The Award of the awkwardest moment. (Raisya #1)

Pendant un court instant, j'ai eu l'espoir d'être acceptée par ma famille. J'ai cru, bêtement, qu'ils sauraient passer outre leurs valeurs pour moi. Par amour pour leur seule et unique fille. Mais j'avais percuté le mur de plein fouet, en voyant leurs visages débordants de déception. Comment est-ce que j'avais pu être aussi bête ? Ils n'auraient jamais pu se résoudre à vivre avec une fille qu'ils considéraient comme indigne. Ou alors ils auraient simplement essayé de la ramener dans le droit chemin. Ce n'était pas l'existence que je voulais mener et j'avais décidé de m'enfuir avant qu'il ne soit trop tard, avant que les choses ne s'enveniment. Parce que j'étais parfaitement consciente que ça se serait mal fini, si j'étais restée chez moi. Mon père m'aurait forcé à faire des choses qui heurtaient mes propres désirs. Il aurait balayé mes supplications d'un revers de main pour imposer sa propre volonté. Pour suivre l'image et les coutumes qu'on lui avait enseigné. Et j'aurais certainement fini par devoir rencontrer un homme et me lier à lui alors que c'était la dernière chose dont j'avais envie. Je préférais vivre dans la rue et crever la dalle plutôt que de continuer à agir aussi faussement pour leur faire plaisir. Et j'étais partie. Tout simplement. J'avais ramassé des affaires dans un sac, ouvert la fenêtre de ma chambre et j'avais disparu. J'avais erré dans la nuit, longtemps, sans le moindre but. Une boule dans la gorge, l'estomac noué. Puis j'avais traîné dans les rues comme un chat de gouttière jusqu'à apprendre l'existence du Refuge. Ce toit même qui avait été posé au-dessus de ma tête, cette chambre confortable. Cette main tendue pour m'aider à accepter, pour me protéger de l'intolérance du monde qui m'entourait. Ce soutien sans failles de la part de deux inconnues, alors même que mon propre sang reniait ma véritable nature. On me comprenait parce que la plupart des gens avaient vécu sensiblement la même chose et c'était rassurant. Et ça me permettait d'avancer, petit à petit, d'accepter cette part de moi que ma propre famille avait toujours refusé de voir, cette essence de mon être avec laquelle je tentais de concilier, jour après jour.

Le destin - ou le karma, j'avais du mal à me décider - avait décidé d'être joueur aujourd'hui, me permettant d'avoir un moment privilégié avec la demoiselle qui me faisait face. Celle qui taraudait mon esprit, qui faisait battre mon coeur plus rapidement que d'habitude. Rain et ses yeux clairs, Rain et ses petites moues adorables. Rain et son âme rayonnante, d'une infinie candeur. Je me faisais l'effet d'un papillon attiré par la lueur d'une flamme, incapable de résister. Sa silhouette est toute proche et mon souffle, court. Il fallait qu'elle fasse quelque chose, qu'elle parle. Qu'elle dévie mes pensées de la courbe sensuelle de sa bouche, sous peine d'un instant de pure impulsivité. Elle aurait pu s'extasier sur la beauté des carreaux de la salle de bain que ça serait revenu au même. N'importe quoi, avant que je ne fasse un pas supplémentaire. Je déteste les bananes. Mes lèvres se plissent et je l'observe en battant des cils, hébété. « Pardon ? » je souffle, un sourcil haussé. Je ne m'attendais pas vraiment à ça. Mais soit. Très bien. La suite me tire un gloussement et je secoue la tête. Mon Dieu. Cette fille était vraiment un phénomène. « Je vois. » Je pense que l'incongruité de cette réflexion me permettra de ne pas oublier. « Est-ce que c'est un message codé ? » je rajoute, avec un sourire goguenard. Sait-on jamais. Mais je n'ai pas le temps d'approfondir la question, en voyant la porte s'ouvrir dans son dos. Sauf que mon équilibre est plus que précaire et que je n'ai pas le temps de reculer, une pression sur ma serviette m'entraînant en avant. Au secours. Je m'étale de tout mon long sur elle, figée par la surprise et le contact étroit entre nos corps. Je répète : au secours. Je n'ose plus faire un mouvement et j'arrête momentanément de respirer. Bordel. Mes mains sont posées à plat sur le sol, de part et d'autre de ses épaules, mon visage à moitié enfoui dans le creux de son cou. Je relève un peu la tête pour observer la jeune femme mais le sien est ostensiblement tourné vers le haut, me faisant pivoter pour suivre la direction de son regard. Et mon corps se tend davantage en constatant la présence de son frère. Difficile de manquer la ressemblance entre les deux, entre les cheveux blonds, les pommettes ciselées et les yeux clairs. « Ahem...Salut. » je marmonne, les rouges cramoisies. Avisant sa moue perplexe et prends appui sur un bras pour remettre ma serviette en place d'un tour de main, me redressant tant bien que mal pour me remettre debout sans exposer ma peau pâle au reste de l'assemblée. Même si Rain devait avoir eu un aperçu à travers le tissu spongieux. J'ai envie de mourir, en cet instant. « C'est un malentendu, d'accord ? » je tente, en faisant un pas en arrière. « Un malentendu ? » Vu sa tête, il n'a pas l'air vraiment convaincue par mes paroles. Et ça peut se comprendre, quand on a pas le contexte en entier. « Un problème de poignée. » je rajoute, en hochant vivement la tête pendant qu'il aide sa soeur à se relever. Je n'ose même plus poser les yeux sur elle, présentement. J'ai l'impression d'avoir été prise en flagrant délit alors que je n'ai strictement rien fait. Certes, j'ai "failli". Mais c'est un détail. « Je- Je crois que je vais vous laisser, hein ? » je baragouine maladroitement, resserrant mes bras sur les pans de ma serviette, comme si elle allait finir par fusionner avec ma peau. « Je dois m'habiller, sécher mes cheveux, tout ça. » Oui, enfonce-toi encore plus, Des. Va-t-en. Sauve les maigres restes de ton amour-propre. J'ose jeter un regard à la blonde, me mordant la lèvre inférieure. Puis mes yeux glissent vers son frère qui l'observe intensément avant de revenir vers moi et je sens le poids des questions qui flottent dans son regard. « À plus, Rain. » je bégaie avant de pivoter et de littéralement fuir vers ma chambre, claquant la porte et plaquant mon dos contre celle-ci, le souffle court.

Mon dieu. Ce moment était le plus gênant de ma vie, je crois. Et un rire clair traverse ma gorge pour résonner dans la pièce, ma main passant sur mon visage et recourbant mes cheveux colorés vers l'arrière.

Même si j'étais mortifiée, j'attendais notre prochaine rencontre avec impatience.