I hear this house is haunted… we better stick together. (Naia, Robin & Nate)

Il me semblait que la nuit engloutissait tout ce qui se trouvait à portée de regard. Les arbres défilaient sur le bord de la route, les uns après les autres avant de disparaître dans l'obscurité. Mais je concentre mon regard sur la route devant moi, la musique résonnant dans l'habitacle et tranchant avec l'atmosphère sinistre qui flottait dans l'air. Une ambiance parfaite pour le programme qui m'attendait. Qui nous attendait, mes acolytes et moi. Parce que ce soir était synonyme de découverte. D'escapade brumeuse et terrifiante. Au fil de mes randonnées à travers la forêt, j'avais fini par tomber sur un impressionnant manoir dévoré par le temps. Sans le vouloir. Et je m'étais rapidement renseigné à son sujet, m'imprégnant des histoires qui s'alignaient à son propos. Hanté. Un sourire avait étiré mes lèvres. Expériences paranormales. Tout ce qui faisait pétiller l'adrénaline dans mes veines. Et celle de mes cousins, qui se joignaient à l'aventure à mes côtés. Le lotissement où habitent les parents de Robin apparaît devant mes yeux et j'aperçois deux silhouettes qui attendent sur le bord de la route, capuches redressées sur le crâne. J'avance dans leur direction, ouvrant la fenêtre côté passager et penchant le buste pour les apercevoir de plus près. « Est-ce que je peux vous déposer quelque part, messieurs dames ? » je déclare, avec un large rictus rempli de malice. Avant de leur indiquer de monter d'un mouvement de la tête, déverrouillant les portes arrières pour leur laisser l'accès. « Vous avez pris tout ce qu'il fallait ? » je les interroge, mes doigts tapotant une mélodie sur le contour du volant. Il fallait se préparer un minimum lors de ce genre de sortie. Surtout que l'endroit où l'on se rendait était plutôt isolé et que se mettre en danger n'était pas vraiment le but de cette expédition. Et que je ne voulais pas passer la soirée à entendre l'un ou l'autre se plaindre pour une quelconque raison.

« J'ai mis la main sur un détecteur, d'ailleurs. » Mes paupières se plissent de satisfaction en énonçant ma trouvaille, durement acquise après quelques recherches. Les détecteurs de champs magnétiques ne se trouvaient pas au supermarché du coin et la plupart des gens qui en possédaient n'était pas forcément disposés à s'en séparer. Et ça promettait quelques frissons supplémentaires s'il se mettait à s'affoler dans la vieille bâtisse. Je garde mon pied enfoncé sur le frein avant de pivoter la tête du côté de Robin, plissant les yeux avec suspicion avant de reprendre la parole. « Pitié, dis-moi que ton père n'est pas au courant de notre excursion. » je souffle, l'air méfiant. Mais j'avais suffisamment entendu parler de la frayeur que ma mère et mon oncle avaient subi, avec Hugo. Il semblait que nous soyons d'incorrigibles farceurs, dans la famille. Et ils en avaient largement fait les frais. Quitte à me faire peur, je préférais que ce soit avec de vrais phénomènes surgis de nulle part plutôt qu'à cause des pitreries de nos parents. Parce que si son père avait été mis au courant, le mien allait se faire un plaisir de rejoindre la partie.

Aucun risque avec celui de Naia, en tout cas.
Tonton Lou n'était pas vraiment porté sur les expériences effrayantes.

« Les paps, je file chez Tonton Hugo !» Je lance, en enfilant la hanse de mon sac à dos sur mon épaule. Mon papa, le plus blond des deux, débarque dans l’entrée en trombe en essuyant ses mains dans un torchon souple. « Pas de bêtises, Naia !» Me prévient-il avec un ton doux, comme à son habitude. Mon père n’avait jamais changé, et était d’autant plus protecteur depuis ce qui avait bien pu m’arriver en début d’année. Suffisamment traumatisant pour que cela fasse autant de mal à mes parents qu’à moi. Mais ce soir, je profitais d’une petite soirée avec mes cousins. J’allais profiter de Nathan, qui était rentré de France pour ses études, et Robin, le bout en train du groupe. Sans mentir, je crois que j'avais attendu cette soirée plus que n’importe quoi. La raison ? Saison d’halloween oblige,e t aux esprits aventuriers que nous étions, nous nous devions d’aller explorer une maison dite hantée. Plusieurs rapports d’exploration rapportaient des faits de PVE, de bruits de pas, de sons étranges, de ressentis qui donnent des sueurs froides à n’importe qui, mais pas à moi. Je m’étais souvent prise à vouloir découvrir ce qui pouvait bien errer parmi nous, pas au point de vouloir à tout prix faire la rencontres de spectres, mais explorer des lieux abandonnés, était loin de me ficher les miquettes. « Promis ! je ne sais pas à quelle heure je reviens, mais j’ai mes clés. Bonne nuit, je vous aime.» Je lance dans un sourire complices avec le plus excentrique de mes papas. Il savait ce que j’allais faire ce soir, et à part me demander d’être prudente, m’avait grandement encouragée à aller vivre mes petites expériences.

