We're running in circles, we're falling apart. (Carson, Avie & Mr. West)

 « Répète un peu plus fort, Mike. Je n'ai pas entendu. » Ma voix claque comme un fouet, résonnant entre les quatre murs de la pièce. « Le gamin et la gonzesse ont réussi à s'échapper, patron. Ils sont repartis avec les documents. » Mon dos se raidit soudainement et ma tête pivote d'un tiers, mon regard fouillant le visage de mon homme de main. Sa posture est rigide, ses mains dissimulées dans ses poches. Et ses yeux me fuient, parce qu'il est terrifié. Il a bien raison. Parce que je ne suis absolument pas de bonne humeur.  « J'espère que c'est une putain de blague. » je siffle, froidement. Avant de me redresser dans mon fauteuil, posant délicatement mes bras sur les accoudoirs.  « Est-ce qu'il faut tout faire soi-même ici pour espérer obtenir des résultats ? » Puis je hausse un sourcil, l'observant de haut en bas avec un air exaspéré. « Il semblerait que oui, apparemment. » Puis je fais un geste de la main pour le congédier mais il ne semble pas disposé à bouger.  « Dégage de ma vue. Tout de suite. » je gronde, envoyant valser tout ce qui se trouve sur mon bureau d'un revers de bras, à la minute où la porte claque. Je n'avais rien. Strictement rien. La gamine était là depuis un certain temps et ces foutus papiers n'étaient toujours pas en ma possession. Ses parents étaient trop honnêtes pour suivre les ordres et son frère n'était même pas capable de ramener des dossiers sans rameuter des témoins. C'était un fiasco et j'allais devoir réparer les erreurs de tout le monde par mes propres moyens si je voulais atteindre mon but. Parce que je ne comptais pas en rester là. Et j'allais avoir besoin de rendre une petite visite à Miss Walters si je voulais poursuivre mes objectifs, comme prévu. En espérant qu'elle soit plus coopérative qu'à ses débuts.

Mes chaussures résonnent dans le sous-sol et je sens le bas de ma veste claquer contre mes jambes à chaque pas. En tournant sur ma gauche, j'aperçois la silhouette de mon fils qui traîne non loin du couloir où se trouvent les quelques cellules, parfois utilisés pour les nuisibles dans le genre de cette fille.  « Ah, Carson. Tu tombes très bien. » je lâche, avant de presser furtivement son épaule. « Avalon et moi allons avoir une petite conversation. » Je joue des épaules pour essayer de détendre la tension qui s'y est logée depuis les aveux de mon employé. Et je retenais l'agacement qui serpentait dans le creux de mon corps, prenant de profondes inspirations pour m'exhorter au calme. « Tu viens avec moi. » Ce n'était pas une proposition. J'avais besoin de lui et il allait pouvoir m'être utile si jamais les choses ne tournaient pas à mon avantage. Parce que j'avais eu le temps de cogiter, sur le chemin. Et j'avais élaboré différentes options, qui reposaient la plupart sur les éléments que pourrait me fournir la jeune femme. J'interpelle des gardes pour se poster de part et d'autre de l'entrée, avant de toquer à la lourde porte métallique qui renferme sa geôle. Puis j'entre, mon garçon à ma suite, époussetant mon trench en coton noir. « Bonjour, Miss Walters. » je souffle, avec un sourire narquois. « La pièce est-elle toujours à votre goût ? » je l'interroge, avant de faire quelques pas dans l'espace bétonné. Pivotant sur moi-même pour lui faire face à nouveau, glissant nonchalamment mes mains dans les poches de mon manteau. « Votre famille ne me facilite pas vraiment la tâche. Et ça commence sérieusement à me taper sur les nerfs, Avalon. » J'ai retrouvé ma froideur habituelle et j'espère qu'elle est suffisamment intelligente pour comprendre que ce n'est pas le moment de venir m'affronter.

