What time is it ? Picnic time ! (Minjin #3)

« D'ailleurs, est-ce que tu sais si vous avez un jour de repos prochainement ? » me questionne Ha-Ru, en plein milieu de notre discussion. Je me redresse en position assise sur le lit et lance un rapide coup d'œil au planning que Min avait prit soin d'afficher au-dessus de son bureau. Il était organisé pour nous deux et c'était une véritable chance. « Dimanche prochain, à priori. Pourquoi ? Je te manque déjà ? » je demande, moqueur. Je n'avais pas revue ma famille depuis le dîner que mes parents avaient organisé, sauf par appel en visio, comme maintenant avec mon frère. C'était compliqué pour tout le monde, mais surtout pour moi. Je n'étais pas libre de mes mouvements, continuellement surveillé et encadré par un garde du corps. Je ne m'habituais pas à avoir constamment une deuxième ombre dans mon dos, mais ce n'était pas quelque chose dont j'avais le choix, de toute façon. Tout ça pour dire que des journées entièrement libres dans notre emploi du temps, c'était suffisamment rare pour que ça ait le mérite d'être souligné. D'autant plus que la sortie de notre premier single approchait à grand pas, alors entre sa promotion, nos entraînements et les différentes interviews à donner, il y avait toujours quelque chose de prévue. « Je devrais pouvoir survivre sans voir ta tête encore quelques semaines, namdongsaeng. » Est-ce que je m'offusque ? Légèrement. N'étais-je donc pas un être indispensable à sa vie ? « La fin du mois approche et notre journée au parc d'attraction avec Nae aussi. » Il avait évoqué cette tradition nouvelle qu'il avait mit en place pour passer un temps privilégié avec Jinae et j'avais trouvé ça particulièrement adorable. « Et elle a très envie que Na-Rim nous accompagne... » Je crois qu'il me faut quelques secondes pour assimiler la nouvelle, puis je cligne finalement des yeux avant de froncer les sourcils. « Toi ou Nae ? Ce n'est pas bien de faire porter le chapeau à ta fille. » Il prend cet air que je lui connais que trop bien et qui signifie que j'entre sur un terrain glissant. « Ne commence pas, Yang-Jin. » Je grimace à l'entente de mon prénom en entier, sans pour autant me défaire de mon sourire narquois. « Ma nièce ne veut pas plutôt que son super tonton vienne avec vous ? » J'entends Jinae s'insurger depuis l'autre bout de la pièce, Ha-Ru en profitant pour me jeter un regard qui veut dire "Tu vois, je te l'avais dis" et la petite tête de Nae apparaît sur mon écran. « Pas tonton Jin ! Nana ! » Je suis blessé. Touché dans mon amour propre. Même ma nièce préférée ne voulait pas de moi. Est-ce que ça allait pour autant m'empêcher de les charrier tous les deux, mon frère et elle ? Pas le moins du monde.

