Ce château de fortune, il était polyvalent. Il avait abrité tellement de souvenirs qu'il m'était impossible de tous les décrire. Comme nos premières soirées d'anniversaire, ou ces instants décisifs où nos parents acceptent enfin de nous laisser dormir toute la nuit dans une autre maison que la nôtre. Des moments d'été à observer les étoiles à travers l'ouverture des draps, d'autres à glousser devant la forme de certains nuages dans l'après-midi. Des instants de grand frisson en regardant une série un peu plus lugubre ou de grands éclats de rire en se racontant des anecdotes. Des secrets murmurés au creux des couvertures, des rêves à accomplir, des espoirs qui étaient nés dans cette pièce recouverte de moquette. De la joie. De la peine. Du réconfort. Il servait aussi de rempart avec l'extérieur, comme à présent. De protection contre la nature qui se déchaînait au-dehors, qui éclatait violemment et tirait de brusques frissons à ma meilleure amie. Ses bras sont serrés autour de ma taille, répandant une chaleur le long de ma peau, à travers le tissu de mon tee-shirt. Je resserre ma prise contre elle, nos deux corps lovés l'un contre l'autre, son visage enfoui contre mon torse. La pénombre est parfois illuminée pendant quelques secondes à cause d'un éclair et je redoute le moment où le tonnerre suivra, vrombissant tout autour de nous. Mais on ne peut qu'attendre que l'orage passe, fermement enlacés. Je comptais sur la longévité de ma lampe-torche pour tenter d'apaiser la terreur d'Anja mais elle finit par m'abandonner, nous plongeant dans le noir complet.
Bordel. Je sens ses membres trembler contre moi, mes dents venant mordiller ma lèvre inférieure. Son souffle se raccourcit, signe de son angoisse qui remonte à la hausse et je dois agir avant qu'elle ne perde complètement le contrôle. Je n'arrivais jamais à décrire la peine immense qui me traversait quand je la voyais dans cet état. Elle ne se maîtrisait plus et elle était réduite à un petit être secoué de spasmes, les joues ravagées par les larmes. Si j'en avais eu le pouvoir, j'aurais balayé les nuages d'un coup de main pour retrouver le beau temps. Je l'appelle mais elle ne répond pas et mes mains remontent pour chercher les contours de son visage. Encadrant celui-ci, mes paumes posées contre ses joues, réfléchissant à vive allure. Il fallait qu'elle revienne à moi, qu'elle retrouve la raison et qu'elle remonte à la surface.
Je devais trouver quelque chose qui l'oblige à se concentrer sur autre chose que sa crainte.
Quelque chose rugit à l'intérieur de moi, subitement. Un lien se brise et ma tête se penche en avant pour trouver sa bouche, maladroitement. Pressant ses lèvres tièdes, un frisson balayant ma colonne vertébrale quand je sens ses mains s'agripper à mon tee-shirt. Une fois, deux fois. Comme si c'était la chose la plus normale du monde. Comme si ça aurait déjà du être accompli depuis longtemps. Comme si j'étais parfaitement à ma place, en cet instant précis. Elle recule et je me fige, les joues brûlantes. Je remerciais l'absence de lumière pour dissimuler le profond trouble qui m'ébranlait, pour cacher la gêne qui réchauffait mes pommettes. Mon coeur palpite bruyamment dans ma poitrine et j'ai l'impression que ça se répercute à travers toute la chambre. Mes mains se crispent légèrement de part et d'autre de son visage et j'ose à peine respirer. J'avais peur de sa réaction, de ce que ça pouvait entraîner. Est-ce que ça allait tout changer entre nous ? Pourtant je n'arrivais pas à ressentir la moindre pointe de regret. Ce geste, il me paraissait inné. Il coulait de source, désormais. Anja était la personne qui comptait le plus à mes yeux et je m'étais sincèrement fourvoyé, en croyant que c'était de la simple amitié. Alors que j'avais le sentiment que quelque chose venait d'éclater dans ma cage thoracique, quelque chose qui n'attendait que d'être exposé au grand jour.
Qu’est-ce que…ça signifie…? Pour toi… Sa voix résonne dans le silence et je ressens toute son incertitude dans cette simple question. Tout et rien à la fois. Une évidence, si je devais être honnête. «
Je... » je bafouille à mon tour, avant d'être interrompu.
Parce que j’ai terriblement envie que tu recommences. Je pense que mon coeur s'arrête de battre pendant quelques secondes à cette annonce. Avant de tambouriner vigoureusement dans ma poitrine, comme s'il cherchait à s'en échapper. Mes pouces effleurent à nouveau le creux de ses joues et j'exhale un rire incroyablement libérateur, rempli d'une joie profonde. «
À vos ordres, mon capitaine. » je susurre, avant de revenir à la charge. Glissant mes lippes contre les siennes, appréciant cette fois leur texture, le goût sucré des pop-corn qui y réside encore. Savourant son parfum qui flotte autour de moi, la chaleur de sa peau sous mes doigts et la justesse de cet instant. Puis je me rappelle qu'il faut respirer et je recule à mon tour, juste assez pour prendre une grande inspiration. Mes lèvres s'étirant en un doux sourire contre sa bouche. «
Tu es la personne la plus importante à mes yeux, Anja. » je murmure, mes doigts venant effleurer le contour de sa joue. «
Et je serai là pour t'aider à traverser tous les orages. » Je dépose un baiser furtif sur le bout de son nez, pris d'une envie subite. Avant de reculer pour m'installer confortablement sur le matelas, glissant mon bras sous sa nuque pour l'enrouler autour de ses épaules. «
J'imagine qu'on va se voir encore plus souvent, maintenant. » je rajoute, dans un souffle. Avant de glousser légèrement en imaginant la tête de nos parents. Même si ma mère me soutenait depuis le début que nous étions faits l'un pour l'autre. Et la sienne, quand elle avait le dos tourné. Je n'y peux rien si je suis le gendre idéal. Puis je dépose un baiser sur le haut de sa tête, apaisé par la chaleur de son corps lové contre le lien.
J'étais exactement à la place où j'avais toujours voulu être. À ses côtés.
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