Diplomatic alliance, they say. (Zeliban #1)

« Tu ne devrais pas être là-bas avec eux, Zella ? » Baissant les yeux de ma mixture rougeâtre, je ne m'arrêtai cependant pas d'écraser rageusement la racine d'angélique dans mon mortier. Il ne fallait pas attendre qu'elle sèche et l'utiliser dans les heures qui suivaient la récolte pour éviter qu'elle ne perde ses propriétés anti-spasmodiques. « Pour célébrer mon union délibérément diplomatique sans même la présence de mon futur mari ? Merci, mais non merci. » lançai-je avec désinvolture, avant de continuer à verser la grossière préparation dans un chauffe-eau. Un parfum âcre, puissant s'en dégageait à mesure des minutes écoulées et la silhouette de ma mère n'avait toujours pas disparu entre les lourdes tentures de ce qui était notre habitation depuis quelques jours. « Tu m'en veux. » Ce n'était pas une question et nous le savions toutes les deux. Je touillai la bouillie avec une spatule en bois avant d'éteindre le feu, versant celle-ci dans un petit pot en verre. Une fois refermé, je le glissai dans la sacoche en toile qui ne me quittait que rarement, le tout sous le regard de ma génitrice. « Oui, je vous en veux. Au clan de ne pas savoir régler ses problèmes sans utiliser des gens innocents, qui n'ont strictement pas demandé à se trouver dans ce merdier. Et à Smallwood de ne pas avoir eu le couilles de se montrer depuis qu'on est arrivés ici. » Parce que j'avais beau détester cette situation, je m'étais dit qu'il y aurait toujours la possibilité de s'entretenir pour renverser la situation, trouver un arrangement. Mais c'était impossible à concrétiser quand l'autre moitié fuyait les lieux comme la peste. Ma maison perchée me manquait, mon laboratoire aussi et je commençais doucement à désespérer. S'il ne voulait pas se montrer, j'allais aller le chercher et j'allais le ramener par l'arrière de son froc, s'il se fallait. Je ne voulais être pas venue pour rien et je n'allais certainement pas être la seule à faire face à ses responsabilités. « Où est-ce que tu vas ? » me demande-t-elle quand je passe à ses côtés pour rejoindre l'extérieur de la hutte. Un léger sourire étire mes lèvres, rempli d'une sorte de férocité mêlée à de la pure malice. « Le chercher. » je souffle, avant de rejoindre l'immense enceinte du territoire. Capuche rabattue sur la tête, je cherche un endroit qui n'est pas fréquenté par la garde pour me hisser sur une branche solide et rejoindre mon élément. J'allais pouvoir avancer beaucoup plus vite que prévu, à travers la canopée.

La teneur de notre enseignement nous avait forgé les sens et je pouvais me permettre de dire que j'avais un odorat plus développé que la moyenne. Je reconnaissais les gens à leur parfum, la plupart du temps. À cette fragrance subtile qui leur collait à la peau, qui s'engouffrait dans l'air à leur passage. La discrète violette odorante qui tournoyait autour de ma mère, le chèvre-feuille qui marquait la fraîcheur et la droiture de mon père. Le muguet, fleuri, que je sentais ramper sur la peau de mon meilleur ami, quand il passait des heures à s'étendre près de la rivière. Et le cèdre, qui s'était invité dans mes narines lorsque nous étions passés nous présenter à la famille de l'élu, qui n'avait pas daigné faire acte de présence. Mais ce fumet boisé avait envahi mes sens et imprégné ma mémoire, flottant en légères volutes autour de moi. C'était grâce à ces notes purement sylvestres, mélangées à un musc purement masculin que j'arrivais à déterminer la direction qu'il avait pris. Les odeurs ne s'estompaient qu'après plusieurs et longues heures, à moins qu'une pluie ne vienne détruire les preuves. Et je bondissais de branche en branche, voltigeant entre les grands arbres, alors que le jour déclinait de plus en plus. La luminosité ainsi diminuée, je ne devais compter que sur mon arsenal sensoriel mais je sentais que la voie était bonne. Accroupie sur un tronc, prenant de la hauteur, j'aperçois de la lumière et une silhouette qui se déplace furtivement. Glissant ma main dans ma sacoche, j'en retire une paire de jumelles vieilles comme le monde, aux verres sales et griffés mais qui fonctionne assez pour me permettre d'y voir quelque chose. D'après la description et l'emprunte olfactive qui s'en faisait plus forte, je pouvais imaginer que je me trouvais en présence de mon futur mari. Mais je ne pus empêcher mon instinct de survie de titiller ma raison et c'est une lame à la main que je m'approchai, toujours perchée, jusqu'à me trouver à quelques mètres seulement. Son dos m'était présenté comme une offrande et un sourire diabolique étira ma bouche avant que je ne redescendre le plus discrètement possible. La dernière branche fut mon point d'appui et je m'élançai dans les airs pour atterrir dans son dos.

Ce que je n'avais pas prévu, c'était la lame jumelle qui se fit pressante contre ma jugulaire. En parfait miroir avec la mienne, placé dans son cou basané. Il s'était retourné en quelques secondes et nos regards tout aussi sombres jouaient à un jeu dangereux. Attendre de voir qui craquerait le premier sous la pression, qui oserait appuyer le fer plus profondément dans la chair. Suf que j'étais tout sauf patiente et que je ne comptais pas passer la soirée au beau milieu de nulle part. « On ne t'a jamais expliqué que c'était déplacé de faire attendre une femme ? » je lance, un sourcil haussé. Nous n'avons pas bougé d'un centimètre et la tension se fait ressentir dans mes muscles. « Surtout quand elle va devenir la tienne ? » je rajoute, avec sourire mauvais.