Des jours qu’elle était là. Prisonnière d’une cellule bétonnée, qui n’avait rien de chaleureux. Elle était à la fois toute proche et hors de portée. Pantin parfait dans le jeu machiavélique de mon paternel. Si j’étais au courant de ses méthodes douteuses, celle-ci était probablement celle dont j’avais le plus horreur. Détenir une personne, qui était d’autant plus celle que j’aimais, me donnait envie de vomir. Je l’avais regardée parfois, sur les écrans de contrôle. Sans avoir le courage d’aller la voir plus que quelques fois. Elle me détestait sûrement tellement fort que je ne voulais pas lui imposer ma présence. Pourtant j’aurais eu tellement de choses à lui dire. Combien j’étais désolé. Combien j’aurais aimé faire de meilleurs choix. Ne jamais avoir à l’impliquer dans une telle histoire dans laquelle elle n’avait pourtant aucun rôle, si ce n’est d’être trop curieuse. Mais pouvait-on vraiment en vouloir à quelqu’un pour ça ? Il avait pour plan de récupérer des précieux papiers. Des dossiers, des recherches qu’elle avait faites, toutes les preuves qui pourraient le faire tomber, en l’utilisant comme monnaie d’échange. Je me demandais sincèrement jusqu’où il serait capable d’aller pour sauver ses petites affaires. Si j’étais au courant d’une partie de son plan, j’étais persuadé de ne pas tout savoir. Il fallait bien dire qu’il ne se ressemblait plus ces derniers temps. Toujours à cran. Encore plus mordant et froid qu’à son habitude. D’autant plus qu’il paraissait que son petit plan, n’avait pas aussi bien fonctionné qu’il l’avait prévu. L’échange avait été un profond fiasco et il fallait que je sois vigilant. Pour Avalon. C’était le moins que je puisse faire. Dieu seul savait ce que la colère de mon géniteur pouvait bien engendrer.

J’étais alors descendu dans les sous-sol, pour vérifier que tout était ok. Simplement passer un œil vers la cellule pour m’assurer qu’elle allait encore bien. Enfin, aussi bien que quelqu’un qui était privé de liberté. Au fond, j’aurais voulu que l’échange se passe comme prévu. Il aurait brûlé ces putains de dossiers et elle aurait pu retrouver sa famille. Je ne l’aurais peut-être plus jamais revue, mais au moins, j’aurais eu la certitude qu’elle était en sécurité. Alors que j’empruntais le couloir de sortie, je croisais le chemin de mon père, dont les pas résonnaient puissamment sur le béton. Ses traits étaient durs et fermes. Autant que la poigne qu’il venait de poser sur mon épaule. « C’est à propos du désagrément ? » Je réponds, toujours partagé entre l’envie de hurler, et celle de me soumettre au regard oppressant de mon paternel. « Je… Bien… » Je souffle, en comprenant que ce n’était pas une requête, mais bien un ordre et que je n’allais pas avoir le choix que de le suivre. Je le suis, les mains dans les poches de mon bombers noir. Trop vite nous atteignons sa cellule et celle-ci s’ouvre dans un grincement qui me fait froncer les sourcils. Je me place dans son dos, statique, posant un regard presque triste sur Avalon, qui semblait sans force et tellement vulnérable entre ces murs infâmes et froids. Elle n’avait pratiquement rien avalé, et le sommeil lui aussi semblait aux abonnés absent, au vu de la fatigue qui habitait ses traits. J’aurais voulu faire n’importe quoi pour la sortir de là, quitte à aller chercher ce foutu dossier moi-même. Cependant, je suis coincé. Et le ton froid de mon père ne me dit absolument rien qui vaille. Si elle ne coopérait pas, je craignais ce qui allait se produire, ainsi que ma réaction.

Enfermée entre ces quatre murs dénués de tout, j’avais fini par perdre le fil du temps, par être presque incapable de savoir quand le soleil se levait ou se couchait. Et plus le temps passait, plus j’avais l’impression de devenir folle. J’essayais de me raccrocher à des choses parfois futiles, au moindre petits détails que je pouvais apercevoir quand on ouvrait les portes de ma cage, à la confiance aveugle que j’avais en mes parents et à tous les efforts qu’ils devaient faire pour me sortir de là. Mais parfois, ça ne suffisait pas. Parfois, j’avais le coeur gros et la mort dans l’âme. Parfois, je sentais l’espoir s’amenuiser et toute envie de me montrer forte disparaître. J’étais épuisée. Je voulais que tout ça cesse une bonne fois pour toute, à tel point que, des fois, j’espérais secrètement que mes parents finissent par céder au chantage. Je voulais rentrer chez moi, serrer ma famille dans mes bras, leur dire à quel point j’étais désolée d’avoir merdé à ce point et de les avoir inquiété. Et June me manquait, terriblement. Je n’avais jamais été séparé aussi longtemps de ma jumelle et j’avais l’impression qu’il me manquait une partie de mon âme. J’aurais tout donné pour entendre le son de sa voix, rien que quelques minutes, pour puiser dans son courage. Mais j’étais seule. Terriblement seule. Les visites de mon geôlier étaient rares et celles de son fils me donnaient envie de vomir. Au final, je préférais encore la solitude à leur présence, à tous les deux.

