Fusillade 3 • And then, Chaos. | Keziah, Lincoln, Loxley & Riona

Et puis autour il y a le chaos.

Cette impression de manquer d’air, d’étouffer, de ne pas y voir très clair. Je me sens comme sous l’eau, avec l’incapacité de remonter. Et soudain, ma cheville, agrippée, qui m’entraîne vers le fond, sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Je me laisse simplement entraîner, dans un dernier cri. Cri qui m’accompagne encore quand j’ouvre les yeux, le souffle court, et une pellicule de sueur qui parsème mon front. Putain de cauchemar. Et j’aurais beau tout essayer, je ne trouverais pas le sommeil cette nuit…


« Mademoiselle Harmon, si je vous interrompt dans votre petite sieste, veuillez me pardonner, mais on est dans une salle de cours ici, et pas dans votre chambre. » Crache mon professeur de sciences, et j’ai très envie de lui péter les rotules à l’instant présent. J’ai terriblement sommeil, et son cours, est encore plus soporifique qu’à l’ordinaire. Je suis plutôt du genre à suivre les cours et à être appliquée, et attentive, mais là, j’ai trop de sommeil en retard. J’ai prié mon père à plusieurs reprises ce matin, mais je n’avais absolument pas eu gain de cause, et il m’avait lui-même déposé au lycée, pour être sûr, que je serais bien assise à ma table. Mais si c’était pour dormir, j’aurais tout aussi bien pu rester dans mon lit, ça m’aurait évité de me taper l’affiche devant toute la classe. Fais chier. Une fois retourné, je me permets un soupir discret, avant de jeter un regard à la pendule, qui semble tourner au ralenti. Je lâche un grondement de frustration, avant de poser ma tête dans ma main, je veux juste rentrer et dormir. D’autant que je n’avais pas cours cet après-midi, c’était l’occasion de taper la meilleure sieste de ma vie, dans mon grand lit, sous ma couette.

Mais c’était seulement si, j’arrivais à me sortir de la merde. Parce Monsieur Delawel, a décidé de me prendre entre 4 yeux pour me faire la morale, comme quoi ce n’était pas habituel, qu’il pensait que si je continuais, j’allais risquer d’avoir des soucis. Bref, s’emballer pour rien. Ca arrive à tout le monde d’être fatigué, et je suis persuadé qu’il l’est aussi, vu les bagages sous ses yeux. Quand je sors de la salle, cette dernière est vide, mais dehors c’est le vacarme, et j’ai à peine fait un pas dehors, que je me fait marcher dessus par une marrée humaine, et même buter en pleine face, dans le buste élancé de Lincoln. « Putain, fais gaffe ! » Je lâche « C’est quoi ce bordel ? » Je balbutie, rapidement, perdue, en m’accrochant à son bras, pour pas me faire renverser par les gens qui crient et cours dans tous les sens. Puis j’aperçois une petite tête connue, tout aussi perdue que moi. Je fends la foule pour aller la rejoindre. « Keziah ! Ca va ? Restes pas là.»

On dit que le lycée, c'est nos plus belles années. Je ne sais pas qui est la personne qui a dit ça un jour, mais j'aimerais bien aller lui coller mon poing dans la tronche. Tout ce que je retenais de cet endroit, c'était une immense solitude et des repas froids, en plus d'être dégueulasses. Mais bon, il y a un vrai dicton qui raconte qu'on récolte ce que l'on sème. Et il ne m'a jamais paru aussi véridique. En tout cas, on me laissait tranquille et c'était le principal. J'essayais de ne pas écouter les murmures et m'attarder sur les regards, du moins. Les gens parlent et les choses finissent toujours par se savoir, à la longue. Alors je subissais, en silence. Parce que je l'avais mérité. Un juste revers de médaille pour l'immense connard que j'avais pu être par le passé. Et si traverser mes années de lycée de cette manière devait être mon châtiment pour avoir été un enfoiré, je l'acceptais. Tout en espérant en finir au plus vite pour me barrer le plus loin d'ici avec mes regrets et la honte qui me remplissait tout entier en croisant une crinière sombre et un visage pâle serti d'une paire d'iris d'un bleu saisissant. Je n'étais pas foncièrement seul parce que j'avais réussi à trouver des gens - qui ne devaient certainement rien savoir de mes antécédents et que je n'allais certainement pas détromper - pour braver ces heures interminables de cours, mais je ne me sentais pas plus accepté pour autant.

