Looks like a bad remake of Baywatch. (Jalec #2)

Ma peur de l'eau ne venait pas de nulle part. Elle résultait de quelques infimes minutes à me battre contre l'eau stagnante de l'étang à côté de notre maison. À suffoquer, coincé sous la surface, à battre vainement des bras pour essayer de remonter vers la lumière qui s'éloignait un peu plus à chaque seconde. Je me souviens de cette impression de perdre le fil, de me sentir ployer davantage, de comprendre que je n'allais pas réussir à m'en sortir. Cette sensation d'un poids qui opprimait ma poitrine, en plus de l'eau qui s'infiltrait dans mes poumons. Les ténèbres qui m'entouraient, qui grandissaient à mesure de mon corps qui retombait vers le fond. Quelques minutes d'horreur à subir, à me démener pour ne pas sombrer dans l'inconscience. Puis le noir, qui était finalement venu, le néant qui m'avait tendu les bras. Jusqu'à cette claque cuisante qui m'avait laissé pantelant sur l'herbe, les habits détrempés. J'avais regardé le bleu du ciel pendant de longues secondes, ma poitrine secouée de soubresauts, à me rappeler comment respirer. À me demander comment est-ce que j'étais passé des profondeurs sombres à la clarté de l'extérieur, de la terre ferme. Enfin, un froissement m'avait fait tourner la tête douloureusement pour apercevoir une silhouette déguerpir dans un trou au milieu de la haie. Même pas un visage, seulement une forme trouble à cause des gouttes amoncelées sur mes cils, à cause de l'oxygène qui remontait dans ma cervelle, qui m'étourdissait après cette reprise avec la réalité. J'avais gardé ce souvenir enfoui dans ma mémoire mais je me le rappelais avec une précision presque dangereuse, dans les moindres détails. Et j'avais longtemps espéré avoir la chance de pouvoir remercier cette personne de m'avoir sauvé la vie, de s'être jeté dans l'étang pour repêcher un illustre inconnu.

Mais je comprenais seulement à cet instant que j'aurais pu le faire depuis longtemps, si j'avais su qu'elle s'était toujours trouvée à mes côtés. 

C'est compliqué à expliquer. Mes sourcils se froncent et je le regarde reculer pour s'asseoir dans le sable, soudainement refermé sur lui-même. Je le voyais à la manière dont il avait imposé une distance entre nous, à ses épaules qui s'étaient affaissées, à son visage ostensiblement tourné vers le sol. J'avais peur. « Peur de quoi ? » je demande, dans un souffle. Je voulais comprendre. Savoir la raison pour laquelle il m'avait caché ça alors que c'était un événement qui m'avait profondément marqué. Savoir pourquoi il s'était obstiné à garder le silence alors que son geste n'avait rien de mauvais, au contraire. Je l'écoute me parler, me rappeler à nouveau le milieu dans lequel il évoluait depuis toujours, celui dont j'avais parfaitement conscience et qui ne m'avait jamais fait changer d'avis sur lui. Ses parents n'étaient pas des gens spécialement recommandables mais ils ne définissaient pas qui il était. En tout cas, à mes yeux. Il le savait, je le lui avais déjà dit. Mais ça n'avait jamais semblé suffisant, apparemment. Pourtant, si ça avait été quelque chose qui m'importait, nous ne serions plus amis à l'heure qu'il est. Mais Alec comptait énormément pour moi, plus que n'importe qui d'autre. J'allais prendre la parole quand il se remet à se confier et mes lèvres se ferment à nouveau. Il ne se confiait que rarement et ces instants étaient précieux, quand ils arrivaient. Alors je me contente de tendre l'oreille, d'observer son visage à mesure des paroles qui s'échappent de sa bouche. J'ai eu peur qu'en t'avouant la vérité, les autres s'imaginent que je voulais acheter ton amitié ou que j'essayais d'influencer ton opinion à mon sujet. Je comprenais ses réflexions et les peurs qu'avait pu avoir l'enfant qu'il avait été, par la passé. Compte tenu de son enfance et du contexte particulier dans lequel il avait grandi, il avait simplement été terrifié de perdre son seul ami. Et je ne lui en voulais pas, à aucun moment. Je ne pouvais m'empêcher d'être triste de ne pas avoir pu l'apprendre avant, d'avoir vécu toutes ces années auprès de lui sans avoir la moindre idée de son implication dans cet événement, sans pouvoir le remercier à sa juste valeur. Mais il n'y avait aucune rancoeur, aucun sentiment de trahison.

Ça ne va rien changer, pas vrai ? Sa voix est basse, ses mots sortent faiblement, remplis d'une appréhension qui transparaît par tous les pores de sa peau. Mes yeux le regardent différemment, c'est vrai. Mais il ne m'a jamais paru aussi époustouflant qu'à cet instant précis. Il semblait ne pas mesurer la portée de son geste. La manière dont il avait fendu l'eau pour me sauver, une seconde fois. Comme si ça ne lui paraissait pas digne d'être considéré. Alec n'avait pas la moindre confiance en lui, malgré l'aura qu'il dégageait habituellement. Et même si je le savais déjà, j'avais l'impression de me le prendre en pleine gueule avec une violence inouïe. « Pourquoi est-ce que ça changerait quelque chose ? » je lâche, en penchant la tête sur le côté. « Ça ne me fait que me prouver encore plus à quel point te rencontrer est la meilleure chose qui me soit arrivée. » je souffle, avec un léger sourire. J'avais le sentiment de me retrouver face à un petit garçon qui crevait de peur d'être abandonné. Alors qu'il n'y avait aucune raison pour que ça soit le cas. Je crois qu'il pourrait se passer n'importe quoi que ça ne me ferait jamais d'avis à ce sujet. « Tu es une belle personne, Al. N'en doute jamais. » Mes yeux sont rivés dans les siens et je n'ai jamais été aussi sérieux qu'à cet instant. Puis je déglutis avant de reprendre contenance. « Ce n'est pas pour rien que ma mère t'apprécie autant. » je rajoute, avec un clin d'oeil. Mon souffle a retrouvé son rythme habituel mais mon coeur continue de battre follement dans ma poitrine. Ce n'est pas pour rien que je t'apprécie autant, moi aussi. Je finis par me redresser prudemment, jouant de mes membres avec quelques grimaces avant de tendre la main dans sa direction. Observant le remous des vagues avec un frisson avant de sourire à la main qui vient finalement se fondre dans la mienne. Le brun se redresse et nous finissons par marcher côte à côte, les habits collant à la peau. « Il me semble qu'il y a de la pizza qui nous attend. » je lâche, baissant les yeux pour atteindre son visage. « J'espère que les mouettes ne sont pas venues se servir. » je grommelle, avant de voir Alec presser subitement le pas. La pizza était un sujet extrêmement sensible à ses yeux et je ne préférais pas imaginer le cas où les volatiles étaient vraiment venus picorer dans nos cartons. « Hey, attends-moi ! » je glousse avant de le suivre précipitamment, comme si le souvenirs des dernières minutes était déjà en train de faner, contrairement aux émotions qui s'entremêlaient à l'intérieur de moi.

Non, je ne pouvais pas dire que les choses n'allaient pas changer. Parce que ça serait mentir, faire abstraction des palpitations au creux de ma poitrine quand je posais les yeux sur sa silhouette nimbée de lumière.

Mon sauveur.
     
@Alec Fitzalan