Le dimanche tant attendu arrive et je suis excité comme une puce au salon de la moquette. J'avais réussi à négocier avec Na-Rim pour qu'on puisse sortir nous aussi. Bon, j'aurais préféré aller à la fête foraine pour les espionner, mais à peine avais-je évoquer ce début d'idée que Min l'avait fait mourir dans l'œuf. J'avais donc proposé le plan B qui était d'aller faire un pique-nique sur la plage. Je connaissais des coins plus tranquilles et moins fréquentés, ce dont on avait particulièrement besoin, vu notre popularité croissante des dernières semaines. « On est vraiment obligé de se coltiner des gardes du corps ? » je demande, presque en chouinant de désespoir à Na-Rim, avant qu'on parte. Je peux lire l'agacement que lui procure cette question dans ses yeux et je pense que s'il elle en avait l'occasion, elle me ferait passer l'envie de toujours tout négocier. Oups. « Oui. Ce n'est pas négociable, Jin. » Son ton est suffisamment ferme pour me faire passer l'envie d'en rajouter une couche, mais je n'en pense définitivement pas moins f. « Ce n'est pas juste. » Elle soupire. « Rien n'est juste dans la vie. Par exemple, je n'ai pas choisi d'être ton agente et de me coltiner ta présence, mais ce n'est pas pour pourtant que tu m'entends me plaindre. » Touché. Je la foudroie tout de même du regard avant de lui tirer la langue comme un enfant de six ans. Puis je m'éclipse pour récupérer mes affaires avant de partir. Je passe presque la totalité du trajet le regard tourné vers l'extérieur, à admirer le paysage. Je ne me lassais jamais du spectacle que nous offrait l'océan, ça avait quelque chose de terriblement apaisant. On arrive à destination, Nana nous rabâche une énième fois de faire attention et de l'appeler en cas de problèmes. Min la rassure, moi je la menace du regard. Je récupère toutes mes affaires à la hâte, casquette vissé sur la tête et lunettes de soleil sur les yeux avant de claquer la portière. Je me penche tout de même vers la fenêtre ouverte côté passager pour souffler quelques mots à Na-Rim. « Toi aussi, roucoule bien avec mon frère. » Petit clin d'œil rempli de sous entendu et je prends la fuite pour rejoindre Min.

J'avise du coin de l'œil nos gardes du corps, les remerciant en silence de se tenir au moins à distance. On n'était pas au milieu d'une foule en délire et j'osais espérer que nos visages n'étaient pas si reconnaissable que ça, cachés derrière notre accoutrement. « Je connais un endroit où on sera tranquille. Comme le chemin pour accéder à la plage est en pente, les familles avec enfants ne s'y aventurent jamais. » La plage se situait en bas d'une falaise et même si un chemin avait fini par y être dessiné par les quelques personnes aventureuses et désireuses de trouver un endroit calme, il n'en restait pas moins escarpé. On longe la falaise pendant une dizaine de minutes avant que je ne m'arrête pour pointer du doigt l'étendue de sable en contrebas. « C'est juste là. » j'indique à Minjun. Il n'y avait pas un chat à des kilomètres à la ronde, exactement ce que je voulais. « Partons à l'aventure ! » Je ne comptais plus le nombre de fois où Do-Yeon nous y avait conduit, Ha-Ru et moi. J'avais un nombre incalculable de souvenirs ici et j'étais heureux de pouvoir en créer de nouveaux avec Min. « Je crois que Nana me tuerait si elle savait dans quoi je suis en train de nous embarquer. » En même temps, elle s'inquiétait approximativement tout le temps pour nous. « Mais je connais le chemin par cœur, je pourrais y aller les yeux fermer. » je fanfaronne tout en avançant. « C'est genre... comme le vélo. Ça ne s'oublie p... » Je trébuche sur une racine, basculant en avant. S'en suit une chorégraphie pas du tout maîtrisé de mon corps et je termine les fasses par terre avant de glisser quelques mètres plus bas. Aigoo. Je lève mon bras et le pouce en l'air pour signifier que je vais bien avant de pivoter vers l'arrière. « Je jure que cette racine n'était pas là avant ! » Ça m'apprendra à faire le malin, tiens.