Mais des bruits de pas se font entendre, puis la poignée de ma prison s’abaisse, la porte finissant par s’ouvrir pour dévoiler la silhouette du père et du fils West. Je ne prends même pas la peine de me redresser, restant assise par terre, les genoux remontés contre ma poitrine. Je n’avais pas la force de quoi que ce soit aujourd’hui. Ça faisait plusieurs jours que je refusais catégoriquement d’avaler la nourriture qu’on me servait et je peinais sincèrement à trouver le sommeil. Mon corps me semblait n’être qu’un poids mort vidé de toute son énergie. Pourtant, je me sens obligé de soutenir son regard, juste pour lui prouver que j’étais encore là et que je n’avais pas l’intention de me laisser faire. « Je vous enverrais le lien de mon avis sur Tripadvisor, ne vous inquiétez pas. » je réponds, sarcastique, avant de prendre, finalement, la décision de me relever. Je m’appuie sur le mur pour garder l’équilibre et m’aider à me remettre sur mes deux jambes, évitant soigneusement de croiser le regard de Carson. Je ne voulais plus qu’il existe à mes yeux, je voulais l’effacer de ma mémoire, définitivement, et l’ignorer me semblait être le meilleur moyen pour y parvenir. « Ah bon ? » je demande innocemment, alors qu’un léger sourire étire mes lèvres. « Effectivement, ça doit être très fâcheux… » je poursuis en haussant les épaules. « Mais il me semble que je vous avais prévenu… » La nuit où tout a commencé, je lui avais fait part du fond de ma pensée, mais, bien évidemment, il ne m’avait pas cru. Pourtant je savais que mes parents étaient bien trop droit dans leur basket pour tenter tout et n’importe quoi pour me tirer d’affaire. Et si ils n’avaient pas foncé dans le tas, c’est qu’ils avaient un plan, une solution pour venir me chercher et le foutre en taule, lui, sa famille et tous ses petits toutous. Et je sens que cette perspective me redonne suffisamment de force et d’aplomb pour les minutes qui vont suivre.

« Il me faut ces documents, Carson. Et si ses parents ne sont pas capables de me les fournir, je vais trouver un autre moyen. » je murmure, glacial. Les choses étaient loin de se dérouler comme je l'avais prévu et ça avait le don de m'irriter. Pourtant, ma demande était relativement simplement. Je voulais qu'ils trouvent les dossiers concernant mes petites affaires et qu'ils les fassent disparaître de leur base de donnée. Je voulais savoir ce qu'ils détenaient pour avoir de l'avance. Parce qu'ils en avaient, j'en étais certain. Ils ne disposaient pas de suffisamment de preuves pour m'inculper de quoi que ce soit mais je préférais être prudent. Sauf que les Walters n'étaient pas vraiment coopératifs. Alors j'allais avoir une petite conversation avec leur fille, histoire de leur rappeler qu'ils n'avaient pas le choix d'accéder à ma requête s'ils voulaient la récupérer. Je presse l'épaule de Carson et nous nous dirigeons vers la cellule de la jeune femme, nos pas résonnant sur le sol. Deux de mes hommes se postent de part et d'autre de la porte et nous entrons, l'un après l'autre. Mes yeux effleurent sa silhouette recroquevillée sur le sol avant de croiser son regard. Son visage avait perdu de ses couleurs et ses joues s'étaient légèrement creusées. « À la bonne heure. Il ne faudrait pas qu'ils croient qu'on vous maltraite, Miss Walters. » je souffle, avec un petit rictus narquois. Avant de la voir se relever, les mains toujours enfoncées dans les poches de ma veste. Elle vacille et je lorgne à peine sur le plateau délaissé dans un coin. Si elle ne voulait pas manger, c'était son problème. J'allais lui faire avaler de force si nécessaire, parce que morte, elle ne m'était plus d'aucune utilité. J'en viens à la raison de ma petite visite et je sens ma bouche tressauter d'agacement, au sourire qui étire légèrement la sienne. Effectivement, ça doit être très fâcheux. J'arque un sourcil, mes doigts remuant dans leur prison de tissu. « Ça l'est. » je murmure, froidement. Mais il me semble que je vous avais prévenu. En effet. Et ça m'irritait. Profondément. Mais mes traits restent aussi impassibles que d'habitude et je fais quelques pas en avant, dans sa direction. J'avais eu le temps de cogiter, de trouver d'autres variantes, d'élaborer différentes stratégie. De plus, j'avais d'autres possibilités. « J'ai sous-estimé vos parents et je ne ferai plus la même erreur. » je reprends, mes lèvres s'élargissant en un cruel sourire. Quelques secondes de satisfaction avant d'asséner un autre coup, de plonger la lame plus profondément dans les blessures. « Mais peut-être que Neven saura se montrer plus coopératif ? » je l'interroge, mon coeur battant d'anticipation dans ma poitrine. Je voulais voir la colère se déployer dans ses yeux. Enflammer ses iris et déformer son joli minois. « Il semblerait qu'il soit d'une loyauté à toute épreuve. » Il avait tout du garçon dont le tempérament le pousserait à faire n'importe quoi pour sauver sa soeur, quitte à outrepasser la loi. Je voulais qu'elle se perde dans le doute, qu'elle se pose des questions. Et je comptais sur ce fait pour parvenir à mes fins. « Je suis certain qu'il serait plus disposé à me rendre ce service. » je susurre, les yeux brillants d'une lueur mauvaise. « Vous n'êtes pas d'accord avec moi, Avalon ? » Je me redresse, rempli d'une profonde satisfaction en apercevant sa réaction. « Jusqu'où serait-il prêt à aller pour retrouver sa grande soeur chérie ? »