Une fois Robin retrouvé, et nos esprits bien préparés, nous avons été rapidement rejoints par notre chauffeur du soir. Portrait craché de tonton Tate, Nate était tout comme nous enclin à passer une soirée bien effrayante. « Mon sac est rempli, j’ai même pensé à prendre une seconde bouteille d’eau dans mon sac, et des piles de rechange pour le détecteur ou les lampes torches. !» J’annonce tout sourire, une pointe d’excitation dans la voix. Papa Louis m’aurait sûrement conseillé de prendre une trousse à pharmacie complète dans mon sac s’il m’arrivait quoi que ce soit. Mais j’étais quand même persuadée que nous étions assez matures et grands pour éviter de se blesser, même si j’étais clairement la plus jeune de notre trio improbable. « Manquerait plus qu’il nous fasse une petite blague.» Je soupire en me pinçant l’arrête du nez rien qu’en y pensant. Franchement, j’avais pas envie de ça, surtout que mon oncle, qui était plutôt mon grand cousin que mon oncle, était un immense farceur, et qu’il avait des arguments de folie pour entraîner les autres avec lui.

La voiture se lance enfin et nous voilà partis vers de nouvelles aventures. « J’ai vraiment trop hâte de voir si tous les témoignages que j’ai lus sont vrais ! J’ai trouvé tellement d’articles avec des résultats incroyables !» J’annonce, un immense sourire aux lèvres. « Il parait qu’ils sont plusieurs à hanter encore les lieux !»

J’étais aussi excité qu’un acarien au salon de la moquette et ça ne m’était pas arrivé depuis plusieurs semaines, ça méritait d’être souligné. Je n’avais plus mon acolyte de toujours pour emmerder notre cher et tendre petit-frère, depuis que Monsieur avait décidé d’emménagé avec sa copine et de nous pondre un marmot (en sachant que je suis bien trop jeune pour être tonton et lui pour être papa, mais ça, c’est un autre débat, impliquant plutôt la maturité). Et plus de petit-frère non plus, puisque lui aussi avait décidé de quitter le navire pour partir à l’autre bout du pays faire ses études. Et j’aurais pu me sentir heureux que la nature m’ait doté d’un troisième frangin, mais bizarrement les rôles étaient plutôt inversés dans le cas présent et c’est moi qui trimaient. Tout ça pour dire que mon incroyable génie diabolique n’était plus assez stimulé et que j’allais finir par dépérir si je ne me mettais pas quelque chose de terriblement exaltant sous la dent ou si je continuais de subir les plaintes de ma mère parce qu’Ambrose avait le malheur de ne pas répondre à ses vingt appels quotidien. C’est là qu’intervenait Nate et ses idées démentielles. J’étais friand de tout ce qui touchait au paranormal et il n’avait pas eu besoin de m’en dire plus au sujet du manoir abandonné qu’il avait trouvé pour accepter sa proposition. Evidemment que j’avais envie de le visiter, en pleine nuit de surcroît. « J’y vais, mam’s ! » je hèle depuis la porte d’entrée, sans attendre une quelconque réponse de sa part pour m’éclipser et rejoindre ma cousine qui m’attendait à l’extérieur. On est bientôt rejoint par le troisième membre de notre excursion et comme le parfait gentleman que je suis, je grimpe du côté passager. « J’ai également des lampes, deux bouteilles d’eau et de quoi grignoter et des batteries de secours pour nos téléphones. » Mieux valait être préparé à toutes éventualité.