Un jour de repos. Ce mot m'avait semblé invraisemblable, tant il était rare. Vingt-quatre heures de répit au milieu de cette agitation permanente qu'était devenue notre vie. Il m'avait fallu plusieurs minutes pour appréhender l'information et comprendre que ce n'était pas un rêve. Un sourire avait éclos sur mes lèvres lorsque Jin m'avait rapporté sa conversation avec Ha-Ru et qu'il avait mentionné l'invitation faite à Na-Rim par sa nièce Jinae. La petite fille désirait sa présence à leurs côtés lors de leur sortie à la fête foraine et ça ne semblait pas négociable. Mais ça nous laissait l'occasion de souffler et partager un moment à deux avec Jin. Même si j'appréciais notre agente et les efforts qu'elle fournissait pour adoucir notre quotidien, je n'avais jamais vraiment l'impression d'être libre. Enfin, ce temps mort ne signifiait pas que nous allions être lâchés dans la nature sans aucune surveillance. Plutôt rêver. Néanmoins, pouvoir profiter de la vie à Los Angeles comme deux êtres normaux m'apparaissait comme un moment précieux. J'étais très heureux d'avoir un moment de détente au milieu de ce planning chargé et je faisais entièrement confiance à Jin pour nous concocter une journée des plus agréables. Même la présence de gardes du corps à quelques mètres de nous n'arrivait pas à entacher ma joie. Je savais que nous ne pourrions de toute façon pas y échapper et que ce n'était qu'une mesure de précaution pour éviter un drame. Et bien que ça fasse grommeler mon partenaire, ses yeux continuaient de pétiller d'impatience à l'idée de pique-niquer sur la plage. Son visage était tourné vers la fenêtre, observant le paysage mais il n'essayait même pas de cacher le profond bonheur que ça lui inspirait.

En même temps, je ne pouvais que comprendre son sentiment. Mon coeur battait doucement dans ma poitrine, apaisé par la légèreté de l'instant et l'appréhension du moment à venir. Je n'avais pas de souvenirs d'avoir déjà pu vivre cette expérience auparavant et il y avait quelque chose d'exaltant à pouvoir partager ça avec Jin. Ça me faisait l'effet d'une bulle de douceur et de tranquillité avant de devoir retourner à nos responsabilités. Une interlude de normalité au milieu de la célébrité. Même si celle-ci n'était jamais très loin, compte tenu des indications listées par Na-Rim avant que nous ne sortions de la voiture. Je la rassure, lui promettant de ne rien faire de répréhensible et Jin se contente de la fusiller du regard, me tirant un gloussement. Casquette sur la tête et lunettes sur le nez, nous nous extirpons du véhicule avant de la saluer une dernière fois. Mon acolyte me rejoint avant de présider gaiement la marche et je me contente le suivre, sourire aux lèvres. Jin avait l'air tellement heureux. Son innocente gaieté faisait vibrer quelque chose dans ma poitrine et je ne lâche pas sa silhouette des yeux, hochant la tête à ses explications.

Nous longeons la falaise avant de nous arrêter au départ d'un chemin sinueux, menant jusqu'à une étendue de sable en contrebas. Un rire m'échappe en le voyant sautiller et je resserre les lanières de mon sac à dos. Celui-ci contenait la nourriture prévue pour notre pique-nique et je ne voulais prendre aucun risque. « Je crois que Nana te tuerait pour approximativement toute idée avec une once de potentiel danger. » je lui glisse, les lèvres ornées d'une grimace. Avant de secouer la tête, jetant un oeil au sentier. « Je pense que fermer les yeux avant d'emprunter un chemin comme ça n'est vraiment pas une bonne idée, Jin. Garde-les bien ouverts, plutôt. Sait-on jamais. » je lui conseille à la place, des dizaines de scénarios tournoyant déjà devant mes yeux. Mais il fanfaronne, le pied léger et mon souffle s'étrangle dans ma gorge en le voyant trébucher et ployer en avant. « Jin ! » Mon coeur tressaille et je me précipite à sa suite, faisant fi de ses paroles pour venir m'agenouiller à ses côtés. « Tu vas bien ? Tu ne t'es pas fait mal ? » je l'interroge, l'observant sous toutes les coutures. Je relève les yeux, croisant les siens et mes lèvres esquissent une moue concernée. « Tu m'as fait une de ces frayeurs, Jin. » Je fronce les sourcils. « Tu es sûr que ça va ? » Puis je lui tends la main pour l'aider à se relever. Ses cheveux étaient en désordre à cause de sa chute et je prends quelques secondes pour dégager ses yeux, libérant son visage des mèches rebelles. J'avise les gardes du corps à quelques mètres qui s'apprêtaient à intervenir, leur faisant signe que tout est sous contrôle. « Heureusement que ce n'est pas toi qui porte le repas, sinon on était bons pour manger du sable et des coquillages. » je commente, amusé. Nous reprenons notre route et Jin marche plus prudemment qu'au début, sans grande surprise. La plage était complètement vide et je me gorge de la vue, du bleu de l'océan et des restes de falaises qui se tenaient encore debout, les pieds dans l'eau. « C'est magnifique... » je murmure, émerveillé. Jin m'intime de le suivre un peu plus loin, pressé de me montrer l'endroit exact où ils aimaient s'étendre quand il venait avec ses frères. Nous installons notre petit campement pour la journée, profitant de l'ombre d'un rocher pour nous abriter et étendons nos serviettes côte à côte. « J'ai l'impression d'être dans un univers parallèle. » je confie, les jambes étendues devant moi sur le sable. Le soleil chatouillait mes orteils de sa chaleur et je tourne la tête en direction de Jin. « Pas toi ? » Tout me semblait irréel. Presque trop beau pour être vrai. « On est au milieu de nulle part, au bord de l'eau. On va pique-niquer. C'est dingue. » Mes doigts cherchent le contact du sable et j'enfouis ma main à l'intérieur, savourant la sensation unique contre ma peau. Je voulais que ça soit tous les jours comme ça, pour être honnête.  