Il insistait sur les mots. Je pouvais percevoir, dans le ton de sa voix, l’impatience, la colère et l’agacement. Son regard contrarié me donnait des frissons dans le dos, sans même m’y être attardé plus de quelques secondes. Mon père n’était pas un homme à qui l’on pouvait refuser quelque chose. Il ne se laissait jamais dicter quoi que ce soit, c’était lui qui donnait les ordres. Lui qui savait toujours mieux que tout le monde se défaire d’une situation périlleuse, même si ça impliquait l’emploi de moyen illégaux. « Que vas-tu faire ? » Tentais-je. Si jusque-là, une demande aussi simple avait échoué, qu’allait-il bien pouvoir trouver pour se sortir de ce pétrin dans lequel je nous avais tous mis ? Parce qu’au fond, j’étais bien le seul fautif. Je n’avais pas su protéger ma famille, puisque celle qui s’avérait être la personne dont j’étais tombé amoureux, était aussi celle qui savait presque tout de ce qui pouvait bien se dérouler sur le port. Elle savait. Elle avait toute les preuves. Preuves qui l’avaient menée ici, dans cette cellule, avec à peine de lumière pour savoir encore discerner le jour de la nuit, avec rien que le chagrin et sûrement la colère qui l’habitait. Plus les jours avaient passé plus mon choix me torturais. J’aurais dû faire quelque chose. Empêcher tout cela. Prendre sa défense le jour-même. Mettre fin à ce petit jeu duquel nous étions et serions probablement les grands perdants. Il n’y avait aucune chance pour que ça se termine bien. Elle m’aurait peut-être détesté pour qui j’étais, mais au moins, je n’aurais pas brisé son cœur comme j’avais pu le faire l’autre soir. Je comprends seulement en entrant dans sa cellule, ce que mon ignorance avait bien pu provoquer en elle. Elle ne m’adresse pas un regard, par même un bref coup d’œil, rien, et ça me fait quelque chose. Au moins, si elle me jetait de nombreux regard haineux, elle me regardait quand même. A ses yeux, j’étais devenu invisible. Tout autour de nous trois était sombre et froid, tandis que je restais en arrière, écoutant la voix tranchante de mon père s’adonner à ce qu’il maitrise, les joutes verbales. Sa prisonnière, n’avait pas sa langue dans sa poche, ni même un tempérament calme et docile. C’était sûrement ce qu’il préférait. Une adversaire à sa portée. Lorsqu’il évoque la famille d’Avalon, je sais parfaitement ce qu’il cherche à faire et ça ne me plais pas. Le petit frère de la brune était une tête brûlée, qui ferait n’importe quoi pour sa famille. C’était toucher en plein dans le mille. Son ton n’avait rien de rassurant. D’ordinaire, quand il utilisait une voix pareille, je fuyais aussi rapidement que possible. Je craignais la colère de mon père, plus que mon paternel lui-même. Je ne voulais pas être ici, celle qui nous faisait face avec une détermination qui forçait l’admiration, ne le voulait sûrement pas non plus. Mais avions-nous le choix ? Je les observe pendant un instant, avant que des yeux familiers se tournent vers moi, un sourire fin, mais déterminé sur le visage. « Père ? » Je demande, essayant de camoufler ce ton surpris et incertain qui a pris place dans mes mots. Que me réservait-il, à moi aussi ?