Je sors de la classe dès que la sonnerie retentit, pressé de me trouver un coin tranquille pour déjeuner mais je suis stoppé par la quantité astronomique d'élèves amassés de manière inhabituelle dans le couloir. Qu'est-ce que ? Si c'était pour une flash mob à la High School Musical, autant faire ça dehors parce que c'était vraiment casse-burnes. Je me fraye un passage, jouant des épaules pour essayer d'avancer et me casser à l'extérieur. Mais je finis par buter contre quelqu'un et je recule d'un pas par réflexe, levant les bras en l'air en signe de reddition. Il était tombé bien bas, le prince du collège, à sursauter comme une fillette au moindre contact inopiné. Je reconnais les cheveux blonds et le visage perpétuellement courroucé de Riona, fronçant les sourcils à sa remarque. « Bonjour à toi aussi, le bouledogue. » Et je guette les lieux du regard, essayant de comprendre quelque chose au vacarme qui secoue le couloir. La foule se met en mouvement et je vois des gens se mettent à courir comme s'ils avaient la mort aux trousses, dans le sens opposé. Le bras de la jeune fille s'enroule autour de mon bras avant de se détacher aussitôt, mon corps se figeant au prénom prononcé d'une voix claire. Même si en cet instant mon être tout entier ne rêve que de fuir, je déglutis violemment avant de suivre la blonde et d'avancer dans sa direction. M'arrêtant devant Keziah, raide comme un piquet, n'osant même pas jeter un coup d'oeil dans sa direction. Mais des hurlements retentissent au loin, suivis de coup de feu et mon sang se glace dans mes veines. Putain. « Il faut qu'on bouge de là. Tout de suite. » je siffle, les mâchoires serrées, en relevant les yeux sur le visage de la brune. La masse d'élèves se disperse, perturbée par des cris et des corps qui se télescopent et je sens ma gorge se serrer.

Il fallait qu'on trouve un coin où se planquer parce que je sentais que les choses allaient s'envenimer de plus en plus vite. Pour ne pas dire dégénérer.

Je détestais être séparée de ma jumelle, même seulement pour quelques heures. J'avais l'impression qu'il me manquait une partie de moi, de ne pas être complète. Pourtant on se trouvait toutes les deux dans le même établissement scolaire et j'essayais, à chaque intercours, de croiser son chemin, même si ce n'était que pour quelques secondes. Mais l'apercevoir me donnait force nécessaire pour affronter une nouvelle heure sans qu'elle ne soit à mes côtés. Et je savais bien que ça pouvait sembler bizarre ou presque exagéré comme réaction, mais expliquer ce que je ressentais quand elle n'était pas là, ça relevait de l'impossible. Et ça faisait sans doute parti de ce lien si complexe et étrange qu'on ressentait lorsqu'on était des jumeaux. Je me sentais plus forte quand elle était là, mais ce n'était pas foncièrement dû au fait que nous étions venus au monde à deux. Ça devait sûrement découler de nos années collège, où elle avait passé bien trop de temps à m'épauler qu'à faire autre chose. Sans elle, j'ignorais comment j'aurais tenu aussi longtemps, ni comment j'aurais fait pour me relever de ces années de harcèlement. Et même si tout ça était derrière moi, je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir une légère angoisse à chaque fois que je passais les portes d'une salle de cours, sans elle. Et c'était pire depuis qu'il était revenu. Je ne l'avais jamais recroisé, pas une seule fois. J'avais poursuivi ma vie, en essayant de le refouler le plus loin possible dans mon esprit, en espérant ne jamais recroiser sa route. Mais il avait fallut que la vie en décide autrement et le mette de nouveau sur mon chemin. De tous les lycées dans la ville, il fallait qu'il débarque dans le même que le mien. Vraiment, un immense bonheur. Pourtant quelque chose avait changé chez lui. Il ne marchait plus la tête haute, d'une allure fière et le sourire hautain qu'il affichait presque tout le temps sur son visage avait, lui aussi, disparu. Il me semblait presque éteint. Malgré tout, je n'arrivais pas à effacer toutes les horreurs qu'il m'avait fait subir par le passé et je continuais de le fuir comme la peste.

