtriser. C'est une sorte de pressentiment. » « Prenons soin de mettre nos masques... En tant que Montaigu, nous ne devons pas être reconnus. » Et nous portons tous les trois les loups que nous tenons entre nos mains sur nos visages. La densité des lumières diminue, le temps de changer les décors pour quelque chose de plus festif et une musique venant d’une autre époque résonne dans la salle. Désignant, d’un mouvement de tête les coulisses, là où Ivy devra faire son apparition dans quelques minutes, je reprends la parole : « Quelle est cette dame là-bas qui danse avec un cavalier vêtu de vert. Sa beauté fait pâlir l'éclat des torches. Elle est comme un diamant effaçant le scintillement des pierres précieuses qui l'entourent. Quand la danse sera finie, je partirai à sa recherche... Il me semble que ce que j'attendais, je le trouve tout à coup. » Cody pose une main sur mon bras, m’obligeant à lui faire face. « Vraiment, Romeo, te voilà bien pressé. Calme-toi ! » Je fais semblant de m’offusquer, me retirant de sa poigne. « Me calmer ?! Jusqu'ici, je ne savais pas ce que c'était que l'amour. Mais... Ma grossière main sera bénie si j'arrive à toucher la sienne. Oui vraiment, jamais avant cette nuit je n'avais vu de vraie beauté... Approchons-nous. »

Alors que j’avance de quelques pas sur la scène, c’est au tour d’Ivy de faire son apparition, ainsi que quelques-uns de nos camarades, désignés comme danseurs. Après tout, à un bal, on danse. Et malheureusement pour moi, Roméo et Juliette aussi. Je m’approche donc de ma camarade et, une fois en face d’elle, je m’abaisse dans une révérence un peu maladroite et tend ma main dans sa direction. « Ma dame, m’accorderez-vous cette danse ? »