Savoir que ses plans tombaient, les uns après les autres, à l’eau me redonnaient suffisamment de courage pour l’affronter, lui et son fils. Je n’avais jamais douté de mes parents, même après autant de jours enfermés. Ou peut-être que si, le doute m’avait assailli une ou deux fois, mais n’avait jamais duré plus de quelques secondes. Mes parents avaient mon entière confiance et je savais qu’ils feraient tout ce qui leur seraient possible de faire pour me sortir d’ici. J’étais prête à attendre aussi longtemps que nécessaire pour qu’ils le fassent sans avoir besoin de trahir leur conviction ou de se retrouver avec un blâme de la part de leur supérieur. J’allais tenir bon. Même si les jours devenaient de plus en plus difficiles, même si je sentais mes forces s’amenuiser au fil du temps. Mes parents avaient vécu des atrocités bien pire que celles qui m’étaient infligées et ils étaient pourtant encore debout. Mes sourcils se fronce à sa réflexion et je l’observe, sans rien dire, en essayant de deviner ses intentions. Parce qu’il en avait forcément. Il avait forcément une idée derrière la tête, un nouveau moyen de pression pour tenter de parvenir à ses fins. Et je sens mon coeur se serrer dans ma poitrine à l’entente du prénom de mon petit frère. Non… Il n’allait pas oser ? Mes poings se serrent et je sens la colère se mettre à bouillir dans mon esprit. « Laissez-le en dehors de ça ! » Je connaissais mon frère, je savais pertinemment comment il allait réagir si cet enfoiré le trouvait et lui donnait des ordres. Il allait obéir, en espérant bien faire, en n’ayant en visuelle que l’optique de me venir en aide. Parce qu’il était encore trop manipulable, trop naïf et que sa relation avec nos parents étaient en dent de scie depuis suffisamment longtemps pour qu’il souhaite garder ça pour lui. Les larmes me montent instantanément aux yeux et l’idée même de savoir Neven entre leurs griffes me rend malade. Il serait prêt à tout, pour me retrouver. Il suffisait de voir comment il avait réagit pour protéger Tamsin et c’est ce qui me faisait le plus peur. Il avait hérité du caractère de nos deux parents, mais surtout de leur immense sens du sacrifice. Je refusais que la vie de mon petit frère soit mise en danger ou pire encore à cause de moi. Et je crois qu’un truc explose au fond de moi. Je déraille complètement, la colère prenant le pas sur tous les autres sentiments et je me rue dans sa direction, l’âme au bord du précipice. Mes poings viennent frapper contre son torse, encore et encore, dans l’espoir de le faire mal, mais en vain. Mes mouvements sont d’une lenteur accablante, aussi violents qu’une caresse. Puis je m’effondre devant lui, misérable, le coeur en miette, le visage strié de larmes et le corps prit de soubresauts. « Ne lui faites pas de mal… Pitié… » je supplie, la voix tremblante. Je ne m’en remettrais jamais, si il lui arrivait quoi que ce soit. Aucun de nous.

Il me faut de longues secondes pour calmer les battements de mon coeur et sécher mes larmes. De longues secondes pendant lesquelles je me suis excusée, silencieusement, auprès de ma famille pour ce que ma curiosité était en train de leur faire vivre. Et quand je reprends un semblant de mes esprits, je surprend le regard de West vers son fils et ce sourire que je pourrais maintenant reconnaître entre mille, pareil à celui d’un charognard.

Et pour la première fois depuis que je suis enfermée ici, j’ai peur. La vraie, celle qui t’empêche de réfléchir, qui te paralyse jusqu’aux entrailles.