La fin des cours sonne enfin et je quitte ma salle de classe d'un pas presque trop rapide. Mais j'ai quelqu'un à retrouver et honnêtement, je meurs de faim. Mon ventre gargouille à ne plus en finir et j'ai envie d'une pizza. Je m'écarte des autres élèves pour envoyer un message à ma sœur avant de faire de même avec Tamsin. Je voulais savoir si il souhaitait se joindre à nous pour le déjeuner ou si elle préférait se nourrir d'amour et d'eau fraîche dans les bras de son petit copain. Les messages envoyés, je commence à partir en direction du réfectoire, mais je n'ai pas fait deux pas qu'une détonation retentit, me figeant sur place. Et tout autour de moi part en vrille. Mais je suis perdue, incapable de réfléchir et c'est finalement la voix de Riona qui me tire de mes pensées. Je relève la tête dans sa direction, la gorgée nouée, avant de découvrir qui l'a suivi. Et mon cœur ne sait plus à cause de quoi il s'affole. Puis de nouveaux coups de feu éclatent et je lâche un petit cri de surprise. Bon sang... Lincoln nous hurle qu'on doit bouger de là et tous mes neurones se remettent en état de marche. Il faut absolument qu'on se mette à l'abri, le temps que les secours arrivent. J'attrape la main de mon amie et je l'entraîne à ma suite, le cœur battant à vive allure, jetant un petit coup d'œil dans mon dos pour m'assurer que Rockwell est toujours là.

D'après mon expérience personnelle, avoir une petite-amie était plutôt mauvais pour la santé. Parler avec Hadlee jusqu'à tard dans la nuit avait raccourci mon temps de sommeil et je me retrouvais à somnoler sur ma chaise, la tête posée dans le creux de ma main. J'aurais donné n'importe quoi pour deux heures de sieste au soleil. Mais je devais me contenter des murs d'un blanc douteux de la salle de classe et de notre professeur de français qui avait l'habitude répondre aux questions en oubliant le concept d'espace personnel. En plus d'avoir une haleine de poney, pour notre plus grand plaisir. J'attendais la pause-déjeuner avec impatience pour piquer un petit somme sur les genoux de la demoiselle qui faisait battre mon coeur. Alors quand la sonnerie retentit, je m'étire avant de jeter la lanière de ma sacoche sur mon épaule et de filer. Mon téléphone vibre dans la poche de mon jean et je le récupère pour lire le message qui s'y affiche. Des burgers et une plage presque déserte, ça te dit ? Un sourire étire mes lèvres et je maudis cette fille pour me faire dévier du droit chemin avec autant de facilité.