En vérité, Nana me tuerait pour beaucoup de choses. Premièrement, parce que j'aimais un peu trop la taquiner sur sa relation ambiguë avec mon frère. Deuxièmement parce que j'aimais l'embêter, tout simplement. Troisièmement parce que j'étais du genre à remettre en cause son autorité et à préférer me la jouer petit rebelle. Quatrièmement, parce que, effectivement, j'avais tendance à vouloir mettre un peu de piment dans ma vie, en faisait l'imbécile en skate par exemple où en nous faisant descendre, Min et moi, sur une plage avec un chemin escarpée. Au final, rien de bien nouveau que ce qu'elle avait déjà l'habitude de gérer avec moi. On n'était plus à une ou deux raison de m’étriper près. Et puis c'était ça, qui faisait toute la particularité de notre lien, à tous les deux. Notre envie respective de nous tuer, mais toujours avec énormément d'amour. Ça pouvait paraître contradictoire et complexe, d'un point de vue extérieur et peut-être ça l'était, au fond, mais promis, on s'adorait. La plupart du temps. « Elle est surtout trop protectrice avec nous. » En dehors du fait qu'elle prenait son travail très à cœur, elle n'en était pas moins une mère poule avec nous. Parfois, j'avais l'impression que même mes deux parents réunis ne m'avaient pas autant couvé que ce qu'elle pouvait faire à l'heure actuelle. Alors certes, il y avait des enjeux différents, mon frère était un parfait psychopathe capable d'anéantir toute l'industrie si il m'arrivait quoi que ce soit alors je pouvais effectivement comprendre ce besoin de nous protéger au maximum. Seulement parfois, c'était un peu trop. Alors je comptais bien profiter de cette journée pour faire tout ce qu'elle m'aurait interdit de faire, en commençant par regagner cette plage en contrebas. « C'est une expression, Min. » je souffle, amusé par son sérieux. « Promis, je garde mes yeux bien ouverts. J'en ai besoin pour admirer le paysage, de toute façon. » Et je ne parlais pas du paysage qui se dessinait devant moi, aussi magnifique soit-il, mais plutôt de celui qui se trouvait juste derrière moi. De type grand brun d'un mètre quatre-vingt sept, plutôt sexy. Et j'ignore si l'univers me punie pour cette pensée ou pour avoir fait le malin concernant ma grande connaissance du chemin, mais je termine les fasses par terre à cause d'une maudite racine. Minjun se précipite à mes côtés et je passe une main dans mes cheveux, gêné. « Gwaenchana, gwaenchana. » je réponds en relevant le visage dans sa direction. Nos regards se croisent et je hoche la tête pour appuyer mes précédentes paroles. « Désolé. Je ne voulais pas te faire peur. » je réponds, tout en acceptant la main qu'il me tend. Une fois de nouveau sur pieds, j'époussète mes vêtements, mon cœur ratant un battement lorsque Min glissent ses doigts dans mes cheveux pour leur redonner un peu d'ordres. Cesse de te comporter comme un adolescent, Yang-Jin et reprends toi ! Je cligne plusieurs fois des yeux et l'instant d'après, Min se tient simplement en face de moi, à me parler de nourriture. « Oui... Heureusement. » je souffle avant de me racler la gorge. « On y retourne ? Promis je vais faire attention où je mets les pieds. » Il me mettait déjà dans tous mes états et nous n'étions qu'au début de la journée.