Je n'aimais pas la tournure que prenait cette opération. Ce qui s'avérait d'une simplicité enfantine à la base, se trouvait parsemé d'embûches qui ne me plaisaient absolument pas. J'avais imaginé que les deux agents allaient sagement obéir et me fournir ce dont j'avais besoin sans discuter, afin de récupérer leur précieuse enfant. Mais ils ne semblaient pas disposés à agir et je commençais à m'impatienter. Il semblait que leur droiture posait problème et ça allait à l'encontre de mes plans. J'avais besoin de ces documents pour les détruire, pour effacer les informations qu'ils possédaient et me protéger. Je ne voulais pas avoir travaillé des années pour rien, pour être menotté et voir mon empire s'écrouler sous mes yeux. Et ce que j'appréciais encore moins, c'était la lueur de satisfaction qui luisait dans le regard de la jeune femme. Cette fierté. Comme si c'était la seule et unique option à laquelle je devais me résoudre pour obtenir ces foutus papiers. Alors que j'avais eu suffisamment de temps pour élaborer d'autres variantes, dans le cas où celle-ci serait un échec. Et j'avais bien fait de prévenir le pire parce que je savais de quel côté me tourner désormais. Laissez-le en dehors de ça ! Un sourire étire mes lèvres et je vois son visage se décomposer petit à petit. Parce qu'elle savait de quel bois était fait son frère, à quel point sa loyauté envers les siens dépassait son instinct de protection. Et c'était sur ce point précis que je comptais appuyer pour acquérir mon bien.

Un rire m'échappe quand elle s'approche, ses poings tapant contre mon torse, avec la force d'un nouveau-né. Avant de la voir s'effondrer sur le sol, misérablement. « Il ne tient qu'à lui de me remettre docilement le dossier et aucun mal ne lui sera fait. Je sais être magnanime, Miss Walters. Mais j'obtiens toujours ce que je veux. » je souffle, en me penchant doucement en avant. Puis je recule avant de jeter un oeil à Carson, lui intimant de se rapprocher. « De plus, il se trouve que j'ai promis à vos parents de leur transmettre une petite preuve de votre présence parmi nous. Histoire de leur montrer que je traite toujours mes invités avec le plus grand des égards. » je susurre, les bras dans le dos. Avant de faire un signe de la main aux hommes qui gardent la porte de la cellule. « Mettez-la sur la chaise. » Puis je reprends le fil de la conversation. « Je vous conseille de ne pas chercher à vous relever, Avalon, sinon je me verrais contraint de vous y attacher. » Ma voix ne hausse pas d'un ton, toujours froide et soigneusement venimeuse. « Peut-être qu'ils se décideront finalement à coopérer. Qui sait ? » Je retiens à peine un ricanement avant de me décaler sur le côté, les observant la soulever pour la glisser sur le siège. Puis l'un d'entre eux sort le trépied et la caméra du sac, rapidement installés à quelques mètres devant elle. J'approche, glissant une main sur l'épaule de mon fils pour l'attirer à ma suite, dans la direction de notre prisonnière. Ma main plonge dans la poche intérieure de ma veste, extirpant mon revolver soigneusement lustré. « Carson, tu vas pointer ceci sur la tempe de notre charmante détenue. » je souffle, d'un ton qui ne souffre aucune réplique. « Histoire de lui faire comprendre que ce n'est que dans son intérêt de faire un joli sourire à la caméra et d'expliquer à ses tendres parents qu'elle va bien et que je veux mon dossier dans les plus brefs délais. »  

Pour y avoir assister plus d’une fois, la famille c’est sacré chez les Walters. Ils étaient tous proches, tous fusionnels. Ils comptaient tous les uns sur les autres et se serraient les coudes en permanence. Ils étaient plus soudés que ma famille ne l’a jamais été. Ils étaient plus proches, plus affectueux, plus tendres que je ne l’avais jamais été avec ma mère et surtout mon père. Des mains sur les épaules, des regards hauts qui me faisait rentrer la tête dans les épaules parfois. Ce n’était pas la politique de la peur chez nous, mais nous n’étions pas particulièrement affectueux entre nous. Puis je n’avais jamais vraiment eu quelqu’un à prendre dans mes bras en dehors de ma mère. Pas de petit frère ni de petite sœur. Je n’étais même pas sûr que ce soit quelque chose qui m’ait réellement manqué, mais j’étais de ce fait incapable de comprendre vraiment cette peur qui secoue soudainement l’estomac de la prisonnière de mon père. Avalon pourrait bien donner sa vie pour sa sœur jumelle ou leur petit frère. Si bien que je ne suis même pas surpris lorsque son visage se tord en une expression de colère, de tristesse. Neven était une forte tête et il ne semblait reculer devant rien, il serait prêt à tout. Il était tout choisi pour réussir à fournir ce dont mon père avait besoin. J’observe sa détresse, en retrait, les larmes qui strient ses joues, qui creusent son visage et font se secouer ses épaules à un rythme peu régulier. Elle s’effondre sous mes yeux et je ne sais pas ce qui me retiens encore d’accourir pour l’aider. Ce que j’aurais dû faire depuis le début. Mais la lâcheté me force encore à rester sur place et à lever les yeux vers mon père.