Nathan nous annonce qu’il a réussi à mettre la main sur un détecteur et un immense sourire s’affiche sur mon visage. Là, ça commençait à devenir intéressant. Je plonge la main dans mon sac à dos avant d’en sortir un objet que je montre fièrement. « Et moi sur une caméra infrarouge. » Comme je n’avais pas l’intention de vendre un rein pour m’en payer une, j’avais épluché tous les sites de ventes d’occasion pour dégotée la perle rare. Celle-ci m’avait tout de même fait un sacré trou dans mes économie mais elle était en parfait état de marche. « Et j’ai trouvé une application gratuite de caméra thermique aussi. Elle marche pas trop mal d’après les avis. » Faire la chasse aux fantômes, ça coûtait cher. Je range mes affaires dans mon sac, avant de sentir le poids du regard de mon cousin sur moi et de me tourner vers lui, les sourcils froncés. « Quoi ? » je demande, avant de lâcher un petit ricanement quand il fait allusion à mon père. « Non, il n’est pas au courant. Ma mère non plus, si ça peut vous rassurer. » Je n’avais pas plus envie qu’eux d’être les victimes d’un coup monté de la part de mon père, comme lui-même l’avait vécu, bien des années avant nous. « Mais je te rappelle que ta mère était là aussi. » Et elle était tout aussi machiavélique que mon père, si ce n’était pas plus.

On se met enfin en route et j’écoute attentivement Naia parler des témoignages qu’elle a pu lire pendant ses recherches. Je n’étais pas certain de croire aux fantômes, mais j’étais plus ou moins sûre que les lieux soit disant hanté ne l’étaient pas vraiment. Pour moi, tout n’était que psychologie. On lisait des tonnes et des tonnes d’articles sur ces fameux lieux, on se montait tout seul le bourrichon et on se mettait ensuite à avoir des sortes d’hallucinations, parce que le moindre bruit nous semblait suspect. Maintenant, je n’écartais pas la possibilité que tout ça soit vrai, ou en tout cas, pour une infime partie. Mais je ne m’attendais pas spécialement à prendre le thé avec un fantôme ce soir. « Et j’imagine qu’ils sont tous extrêmement violents et méchants ? »

Il semblerait que les expériences paranormales dans des endroits délabrés, c'était un truc de famille. Et j'étais plus qu'impatient de perpétuer cette tradition. Je ne vivais que pour le sang battant dans mes tempes, pour le rythme effréné de mon coeur dans ma poitrine, pour l'adrénaline fusant dans le creux de mes veines. J'aimais les sensations fortes et j'essayais de diversifier mes expériences pour en découvrir toutes les nuances. En plus, j'étais accompagné de supers acolytes. Que demander de plus ? Robin et Naia n'avaient pas été longs à convaincre et ils grimpent rapidement dans ma voiture, parés à l'aventure. « Bien joué pour la caméra. » j'entonne, avant de plisser les yeux, l'interrogeant sur la possibilité que son père sache où nous allions, ce qui n'aurait pas été très rassurant. Non, il n’est pas au courant. « Tant mieux. » je souffle, avant de hausser les épaules à sa réflexion. Certes, ma mère faisait partie de heureux chanceux ayant subi cette petite blague douteuse. Et elle pouvait être terriblement diabolique, quand elle s'en donnait la peine, oui. Ce qui faisait qu'elle n'était absolument pas au courant de mes petites affaires, pour éviter un drame. « En effet. Mais elle préfère témoigner tout l'amour qu'elle porte à mon père, ce qui m'arrange plutôt pas mal dans le cas présent. » je rajoute, avec un petit sourire narquois. Puis je fais ronronner le moteur et nous partons en direction du manoir, nos sacs remplis à craquer et nos esprits échauffés par les témoignages que Naia avait pu récolter en farfouillant ici et là sur le net.

Je ne croyais pas vraiment aux fantômes, à proprement parler. Mais je pensais fermement que certains lieux devaient renfermer des vibrations, qu'ils étaient témoins du vécu de leurs occupants. Que les murs étaient imprégnés de ces ondes, qu'elles soient positives ou non, qu'il suffisait d'être un tant soit peu attentif et ouvert d'esprit pour les ressentir. Et rien que le fait de vagabonder dans des endroits abandonnés suffisait à me satisfaire parce que j'étais friand de ces bâtiment où les années passées faisaient leur oeuvre et où la nature reprenait ses droits. Des pièces figées dans le temps, comme cristallisées, des façades grignotées par des lianes, des objets appartenant à d'autres époques. « Est-ce que j'aurais du penser à prendre du gros sel et un chapelet, en plus du reste ? » je lâche, railleur. Avant de bifurquer sur une petite route, en direction d'un sentier de campagne. La voiture était malmenée par les aspérités du chemin caillouteux mais nous continuons à spéculer sur ce qu'il pourrait arriver, une fois à l'intérieur. Jusqu'à ce que j'aperçoive le haut portail en fer forgé qui annonçait l'entrée de la propriété. Nous n'allions pas rentrer par la porte principale parce qu'un lourde chaîne était enroulé autour des deux battants mais j'avais eu vent d'un trou dans le grillage sur l'un des côtés, fruit d'explorations précédentes. Et je fais part de cette information à mes compagnons. Je me gare quelques mètres plus loin, derrière un bosquet d'arbustes pour dissimuler au maximum mon véhicule. Et nous nous extirpons de celui-ci, récupérant nos affaires et allumant nos lampes pour éclairer les alentours. « Vous êtes prêts ? » je demande, avec détermination. « Ma voiture est ouverte, si l'un d'entre vous a subitement perdu toute audace. » je murmure, à la suite, avec un rictus moqueur. « Mais si tout le monde est motivé, on peut se mettre en route. » Parce que moi, j'étais tout excité à l'idée de mettre un pied dans cette vieille bâtisse, de découvrir toutes les choses qui étaient à notre portée. Et peut-être de frissonner un peu, qui sait.