On regagne la plage sans autre accident, fort heureusement. Pas sûr que Minjun aurait survécu à une autre de mes chutes dans le cas contraire. J'admire le paysage, le vrai cette fois, qui s'étend autour de moi avant d'indiquer d'un geste de la tête à Min de me suivre. Je voulais lui montrer l'endroit exact où nous nous posions avec mes frères. On s'installe à notre tour et je me laisse tomber sur ma serviette, soupirant d'aise. Mes yeux se ferment quelques secondes puis mon visage pivote en direction de Minjun. « Si. Cet endroit m'a toujours donné l'impression de quitter la réalité. Je crois que Do-Yeon savait particulièrement quand il devait nous y emmener. » Après la rupture entre Ha-Ru et Na-Rim, puis notre retour à Los Angeles ou quand l'école devenait une source d'angoisses pour moi. Dès qu'il le pouvait, il nous emmenait ici et on passait la journée ensemble, rien que tous les trois. Peut-être que ce n'était pas la magie du lieu qui nous permettait d'apaiser nos peines ou nos angoisses, juste le fait d'être tous les trois réunis. Mais ça ne changeait rien aux souvenirs incroyables que j'avais ici avec mes frères. On est au milieu de nulle part, au bord de l'eau. On va pique-niquer. C'est dingue. Je glousse à cette réflexion et surtout à l'excitation à peine masquée dans sa voix. Finalement, de nous deux, Min était peut-être celui qui l'était le plus. « On dirait que c’est la première fois que tu fais ça. » je rétorque, amusé, avant de capter son regard. Il y a quelques choses qui passent dans ses yeux, comme un voile et je me redresse précipitamment pour m'asseoir en tailleurs. « Tu as déjà pique-niqué avant, pas vrai...? » Mais la réponse est évidente, je n'ai même pas besoin de l'entendre de sa bouche. Bien sûr que non, il ne l'avait jamais fait auparavant. Ses parents n'étaient pas les miens, il n'avait pas de frères avec qui partager tout ça et de ce qu'il avait déjà pu me dire, il était plutôt solitaire durant son enfance et son adolescence. Et la Corée était connue pour ses nombreux programmes d'études durant le peu de temps libres que les collégiens ou lycéens pouvaient avoir. Ha-Ru avait vécu le lycée à Séoul et son expérience était à l'opposé de tour ce qu'on pouvait entendre. Il s'était moqué de la compétition, des notes excellentes qu'il aurait dû avoir parce qu'il savait que sa vie ne se ferait pas là-bas. « Tu faisais quoi avec tes parents...? » j'ose demander, d'une toute petite voix. J'avais l'impression d'avoir vécu milles vies en une, là où Minjun ne semblait pas avoir eu la chance de goûter aux simples petits bonheurs de la vie. Et ça me faisait mal. « Tu sais quoi ? » je reprends en secouant la tête. « Oublie ma question. On va faire de cette journée un moment mémorable ! On s'en fiche du reste. » Je n'allais pas pouvoir lui faire rattraper vingt ans d'existence, c'était impossible, mais si je pouvais au moins lui en donner l'illusion, ce serait déjà un bon départ. Je tire mon sac vers moi, farfouillant dedans pour en tirer deux raquettes et une balle d'un rose vif. « Tout pique-nique sur la plage qui se respecte commence par une partie de Beach ball. » Je me relève, lui tendant la main pour qu'il se lève à son tour. « En plus, ça permet d'ouvrir l'appétit. » je termine tout sourire tout en l'entrainant vers le bord de l'eau. Je n'avais aucun doute, cette journée allait être exceptionnelle. De toute façon, avec Min à mes côtés, il ne pouvait pas en être autrement.