J’écoute mon paternel commencer à exposer son petit plan. J’observe ses hommes de mains, rassoir Avalon sur une chaise au milieu de l’obscurité. Dans mon dos, mes mains se serrent avec une force qui me dépasse, mais j’ai peine à supporter cette vision, tout en écoutant la voix froide et sans émotion de mon père. Que son ton glacial. Autour de nous, tout le monde s’affaire, une caméra avec un flash sont installés sur un trépied, braqué sur le visage d’Avalon. La main de mon père sur mon épaule, n’a rien de rassurant. J’avance sous sa poigne, l’observant sortir une arme de sa veste. Mon sang ne fait qu’un tour. Non… Tout mais pas ça… « Est-ce réellement nécessaire… ? » Je demande incertain alors que la crosse de l’arme glisse contre la paume de ma main. Je n’aurais donc pas le choix. Il lâche mon épaule, alors que j’observe longuement cette arme qui repose au creux de ma main. Je lève ensuite un regard vers mon géniteur. Je comprends bien vite qu’il n’y a pas de temps à perdre. J’entre alors dans un état second, robotique. Je n’avais jamais tenu d’arme avant, je n’en avais jamais eu l’occasion. Je n’étais jamais dans le feu de l’action. Une simple petite main, mais jamais au premier plan. Jamais à ce point. D’un geste automatique, je viens déposer l’extrémité du canon près de son crâne, me maudissant pour ce que j’étais en train de faire. Maudissant mon propre père de m’obliger à me tenir là, à pointer celle que j’aimais, le cran de sureté de l'arme baissé. Je priais pour ne pas faire un pas de travers. Je m'en voudrais probablement toute ma vie. « Peut-on faire ça rapidement ? » Je demande à l’intention de tout le monde, dont Avalon. Au moins longtemps j’avais à tenir cette arme proche d’elle, au mieux nous nous porterons, tous les deux.

Ils étaient toute ma vie. June, Neven, ils étaient les êtres les plus importants dans mon existence, ceux que j'aimais avec une telle force que ça dépassait parfois l'entendement. Je ne pouvais pas concevoir qu'on leur fasse le moindre mal, qu'on oblige mon petit frère à devenir un pion dans cette histoire, dans l'optique de me garder en vie alors que je savais que les chances pour que je ressorte vivante de ce trou à rats étaient quasiment inexistantes. À moins que mes parents aient un plan solide pour me sortir d'ici; ce que j'espérais sincèrement, je n'allais sans doute plus jamais revoir la lumière du jour. Et mon petit frère n'allait pas penser à tout ça, je le connaissais suffisamment pour savoir qu'il allait foncer dans le tas, tête baissée et ne voir que la possibilité de m'aider. Les conséquences que son geste pouvait avoir, il n'allait pas y penser un seul instant. Et je le comprenais. Je réagirais sans doute de la même manière si sa vie ou celle de ma jumelle était en danger. « Pourquoi est-ce que je vous croirais ? » je souffle en relevant à peine les yeux dans sa direction. « Je ne suis pas stupide... » Mon frère serait, lui aussi, un dangereux témoin et je doutais sincère de sa sincérité. Il avait tout intérêt à l'éliminer après avoir obtenu ce qu'il désirait. Tout comme avec moi. J'étais sauve, pour le moment, uniquement parce qu'il avait encore besoin de moi pour parvenir à ses fins. Mais si il mettait la main sur ce dossier, tout serait fini.

Mon coeur bat à un rythme effréné dans ma poitrine et je ne sais plus quoi penser. Qu’est-ce qu’il voulait faire ? Mon échine être parcouru d’un long frisson en observant les deux brutes s’approcher de moi, obéissant aux ordres du père de Carson. Je le foudroie du regard, alors qu’on me soulève pour m’obliger à m’assoir sur la chaise. « L’espoir fait vivre… » je réponds, railleuse. Il ne semblait toujours pas comprendre que mes parents n’étaient pas n’importe qui. Puis je vois ses sbires déposer un trépied devant moi, muni d’une caméra et je ne comprends ses intentions qu’en découvrant l’arme dans sa main. Mon corps tout entier se raidis et mes mains se referment sur mon jeans, le serrant de toutes mes forces. Et je crois que ma respiration se coupe, une poignée de secondes, quand son fils récupère le flingue, s’approchant dangereusement de moi. J’effectue un mouvement de recule, mon regard se posant sur son visage, le suppliant silencieusement. Parce que j’ai envie de croire qu’il n’est pas comme son père, qu’il reste une part d’humanité au fond de lui. Mais je sens le canon être placé à quelques centimètres de ma tête et les larmes se remettent à couler le longs de mes joues. Un faux mouvement, la moindre erreur de sa part et ma vie s’arrêtait ici. Peut-on faire ça rapidement ? Je me trompais, il ne restait rien d’humain en lui. Tout n’était que noirceur. Je prends une profonde respiration, pivotant la tête dans sa direction, faisant abstraction de l’arme maintenant pointée sur mon front. « Va te faire foutre, Carson. » Puis mes yeux se reposent sur son géniteur. « Allez tous les deux vous faire foutre. » Lui donner satisfaction était sincèrement la dernière chose dont j’avais envie. « Et démerdez-vous pour faire votre putain de vidéo. » Dans un mouvement rapide, je donne un coup de pied dans l’installation, qui bascule en arrière avant de s’écraser sur le sol.