Mais si je pensais rejoindre rapidement mes amis pour prendre la poudre d'escampette, je me heurte au final à une masse d'élèves agglutinés dans le couloir. Jusqu'à ce qu'un cri ne résonne, suivi de plusieurs autres et d'une vague de mouvement qui me propulse légèrement vers l'arrière, contre un alignement de casiers. Qu'est-ce que ? Une détonation retentit et je sens mon rythme cardiaque s'accélérer brusquement, ma tête se tournant vers l'origine du bruit. La cafétéria. Les autres devaient se trouver à quelques mètres à peine et cette simple idée faisait se glacer le sang dans mes veines. La foule se disperse violemment, des gens courant dans tous les sens, l'affolement prenant davantage d'ampleur à chaque seconde qui passait. Un autre coup de feu résonne et mon cerveau réalise à cet instant que la situation vire au cauchemar. Bordel. Mes jambes me portent et mes yeux fouillent le couloir à la recherche d'une pièce où se planquer. Personne n'aurait le temps de fuir. Alors la meilleure chose à faire était de trouver la cachette la plus sûre et espérer de toutes mes forces que les secours arriveraient plus vite que le drame. Je vois un groupe parcourir le corridor à quelques mètres dans l'autre sens et j'aperçois la porte d'une salle d'arts plastiques entrouverte, certainement abandonnée sur le tas après l'un des tirs. C'est notre chance. Je la pousse d'un bras avant de pivoter à moitié pour attirer l'attention des trois qui se trouvent de mon côté, les invitant avec empressement à me rejoindre. « Rentrez là-dedans, vite ! » je les hèle avant de refermer violemment la porte dans notre dos, reculant pour attraper une chaise et la coincer sous la poignée, bloquant l'accès depuis l'extérieur. « La chaise ne tiendra pas éternellement. Il faut qu'on se cache là-dedans, c'est la meilleure option. » j'explique, les mots s'échappant à vitesse folle de ma bouche, en désignant le local du fond réservé à l'entrepôt du matériel.

Pourtant, au lieu d'une profonde panique, je ressens quelque chose de froid. Et me demander comment j'arrivais autant à garder mon calme dans un tel moment me faisait peur.

C’est un putain de cauchemar. Autour ça court. Autour ça hurle dans tous les sens, et je peine à aligner deux pensées à peu près cohérentes, pour essayer de comprendre ce qu’il peut bien se passer, pour que ce soit la panique comme ça. Puis il avait fallu que je tombe sur cet espèce d’abrutit blond. « Le bouledogue t’emmerde Rockwell. Je t’ai juste dit de faire gaffe. » Et c’est pas de gaieté de cœur que je m’accroche à son bras, ais j’ai l’impression que c’est chacun pour soi dans ce putain de couloir, et que tous ces connards, ne regardent même pas devant eux. Bande d’abrutits finis. A s’agglutiner, si c’était bien ce à quoi je pensais, ils allaient juste l’attirer, et il allait tirer dans le tas, sans faire de détails, et on allait finir cette journée dans un putain de cercueil. Autant dire que ce n’est pas mon but. J’ai juste envie de me casser, et de sauver mon cul. Mais je finis par croiser le regarde Keziah, et c’est vers elle que j’accours, en jouant des coudes pour traverser le troupeau de bœufs qui détalle dans le couloir. J’essaie de m’assurer que ça va, mais ses yeux se fixent sur le grand dadet dans mon dos, qui se prends pour superman. « Si c’est pour dire des truc évident, tu peux aussi rien dire. » Je souffle, avant que la main de mon amie attrape la mienne, et qu’on s’élance à notre tour dans le couloir. Dans notre course au milieu des corridors, on croise le regard d’un immense blond, qui entre dans une salle entrouverte, et qui semble s’adresser à nous. Je bifurque automatiquement dans sa direction sans même réfléchir, et entraîne Keziah à ma suite, sachant que Lincoln allait nous suivre à coups sûrs. La porte se referme violemment dans notre dos, alors que j’ai le souffle court.

Je prends quelques secondes pour reprendre mes esprits, avant de poser les yeux sur le grand blond, qui se tient là, à nous expliquer que la porte ne tiendra pas longtemps, et qu’on n’est pas en sécurité. Mon premier réflexe, c’est d’aller ferme les stores, rapidement, pour nous protéger un temps soit peu, en écoutant son plan. Guidée plus par l’automatismes des gestes qu’on nous apprend depuis toujours, dans ce putain de pays, où on préfère vendre des armes à des connards, plutôt que de donner un système de santé potable à ceux qui en ont le besoin. « On tiendra jamais dans une si petite pièce.. » Je lâche dubitative, en ouvrant la porte. C’était pourtant notre seule solution. J’essaie de retourner mon cerveau dans tous les sens, mais je suis sûre que c’est perdu d’avance. Qu’on va tous crever ici, maintenant, alors que sous la porte qui mène au couloir, il y a une ombre qui danse, menaçante, comme une dernière valse macabre. « Il faut qu’on débarrasse quelques trucs, faire de la place au sol. » Je lâche avec un calme qui me surprends, c’est la seule solution que je vois pour qu’on puisse tous rentrer, et espérer en sortir en vie.