Elle est surtout trop protectrice avec nous. Un demi-sourire étire ma bouche sur le côté et je hausse les épaules. « Elle cherche juste à préserver notre bien-être. » En plus, je savais qu'il en était parfaitement conscient. Ce monde était brutal. Parfois plus qu'on ne l'aurait imaginé. Dans cet univers où la pression et les responsabilités se déversaient de toutes parts, elle faisait de son mieux pour adoucir notre quotidien. Et même si ça pouvait paraître agaçant au premier abord, on se rendait vite compte qu'elle nous laissait plus de libertés que les autres managers avec leurs artistes. Pour achever le tout, son lien privilégié avec Jin devait renforcer son instinct protecteur. Elle prenait sa mission d'autant plus à cœur parce qu'elle le considérait comme un membre de sa famille. Mais je n'allais pas m'en plaindre. Derrière son air sérieux lorsque nous étions en déplacement, j'entrevoyais la grande soeur qu'elle avait du être pour lui quand il était enfant. Et qui s'étendait à moi depuis l'officialisation de notre duo, à Jin et moi. Na-Rim avait toujours été disponible et à l'écoute, en plus de s'arranger au maximum pour notre confort. Et nous savions que les fans manquaient parfois de discernement face à la vision de leurs idoles, ce qui pouvait engendrer des situations risquées. Par chance, il ne semblait y avoir personne sur la plage où Jin nous emmenait et j'appréciais d'avoir un moment de calme, en dehors de l'agitation permanente et la foule. Même si j'aimais le contact avec le public, je restais plus à l'aise dans le silence et la quiétude. Tout ce qui nous attendait en contrebas. Si Jin ne mourrait pas avant, m'emportant avec lui dans la tombe. Je me précipite à ses côtés, veillant à ce qu'il ne soit pas blessé quelque part. Puis je l'aide à se relever, dégageant des mèches de son visage. « Je t'avais dit de bien regarder. » je murmure, les lèvres encore plissées par l'inquiétude. En plus, nous n'aurions plus de nourriture à l'heure actuelle, si c'était lui qui avait eu le sac en question sur le dos. Mais il repart déjà à l'assaut du sable et je le suis avec un petit rire, les yeux rivés sur sa silhouette jusqu'à notre destination.