Dire que j’avais hâte, c’était un putain d’euphémisme. Je ne tenais plus en place depuis plusieurs jours déjà. J’étais tellement excitée et impatiente de partir à l’aventure avec mes cousins. Ça allait être l’aventure de la décennie et j’étais sûre qu’on allait s’en souvenir longtemps. Cette petite nuit à explorer c’était comme une vielle tradition de famille, qui remontait à l’époque de mon grand-père. Eux s’étaient contenté d’un vieil hôpital désaffecté avec une sorte de morgue dont on avait entendu parler, parce que mon père avait eu la frayeur de sa vie ce jour-là. Je pouvais encore l’entendre de là, raconter à quel point ça l’avait traumatisé, si bien qu’il n’avait plus quitté les bras de mon autre papa pendant des semaines. Du classique Louis Grimm-Young. Être dramatique au possible et faire un foin de tout. Je ne doutais cependant pas que la petite blague de mon grand-père et mon grand-oncle ait été effrayante. Je crois que je n’aurais pas fait la maline non plus, si la même chose m’était arrivée. C’était bien pour cela que nous nous étions bien gardés de faire part de nos petits plans à qui que ce soit. Afin d’éviter toute petite pitrerie douteuse de la part de nos supérieurs dans l’arbre généalogique. Des fois qu’ils eussent trouver ça drôle de nous traumatiser aussi. « Ca va être super utile si jamais on doit repérer quoi que ce soit ! » J’ai répondu à mon tour, lorsque Robin nous a informé de sa trouvaille ainsi que de la moindre technologie qui nous sera utile. « Parfait. On devrait être tranquilles. » Valait mieux pas compter sur mon père pour venir faire des petites blagues. Il prendrait peur à peine la porte passée, et était toujours aussi dépendant des étreintes nocturnes de l’exubérant Alix Young. Aucun risques de les retrouver en pleine forêt.

« On est pas dans Conjuring Rob’, tu sais.  » Je raille à mon tour. La vie et l’errance après la mort, c’était quelque chose de fascinant et je n’avais aucun mal à y croire. Je suis persuadée qu’une âme peut rester attachée à un lieu qui lui est cher, où qui a été le théâtre d’une fin triste, brutale. Les lieux anciens regorgeaient de ce genre d’histoire et d’énergie. C’était tellement passionnant, de les voir être parcouru, de lire des dizaines d’histoires sur ces lieux. « Ou peut-être de la sauge aussi. » Je réponds à Nathan dans un sourire amusé, alors qu’on entre sur un chemin qui nous secoue salement dans la voiture. Heureusement que ça faisait un moment que j’ai mangé, sinon, j’aurais certainement rendu mon dîner. On se stoppe derrière quelques buissons pour éviter que la voiture se remarque. La bâtisse était protégée par une immense grille faiblement fermée par une chaine plus grosses que mes deux poignets réunis. On allait clairement passer par les petites entrées forgées par d’autres aventuriers passés là avant nous. Je sors ma lampe torche, coupe la localisation de mon téléphone ainsi que la connexion afin de ne pas perturber les ondes que pourrait capter le détecteur de Nathan. « Prête ! Je suis peut-être une Grimm, mais je ne suis pas mon père. » Je lance vers Nathan, avant de prendre les devants, ma lampe torche rivée devant moi, un sourire immense, l’adrénaline qui pulsait déjà dans mes veines. Excitée comme jamais de vivre une nuit comme qui nous attendait. C’était l’une de mes première vraie exploration, je n’avais qu’une hâte, entrer et arpenter ce lieu. Je finis par trouver l’entrée assez rapidement, et m’y glisse après avoir réussi à écarter les branchages soigneusement. « Faites gaffe aux ronces, j’ai pas pris de kit de premier secours. » J’annonce en rivant ma lampe sur la bâtisse qui se dresse devant nous, dans un ciel éclairé par la lune presque pleine et les étoiles. Ancienne et figée dans un temps qui lui était propre elle était aussi magnifique que fascinante. « On y est… » Je souffle, presque sans voix devant l’impressionnante structure.