Est-ce que c'est trop demander que d'avoir un moment de tranquillité dans cette existence merdique ? Apparemment, oui. La journée était déjà assez pourrie pour que la blonde en rajoute et je la fusille du regard. « Bah dis-le plus gentiment la prochaine fois et peut-être que je serais plus aimable. » je siffle, avec un sourcil haussé. Pas besoin d'aller chercher bien loin pour connaître l'origine d'une telle hostilité. Elle faisait partie des gens qui savaient. Et dans les moindres détails. D'où mon raidissement complet quand son bras s'enroule autour du mien, le raz-de-marée humain qui se meut tout autour de nous créant une vague brutale qui nous repousse en arrière. Mais ce contact ne dure pas longtemps et je ne peux empêcher un soupir de m'échapper, mes jambes suivant le mouvement alors qu'elle disparaît dans la foule. Cette gonzesse était insupportable mais je ne lui souhaitais pas le moindre mal. Sauf qu'elle m'avait attiré, sans le vouloir, à l'endroit où j'aurais le moins voulu me trouver sur cette putain de planète. J'entends des cris résonner, des tirs éclater, faisant se glacer le sang dans nos veines. Puis je vois les deux filles se mettre à courir et je fais de même, croisant furtivement le regard de Keziah avant qu'elle ne reprenne sa cavalcade. En tournant dans un couloir, je vois une silhouette nous faire signe d'entrer et nous nous précipitons dans l'encadrement de la porte, le sang rugissant dans le creux de mes tempes.

Mon souffle est court et j'observe le blond caler une chaise sous la porte, en reprenant ma respiration. Puis mes yeux parcourent la pièce et je sens ma gorge se serrer en réalisant véritablement la situation. Il y avait des tarés qui canardaient dans le lycée. Qui tiraient sur tout ce qui bougeait, sans le moindre égard. Pourquoi ? Je déglutis violemment en voyant la blonde se rapprocher du local, refusant de tourner les yeux vers le dernier moment de notre improbable quatuor. « Si c'est pour dire des trucs évidents, tu peux aussi ne rien dire. » je grogne, en reprenant les mots qu'elle m'a balancé plus tôt. Puis je fais quelques pas en avant pour la rejoindre, frôlant son épaule en me baissant pour tirer des cartons à l'extérieur de la pièce. « File-moi un coup de main au lieu de causer. » je souffle, déposant prudemment mon paquet sur le côté, revenant en arrière pour recommencer avec des seaux de peinture que je cale contre ma poitrine. « Vous entendez quelque chose ? » j'interroge faiblement les deux autres, gardant mon regard obstinément tourné vers l'autre garçon plutôt que la brune. « Il faut qu'on se dépêche si on veut avoir une chance de se planquer. » je rajoute, les lèvres pincées.

Et si je semblais avoir gardé une certaine contenance, je m'estimais heureux qu'ils ne puissent pas observer la terreur qui me traversait tout entier.  

J’avais envie de pleurer. Littéralement. De m’effondrer sur le sol, me rouler en boule dans un coin et de vider intégralement mon stock de larmes pour les prochaines années à venir. Ça ne pouvait pas être réel, ce n’était pas possible… A quel moment le monde était devenu aussi fou, à quel moment les êtres humains disjonctaient suffisamment pour se lever un matin et prendre la décision de semer la mort dans les couloirs d’un lycée ? Je ne comprenais pas et très sincèrement, je n’étais même pas sûre de vouloir essayer de comprendre. Parce qu’il ne devrait pas exister de motivation assez grande pour pouvoir en arriver là… Comment est-ce qu’on pouvait prendre du plaisir à ôter la vie ? Ca me donnait envie de vomir et je me demandais comment j’arrivais encore à tenir sur mes deux jambes, tant mon corps était parcouru de tremblements incessants. Et j’ai l’impression que mon cœur va quitter ma poitrine à chaque foulée. Les tirs dans notre dos, se rapprochant toujours un peu plus me tirent de nouveaux sanglots et je serre la main de Riona, pour m’assurer que ce contact ne soit jamais rompu. Au loin, un garçon nous fait signe de rentrer dans une salle de classe et on bifurque sur le côté, avant de tous les quatre s’enfermer à l’intérieur.