Je n’étais pas leur putain de pion.

Si je ne pouvais pas compter sur les parents, j'allais m'orienter sur l'engeance qu'il leur restait. La deuxième jumelle ne m'était d'aucune utilité parce qu'elle n'allait jamais se plier à mes exigences. Alors je m'étais penché sur le cas du plus jeune, qui me semblait plus malléable. Le peu de choses que j'en savais m'avait suffi à comprendre qu'il n'hésiterait pas à agir pour le bien de sa famille, quitte à s'en brûler les ailes. En attendant, j'allais forcer la main de ses géniteurs, en leur rappelant quel était l'enjeu de cette opération. J'avais besoin de ces dossiers et eux, ils voulaient récupérer leur fille. Cela me semblait tout à fait donnant-donnant. Pourquoi est-ce que je vous croirais ?  « Tu n'as pas besoin de me croire. Tout ce qu'il te faut, Avalon, c'est m'obéir. » je souffle, avec un sourire malfaisant. De toute manière, elle n'avait pas besoin de connaître la suite des événements. J'allais faire parvenir un message aux agents du SWAT, accélérer le processus et mettre la main sur ces informations compromettantes. Et s'il le fallait, j'allais effacer la plus petite preuve, le moindre élément qui viendrait gêner mes plans. Alors je préviens simplement la jeune femme de mon intention, avant de héler deux de mes hommes pour venir la ramasser.

J'avais besoin qu'elle me fasse son plus beau sourire, sur la vidéo.

J'extirpe mon pistolet de la poche intérieure de ma veste, tandis qu'ils terminent d'installer la caméra devant notre invitée. Et je me gorge de ses réactions, de la peur qui luit dans ses yeux. Avant de me tourner vers mon fils, lui tendant l'arme et lui intimant de la pointer sur son crâne. Est-ce réellement nécessaire ? « J'ai cru remarquer que notre amie, ici présente, était plutôt récalcitrante. » je murmure, avec un rictus. « Alors nous allons lui donner une raison supplémentaire de se tenir tranquille. » Mais c'est encore mieux que ce à quoi je m'attendais, au final, quand des larmes coulent silencieusement sur ses joues. Allez tous les deux vous faire foutre. Et démerdez-vous pour faire votre putain de vidéo. Mon sourcil se hausse et je me fige en la voyant se mettre en mouvement, sa jambe venant rencontrer le trépied qui s'écroule sur le sol. Ma patience atteint enfin sa limite et le plat de ma main vient rencontrer sa joue avec fracas. Un claquement sonore retentit dans la pièce, rebondissant entre les murs. « Ça suffit. » je siffle, sur un ton glacial. Avant d'arracher le flingue des mains de Carson, pour le glisser sous sa joue, redressant sa tête pour l'obliger à croiser mon regard. « Encore une petite incartade dans ce genre et c'est avec plaisir que je m'occuperai de faire un joli trou dans l'une de tes jambes. » je murmure, détachant mes mots un à un, pour être sûr d'être parfaitement saisi. « Ou peut-être devrais-je commencer par celles de ton petit frère ? » Je n'allais pas en éprouver le moindre remord. « Alors si tu veux éviter ça, tu as tout intérêt à rester sage. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? » je susurre, tout contre sa joue. Puis je tourne la tête, pour jeter un regard à mes hommes de main. « Remettez la caméra en place. » Je me redresse, jetant un coup d'oeil à mon fils, avant de lui rendre l'arme pour épousseter les manches de ma veste. « J'imagine que nous pouvons commencer, maintenant. »