L’attrait pour le paranormal, ça devait être de famille, couler quelque part dans nos veines. Nous étions la troisième génération à explorer les périphéries de la ville, à la recherche de sensations et de lieux abandonnés. La seule différence c’est que nous, on innovait. Nous avions, tous les trois, suffisamment entendu d’histoire sur ce vieil hôpital abandonné et cette mystérieuse morgue pour avoir envie d’aller voir ailleurs. Et non, on ne se contentait pas d’un simple lieu abandonné, non. On allait découvrir un manoir dont la réputation le précède. De ce que Nathan avait bien voulu nous dire, cette vieille bicoque qui tenait encore miraculeusement debout était hantée. Une infinie de témoignages faisaient références à de nombreux événements non expliqués qui se seraient déroulés dedans. Des marques de sang qui apparaissent et disparaissent, des bruits de pas, des portes qui claquent… Grand fan d’horreur, je trépignais d’impatience à l’idée de vivre une expérience similaire. Même si, je devais bien l’avouer, je n’étais pas encore entièrement convaincu par l’existence des fantômes, des démons et autres créatures surnaturels du genre. Pour moi, ça revenait à laisser la porte ouverte pour croire aux lutins et aux fées. Je laissais ça à mon petit frère et son monde des Bisounours. Moi, je croyais au trucage, aux délires collectifs et à tout ce qui touchait de près ou de loin à la psychologie. Difficile de faire autrement avec deux parents psychologue, de toute façon. Mais je n’étais pas entièrement fermé au monde de l’occulte ou au paranormal. Après tout, pourquoi pas ? Je demandais simplement à voir de mes propres yeux. Un ricanement s’échappe de mes lèvres quand mon cousin parle de l’amour débordant de sa mère pour son père, ce qui, en toute honnêteté, n’arrangeait pas que lui sur le moment. « On pourra la remercier si tu te retrouves avec un petit frère ou une petite sœur dans neuf mois. » je raille avant de me tourner légèrement vers Naia. « On n’est quand même pas à l’abri que l’un d’eux aient eu la brillante idée de nous suivre… » Alors à leur place, je ne parlerais pas aussi vite. J’étais persuadé qu’ils avaient compris notre fort interêt pour l’urbex et la chasse aux fantômes, alors je préférais rester sur mes gardes, même si nous avions tous les trois prit toutes les précautions du monde. Si ce n’était pas pour aujourd’hui, rien ne nous garantissait qu’ils ne viendraient pas nous faire une petite blagounette une prochaine fois.

On arrive rapidement à destination, quittant l’habitacle pour mieux observer l’immense grille qui nous séparait de notre objectif. Mon sac à dos sur les épaules, ma lampe torche éclairant les alentours, je me tourne vers Nathan, les sourcils rehaussés. « Tu me prends pour qui ? » je demande. « Je porte les noms de nos précurseurs, aucun risque pour que je me dégonfle. » J’étais trop curieux et excité pour que je les attende sagement dans la voiture. Ils n’étaient pas les seuls à vouloir s’amuser un peu. On se met donc en route, la seule femme de notre trio nous informant de faire attention aux ronces et je me contente de hocher la tête. Je devais avoir des pansements dans mon sac, mais si on pouvait éviter de s’en servir, c’était tout aussi bien. Puis on arrive devant le portail noir en fer forgé et sa hauteur m’en coupe le souffle. Il était déjà impressionnant de loin, mais de près, c’était pire. Je remarque la chaîne et le cadenas qui nous empêche de progresser plus loin et nous commençons à contourner le lieu, à la recherche d’une faille, d’une petite entrée à travers les branchages. Naia la trouve et nous la suivons, en prenant soin de faire le moins de bruit possible. Une fois de l’autre côté, le faisceau de nos lampes torches se croisent sur la bâtisse et je prends le temps de l’admirer, en silence. Son architecture est incroyable et l’ambiance qui s’en dégage me tire un frisson. Ce manoir avait une âme et il suffisait de le regard pour comprendre qu’elle était noire. « C’est quoi son histoire ? »