Le souffle court, j’observe le blond bloquer la porte à l’aide d’une chaise. Et je suis incapable de faire quoi que ce soit. Je suis paralysée par la peur, mon cerveau refuse de coopérer et plus aucun de mes membres répond. Alors je reste au milieu de la salle de classe, tremblant de tout mon soûl. C’est à peine si j’entends les échanges de dialogues ou peut-être que si, je les entends, mais plus rien ne fait sens dans mon esprit. Puis les voix commencent à monter d’un ton et mes yeux finissent par jongler entre mon amie et Lincoln qui ne trouvent pas mieux à faire que de s’envoyer des saloperies dans la gueule. « Arrête Rio… » je souffle à son intention, mais ça ne sert à rien, les deux continuent, tout en essayant de faire de la place dans le local qui, si je comprends bien, devra nous servir de cachette jusqu’à l’arrivée des secours. Puis mon regard glisse jusqu’aux cartons en train de s’entasser sur le côté et je sens un long frisson parcourir mon échine. « Il saura qu’on est là si on les laisse ici… » je dis dans un souffle. Autant d’affaires entasser à côté d’un local prévu au rangement de ce matériel, c’était bien trop louche. Je me tourne brièvement en direction du bureau, avant de le pointer du doigt. « On peut en cacher quelques uns dessous. » J’attrape finalement plusieurs paquetages entre mes mains, parcourant la rangée de tables pour les glisser à l’abri des regards. Puis je refais le chemin inverse, me figeant soudainement devant la porte quand la voix de Lincoln parvient jusqu’à moi. Je tends l’oreille, secouant négativement la tête, avant de sursauter quand un énième coup de feu retenti. Sauf que cette fois, il est suivi d’un bruit sourd qui me semble provenir de derrière la porte et je n’ose plus bouger. Mes mains viennent subitement se plaquer contre ma bouche, m’empêchant de crier alors qu’un épais liquide rouge s’écoule depuis l’autre côté, jusqu’à atteindre mes chaussures.

Tout avait basculé d'un seul coup, d'une minute à une autre. Ce qui devait être un après-midi à la plage avec mes amis s'était transformé en un songe terrifiant. Les couloirs étaient remplis de hurlement de terreur, les élèves se mouvant et créant des vagues de violence à cause de mouvements remplis de désespoir. À cet instant, on pouvait voir que l'instinct de survie primait sur le reste. Les humains devenaient de parfaits animaux quand ils étaient en proie au danger, piétinant leurs congénères sans le moindre égard. Mon rythme cardiaque s'affole et je me mets en mouvement, moi aussi, pour chercher un endroit où me cacher. Essayer de sortir n'était même pas une option, à moins d'être profondément stupide. Pourtant, mes yeux captent deux étudiantes qui cavalent dans l'allée qui me fait face et je vois l'image de mes soeurs se superposer à la leur, subitement. Mon coeur remonte dans ma gorge et j'inspire pour passer la soudaine nausée qui m'étreint. Elles ne sont pas là, Lox. Elles ne sont pas là, bien heureusement. J'étais le plus jeune. Mais je n'arrivais pas à empêcher une violence détresse de me parcourir en imaginant où elles se seraient trouvées là, quelque part. Alors je leur crie de venir à me rencontre, suivies de près par un autre garçon et nous rentrons tous à l'intérieur en vitesse, poussés par la peur et une profonde envie de vivre.

Il y a les deux abrutis qui se lancent des piques l'un à l'autre en faisant de la place dans le local et la brune, immobile, qui ne bouge pas d'un iota. J'avance d'un pas, baissant les yeux sur son visage terriblement blême. « Hey... » je commence, mais elle mentionne les cartons, leur agencement trop voyant et ça fait parfaitement sens dans mon esprit. Et nous nous occupons d'en déloger quelques uns pour les planquer sous le bureau, histoire de ne pas attirer l'attention sur nous si quelqu'un venait à rentrer. Avant de tendre l'oreille à la question du châtain, secouant la tête. Puis un tir retentit, tout près. Trop près. Suivi d'un bruit lourd contre la porte. Mes yeux voyant le sang couler par l'interstice sans comprendre réellement, sans mesurer la réalité de ce qui vient de se passer. Je cligne des yeux, une fois, deux fois. Mon palpitant cherchait à s'enfuir de ma cage thoracique et il y a un martèlement incessant qui pulse dans le creux de ma tête. « Il faut qu'on se cache. Maintenant. » je souffle, sans réussir à bouger le moindre muscle. Comme si j'étais gelé, incapable de mouvoir mes membres, les yeux rivés sur le scène glaçante qui se trouvait devant moi.

Tétanisé par la flaque couleur carmin qui continuait de s'étendre sous la porte, qui grignotait le sol en essayant d'atteindre nos pieds.
  

La course est aussi folle que le rythme des battements de mon cœur, j’ai l’impression de devenir folle, que je ne vais jamais reprendre contenance. Les balles fusent, et rebondissent sur le sol, claquent dans leur voyage funeste jusqu’à toucher certains élèves qui n’avaient rien demandés. Qui étaient là, parce qu’il fallait être là, pas pour mourir sous la folie de l’homme au fusil d’assaut. J’ai la trouille de ma vie. La trouille que ce connard à l’arme braquée, m’enlève ma vie, enlève la vie à des proches. On finit par trouver refuge dans une salle d’art, avec un garçon que je n’ai jamais vu, mais qui accepte de partager sa cachette. Je sens le sang pulser de partout dans mon corps. L’impression d’être vivante, mais de mourir à petit feu en même temps, d’angoisse, d’un trop plein d’adrénaline. Et il y a Lincoln, qui pense que faire des traits d’humour, est de bon augure. «  T’as un problème Rockwell ? » Je grogne à son intention, sans même écouter la voix étouffée de mon amie. Je me permets de lancer un regard noir au châtain, avant qu’il ne se mette en mouvement, et commence à ôter les cartons qui jonchaient le sol du cagibi à l’arrière. A contre cœur, je viens lui filer un coup de main, suivant le conseil de Kezi, et allant déposer quelques objets sous le bureau. Espérant que ça suffise.

Mais un bruit sec, me fait lâcher le pot que je tenais entre mes mains. Puis un choc contre la porte, et le sang qui se diffuse sous la porte, pour courir jusqu’à nous. Et je ne sais plus bouger, figée par la vision d’horreur, et le temps qui semble s’être arrêté, figé, quand le cadavre d’un camarade, avait touché la porte, comme dernier instant de vie. Putain d’enfoiré de malade mental de merde. Je suis complètement ahurie par la violence de la scène, qui s’encre dans ma tête plus que n’importe quoi. J’ai l’impression que le contenu de mon estomac pourrait virer sur le sol, mais le blond finit par hausser la voix, enfin autant que possible pour qu’on ne se fasse pas remarquer. Keziah et Lincoln se ruent dans le placard, alors que je reprends contenance, et remarque qu’il ne bouge toujours pas. Je m’avance à sa hauteur, pour l’attraper par le poignet, et le tirer à ma suite dans le placard, que je referme presque aussi vite. Le palpitant rageur dans la poitrine, je peine à contenir la vitesse tout aussi affolante de ma respiration, mais bientôt, un son me donne toute envie de cesser de respirer. Bam. La chaise s’écrase au sol, de l’autre côté, j’entends le craquement du bois. Puis des pas, sourds, et lourds. Les larmes affluent dans mes yeux. J’entends le bruit du métal de son arme. Je pourrais presque entendre son souffle. On recule, tous, silencieux, jusque dans le fond du placard, au sol, pour se protéger un maximum.