Je porte les noms de nos précurseurs, aucun risque pour que je me dégonfle. Un rictus étire mes lèvres et je penche la tête sur le côté. « On verra bien si tu gardes le même état d'esprit, une fois à l'intérieur. » je rétorque, avec un air de défi. Parce que nous n'étions même pas encore sur le domaine, qu'il nous fallait traverser l'immense jardin avant d'accéder à la bâtisse. Je ne portais peut-être pas officiellement le nom de ma mère mais je savais qu'elle avait commencé sa propre visite avec une confiance en elle qui avait vite eu fait de s'effriter, à mesure du temps passé dans le vieil hôpital abandonné et des événements qui s'y étaient déroulés. Et je ne demandais qu'à voir si nous allions subir la même chose, dans ce manoir. Naia rappelle à juste titre que nous ne sommes pas pourvus d'un matériel de sauvetage en cas de petits bobos et nous hochons la tête avant de poursuivre notre route, contournant la propriété pour trouver la faille dans laquelle nous glisser. D'autres explorateurs étaient passés par là avant nous, tout aussi désireux de découvrir ce qui se trouvait à l'intérieur de cet édifice et ils avaient laissé un accès pour les plus courageux qui se risquaient à suivre leurs traces.

Une fois passés de l'autre côté, nous marchons prudemment pour retourner du côté de l'entrée principale, nos lampes se croisant sur la façade ternie par le passage du temps. Du lierre et de la vigne vierge s'entremêlaient sur le mur, les vitres étaient pour la plupart brisées ou tellement sales que l'on ne voyait pas à l'intérieur. Mais elle conservait cet aspect majestueux qu'elle devait avoir eu autrefois, son état actuel ne faisant que renforcer l'aspect lugubre qui s'en dégageait. On y est. « Ouais. » je souffle, laissant mes yeux s'égarer devant moi et s'imprégner de l'atmosphère qui nous entourait. Je sentais un léger frisson me parcourir, remontant le long de ma colonne vertébrale. Un sourire étire néanmoins mes lèvres à la question de Robin. « Tu fais bien de le demander, très cher. » je débute, avant de me tourner vers eux, un air énigmatique sur les traits. « Parce que ce manoir, qui était une maison mortuaire jusqu'en 1920, a été vendu à une riche famille qui l'a habitée pendant deux ans. » Je voulais faire durer un peu le suspense. « Pourquoi seulement deux ans, me direz-vous ? Parce que l'une de leurs filles, Violeta, dans un accès de démence a décidé d'assassiner la totalité des membres de sa famille. D'après les témoignages de l'époque, elle disait avoir reçu la mission d'éradiquer les démons qui vivaient dans sa maison. » Ma voix est basse, jouant sur les intonations pour donner de la profondeur à mon récit. « Son père est le seul a y avoir réchappé mais elle lui a gracieusement fait cadeau d'un jet d'acide en plein visage, qui l'a défiguré. Il a fini par se pendre dans le sous-sol, quelques mois plus tard parce qu'il ne supportait plus les souvenirs de cette soirée d'horreur. En plus de son propre reflet dans le miroir. » Je croise les bras sur mon torse, désignant la maison d'un mouvement de tête. Ses origines étaient très sombres et je m'étais gorgé d'informations à son sujet. « Il paraît qu'on peut entendre une petite fille pleurer dans les escaliers, certains soirs. Que la porte de la cave refuse de s'ouvrir. Qu'il y a parfois des bruits de course-poursuite dans les couloirs de l'étage supérieur. »

« Tu devrais faire gaffe à tes chevilles, si tu veux pouvoir marcher le reste de la nuit Robin. » Je lâche à mon cousin. Cela dit il n’avait pas tort, nous avions une réputation de famille à tenir. Des explorateurs de ruines en pleine nuit. Autant dire que si même mon père, transi de peur, avait pu le faire, on pouvait tous les faire. Il suffisait simplement d’un peu de courage. Pour le coup, ça, à nous trois, nous n’en manquions pas. Nous devions pourtant être prudents et se tenir prêts à toute éventualité. Nous n’avions aucun autre être humain à proximité pour venir nous sauver les fesses en cas de problèmes et malgré les recommandations de mon père, je n’avais jamais de kit de pharmacie sur moi. Pour une fois, j’aurais peut-être dû y penser. Ça aurait pu nous être utile.  On entre sur la propriété avec prudence et avance sur le sentier tracé par les pas de nos prédécesseurs à force de visites. Le manoir pourrait rendre curieux n’importe qui avec cette immense stature sombre et intrigante. Rien qu’à le regarder, je n’avais qu’une hâte, entrer et explorer. Me confronter à la réalité de la barrière si fine et terriblement floue entre notre monde et celui des ombres. C’était bien trop passionnant pour que l’excitation ne me gagne pas, alors que l’aventure était toute proche.