Puis une nouvelle pluie de balles, tirées dans notre direction. Et j’ai l’impression de mourir, tant les quelques secondes où il canarde la porte, me semble interminables. Jusqu’à ce qu’une violente douleur m’irradie tout le bras, et que je me morde l’intérieur de la bouche pour ne pas hurler. Bordel.

Il m’a eue.

On était faits comme des rats. Ce n'était qu'une question de minutes, je le sentais. Caler une chaise sous une poignée de porte n'allait pas empêcher ces malades de rentrer et je sentais l'angoisse remonter à toute vitesse le long de ma gorge. Tout explosait autour de moi et je me sentais vaciller un peu plus à chaque minute qui passait dans cette pièce. Mais il fallait faire de l'espace et vider ce putain de local pour avoir une chance de s'y planquer si on voulait survivre à cet enfer. La remarque de Keziah fait son chemin jusqu'à mes oreilles et je comprends qu'elle a raison, alors je me contente de déplacer quelques cartons derrière une large étagère pendant qu'ils en dissimulent d'autres sous la bureau réservé d'habitude au professeur. Ma question concernant la situation reste sans réponse et je me retourne au bruit sourd qui résonne contre la porte, pour voir les deux autres figés et leurs visages baissés vers le sol. Mes yeux rencontrent la flaque carmin qui s'étend par terre et je refoule difficilement une soudaine envie de vomir. Bordel. Mon coeur se met à pulser davantage dans ma cage thoracique et je sens mes mains trembler en déposant mon fardeau sur le sol. Et j'essayais simplement de ne pas penser à ce qui se trouvait de l'autre côté pour ne pas perdre définitivement la raison.

La voix du blond résonne et mon corps se met en mouvement de lui-même, m'emportant en direction de la minuscule remise. La brune entre la première et je la suis avant de me jeter au sol, dans un coin. Les deux autres mettent à peine quelques secondes à nous rejoindre et la ferme se referme, nous plongeant dans le noir. Presque simultanément, j'entends la porte se fracasser et la chaise valdinguer sur le sol dans un bruit sourd. Le coeur au bord des lèvres, je ferme les yeux en plongeant mon visage dans le creux de mes mains. Mordant mes lèvres à m'en arracher la peau pour ne pas émettre le moindre son. Je vais mourir. C'est la seule pensée qui tournoie sans cesse dans ma tête. On va tous crever dans un local d'arts plastiques à cause d'un malade mental. Et je retiens un sanglot entendant le bruit de son arme, tout près. Avant de sentir tout éclater à l'intérieur de moi quand la première balle traverse le bois pour se ficher dans le mur d'en face, non loin de nous. J'ai envie de hurler et de pleurer, j'ai envie de fuir aussi loin que possible de cet endroit. J'ai envie que tout s'arrête, que ce barbare s'en aille et j'aimerais que ces images terrifiantes arrêtent d'envahir mon esprit. Les tirs fusent dans notre direction chacun d'entre eux me tirent un spasme de terreur. Puis un geignement résonne faiblement d'un côté et je cherche dans l'obscurité à savoir à qui il appartient. Mais la rafale s'arrête soudainement et quelques rais de lumière traversent la pièce à cause des trous causés par les projectiles. Un goût métallique envahit ma bouche mais je continue à serrer les mâchoires pour rester silencieux.

Le pire, c'était de ne pas savoir si ce taré allait finir par ouvrir la porte. Si il allait finir par nous trouver et nous coller une balle dans le front pour terminer son oeuvre. Et cette incertitude me filait la nausée. Mais de nouveaux pas résonnent de l'autre côté de la porte et je ne me suis jamais senti aussi démuni qu'à cet instant. Pourtant, au moment où j'avais presque abandonné tout espoir d'en réchapper vivant, le bruit s'éloigne de plus en plus, avant de disparaître. Juste comme ça. Et je mets quelques minutes à le réaliser, avant que des larmes tièdes ne viennent mouiller mes joues.