Nous nous arrêtons devant la bâtisse pour l’admirer quelques secondes. Mon cœur accélère tout doucement. Je pourrais me ruer à l’intérieur tant l’impatience me gagne. Robin questionne sur la maison et c’est Nathan qui se colle au récit. Autant dire que je l’écoute avec une attention toute particulière et que je pourrais boire ses paroles tant je trouve ces histoires fascinantes. Au fur et à mesure de son histoire, l’on en apprend plus sur le mystère qui entoure ce manoir et qui n’a jamais fais que faire grandir les spéculations autour de cette bâtisse. Les morts et les circonstances sont d’une violence inouïe, et il est de connaissance que les âmes dont la mort est brutale, restent attachées à leurs dernier lieu de vie. Comme si elles avaient encore des choses à régler dans notre monde. Cela dit, si je croyais aux âmes, je n’étais pas friande de ces histoires de possession. J’espérais sincèrement que nous n’aurions pas à croiser le chemin d’une entité démoniaque. « Il empêcherait d’entrer dans la cave ? On sait s’il est encore là ? » Je demande en levant la tête vers mon cousin. « On ne doit absolument pas toucher à quoi que ce soit. Je ne veux pas rentrer chez moi avec une entité collée à mes baskets. Mes pères feraient à tous les coups une crise de panique. » J’imagine même pas la tête que ferait le plus peureux des deux. Ni même le savon que je me ferais passer, s’il apprenait que j’avais quitter mon lit pour une petite exploration nocturne. Vraiment, je m’épargnerais cette peine. « Vous êtes prêts à entrer ? » Je demande finalement en m’avançant, un sourire plein de dents, vers l’entrée du manoir, la main sur la poignée, ma lampe torche illuminant le sol. J’étais pleine d’adrénaline et je mourrais d’envie d’enfin découvrir tout ce qui se cachait derrière cette immense et lourde porte.

C’est officiel, mes cousins ont décidé de me faire chier et de se liguer contre moi. Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! (je suis jeune, donc en vrai, ça passe.) Je croise donc les bras sur mon torse, les fixant tous les deux à tour de rôle. « J’ai hérité des bons gènes, moi. » je réponds, une petite auréole au-dessus de la tête. Je n’étais pas le fils de Louis Grimm, je n’allais donc pas me mettre à hurler comme une fillette. Pardon tonton, mais c’est sincèrement le passage que je préfère dans l’histoire. Et il faut dire que tante Sofia prend un malin plaisir à décrédibiliser son frère à chaque fois. Pourtant, elle n’était pas restée de marbre, elle non plus. Mais je tenais quand même à rappeler que contrairement à eux, je portais le noms des deux génies du mal de cette famille et j’étais même prêt à le surligner en jaune fluo s’il le fallait. « Et ce n’est pas comme si je croyais aux histoires de fantômes. » Je n’étais pas non plus totalement fermé sur le sujet, mais jusqu’à présent, nous n’avions eu aucune preuve de la présence d’être spirituel et je restais persuadé qu’il y avait toujours une explication scientifique ou rationnelle. D’autant plus que le cerveau était capable de beaucoup de choses et surtout d’influencer notre imagination, notamment dans un lieu où celle-ci était constamment solliciter et où de nombreuses histoires, toutes plus farfelues les unes aux autres, s’entremêlaient. En bref, je voulais d’abord voir avant de croire. Si je voyais, si j’étais témoins de quoi que ce soit, alors là, oui, je pourrais éventuellement commencer à concevoir le fait que nous n’étions pas réellement seul sur terre. Mais pour le moment, je préférai me méfier des témoignages et autres vidéos qu’on pouvait trouver en ligne. Tout ça pour, la plupart du temps, créer le buzz. « Maintenant qu’on s’est assuré que mes chevilles vont bien et que je n’ai pas l’intention de tomber dans les pommes une fois à l’intérieur, on peut y aller ? » je demande en secouant la tête. Je n’avais pas peur. Au contraire, je n’étais qu’excitation et euphorie.

Puis nous avançons jusqu’à l’entrée de la bâtisse et je prends quelques secondes pour l’observer, avant de me tourner vers Nate et lui demander tout ce qu’il avait lu sur le lieu. Et c’est avec la plus grande des attentions que j’écoute Père Nathan nous conter l’histoire de ce manoir. Et c’était carrément à hauteur de mes espérances. Je pouvais presque me croire dans un nouvel opus de Silent Hill. Tout ce que j’aimais. Mon regard suis celui de mon cousin et je frappe dans mes mains, lorsqu’il termine de nous énumérer tout ce qu’il est visiblement possible d’entendre ou voir à l’intérieur de cette gigantesque maison. « Chouette. J’ai grand hâte. » je raille, sarcastique. Au fond, j’étais curieux. Curieux de voir si les on-dit étaient vrais ou si tout ça n’était qu’une sombre mascarade pour attiser la curiosité et faire parler. Puis Naia nous donne ses conditions et je lâche un petit rire amusé. Ouais, j’imaginais bien la demeure Grimm-Young se faire envahir par un esprit farceur et causer une peur bleue à tous ses habitants. « Moi je propose qu’on trouve cette cave. » j’annonce, en lançant un coup d’oeil à la seule fille de notre trio. « Après tout, on est là pour le frisson, non ? » Je n’avais pas accepté cette sortie pour qu’on enfile des perles et qu’on retourne, d’ici une petite vingtaine de minutes . Je voulais visiter chaque pièce, chaque recoin. « Et tu sais quelque chose à propos des miroirs ? » Il y avait toujours un truc avec les miroirs. C’était obligé.
Naia ouvre finalement la marche jusqu’en haut des escaliers, sa main se posant sur la clenche. Elle n’a pas besoin de l’abaisser pour que la porte s’ouvre dans un grincement strident. Bien, ça annonçait la couleur. Nous entrons à tour de rôle dans le hall, immense, où le temps semble s’être figé. Je balaie les alentours de ma lampe torche, observant les différentes possibilités qui s’offrent à nous. « Vous voulez commencer par quoi ? »

Je frémissais d'avance à l'idée de mettre les pieds dans cette bâtisse. Elle empestait le mal et la désolation. Et j'étais certain de pouvoir y faire des trouvailles d'exception. Il devait forcément rester des pièces inexplorées, des endroits où personne n'avait osé mettre les pieds. Lorsque Robin m'interroge sur l'histoire du manoir, je ne me fais pas prier pour la lui conter, expliquant l'horreur qui s'y est produite, cents ans plus tôt. J'avais été effaré par l'ampleur des drames qui s'étaient déroulés en son sein, par la violence qui imprégnait certainement encore les murs. Mais ça rendait le tout plus excitant encore, à mes yeux. Je termine mon récit avec quelques petites anecdotes rapportées par les différents visiteurs des lieux, d'autres tirées d'articles où d'anciens propriétaires s'exprimaient sur leurs ressentis à propos de la maison. Il empêcherait d’entrer dans la cave ? On sait s’il est encore là ? « Je ne sais pas. » je lâche, en haussant les épaules. « Tout le monde décrit la porte comme étant fermée à clé. Après, ça ne veut pas dire qu'il n'est pas possible de l'ouvrir. » je rajoute avec un léger sourire, les yeux remplis de défi. Avant de laisser échapper un gloussement aux paroles de Naia, déjà terrifiée à l'idée de s'attirer les foudres d'un esprit malveillant. « Tu vois que le gros sel et le chapelet auraient bien fini par servir. Parce que Rob a raison, je crois que nous avons trouvé le but de notre expédition. » Après tout, on est là pour le frisson, non ? Je hoche la tête, resserrant machinalement les lanières de mon sac sur mes épaules. « Tout à fait. » Puis je tourne la tête en direction de l'autre garçon, amusé. « Ouais, il paraît qu'on peut voir passer une silhouette dans son dos si on s'approche un peu trop près d'un des miroirs. » je rajoute, un rictus ornant mes lèvres. Et nous hochons la tête à l'unisson, à la question de notre cousine. Sa main s'empare de la poignée, la porte s'ouvrant dans un grincement sinistre. À sa suite, nous mettons enfin les pieds dans le manoir, le coeur battant.

Le temps semble s'être figé, tout autour de nous. Il reste des vestiges de sa splendeur d'antan, de la décoration de l'époque et j'essaye de capturer le plus d'images dans ma mémoire, grâce à la lumière de nos lampes. J'avance d'un pas, étudiant la peinture partiellement écaillée sur le mur. Avant de pivoter sur moi-même lorsque la voix de Robin résonne à nouveau, rebondissant entre les murs. « Je propose qu'on garde la cave pour plus tard, si ça vous convient. Histoire de garder le meilleur pour la fin. » je déclare, en haussant distraitement les épaules. « Est-ce que l'on irait pas visiter l'étage ? Il me semble avoir lu des articles sur la chambre de Violeta. Elle serait au fond du couloir, sur la droite, en montant les escaliers. » Je fais quelques pas sur le côté, resserrant l'emprise de mes doigts sur ma lampe. « Paraît que tous les gens qui y sont entrés ont vécu quelque chose de bizarre, à un moment. » je termine, la tête penchée sur le côté.