J'ai du mal à réaliser vraiment qu'on se trouve là, tous les deux. Si omettait nos chaperons, installés à des centaines de mètres, il n'y avait personne d'autre que le chant des mouettes et le remous des vagues pour accompagner ce moment. Et ça me semblait surréaliste. Pareil à un rêve. Je finis par le verbaliser, me confiant à Jin sur ce sentiment d'être hors du temps. Je n'avais jamais pensé que j'aurais la possibilité de pique-niquer. Encore moins sur la plage. On dirait que c’est la première fois que tu fais ça. Je me fige, mes dents grignotant soudainement la lèvre inférieure. Mais Jin se redresse pour se venir s'asseoir en tailleur à mes côtés. Et je sens le poids de son regard surpris sur ma droite. Je me frotte l'arrière de ma tête, embarrassé. J'aurais aimé pouvoir dire le contraire mais ce n'était pas le cas. Tout ça sortait de l'ordinaire, pour moi. Je n'avais pas de souvenirs d'avoir pratiqué ce genre d'activités avec mes parents. Mon père avait toujours été occupé et ma mère n'était jamais allée à l'encontre de ses décisions, hormis pour me permettre de suivre ma propre voie. Mon coeur palpite dans ma poitrine à ses paroles et je me sens envahi d'une douce chaleur. « Je ne leur en veux pas, tu sais. » je souffle, ma main remontant à la surface pour dessiner des lignes sur le sable. « Et je suis plus heureux de découvrir ça avec toi, hyung. » Expérimenter de nouvelles choses avec Jin avait une saveur différente. Tout me semblait plus coloré, plus pétillant. Comme s'il avait le don d'amener une sorte de magie dans les choses les plus quotidiennes. Je le regarde fouiller dans son sac pour en sortir un jeu de raquettes et une balle rose fluo. Ma bouche s'entrouvre de curiosité et je crois me souvenir d'avoir vu des jeunes jouer avec ça sur l'une des plages d'Incheon lors d'une sortie scolaire. Je glisse mes doigts dans ceux de Jin pour m'aider à me relever, un sourire amusé à ses paroles. Comme si nous avions besoin de ça pour dévorer tout ce qui se trouvait dans mon sac à dos. Il m'entraîne à sa suite au bord de l'eau et je glousse en sentant les vagues chatouiller mes chevilles. Puis je récupère l'une des raquettes avant de commencer quelques échanges avec Jin, la balle éclaboussant régulièrement la surface de l'eau. Nous trouvons enfin notre équilibre et je remplis mes poumons d'air pur à mesure de nos foulées pour continuer nos lancers sans la faire tomber. Il n'y avait que nos rires pour troubler le silence et la vie ne m'avait jamais semblée si douce qu'à cet instant. Jin me relance la balle avec plus de force et je recule de quelques pas, tendant le bras pour la récupérer. Mais en levant les yeux, le soleil m'aveugle et je vacille, perdant l'équilibre. C'est à mon tour de finir sur les fesses, le short trempé et la coupable flottant à quelques centimètres de ma main. Je l'attrape, la soulevant pour la montrer à Jin. « Je l'ai...? » je déclare, avec une grimace dépitée, avant de me redresser pour me remettre debout. « Et je demande une revanche. »

Je n'allais pas manger sur une défaite.

Nous continuons de jouer jusqu'à ce que nos poumons prennent feu et que nos estomacs ne viennent à réellement gronder, nous poussant à délaisser les raquettes pour rejoindre nos serviettes. Je tends le bras pour attraper mon sac et en sortir notre pique-nique de fortune. Un festin, pour être plus précis. Mais je m'étais peut-être lâché sur la nourriture. Des sandwichs et des gimbap préparés le matin même, un énorme paquet de chips, des snacks coréens trouvés dans un magasin, des boissons de toutes les couleurs, quelques douceurs pour le goûter. De quoi nourrir probablement tout un régiment. Ou deux jeunes hommes en pleine croissance, avec des journées bien remplies. Je tends la boîte où gisent les sandwichs de Jin, attendant impatiemment qu'il l'ouvre pour en découvrir le contenu. J'y avais pensé la veille et je n'avais pas pu m'en empêcher. « À défaut d'avoir été là pour te les préparer après ton accident de skateboard, je me suis dit que c'était la bonne occasion pour que tu puisses y goûter. » je souffle du bout des lèvres, mordillant ma lèvre inférieure à cause de l'appréhension. J'espérais simplement qu'il n'allait pas trouver ça ridicule.

Je ne leur en veux pas, tu sais. Évidemment, qu'il ne leur en voulait pas. Minjun était la personne la plus douce et la plus gentille que je connaisse, en vouloir à ses parents ne lui aurait jamais traversé l'esprit. Et peut-être qu'il n'y avait pas grand-chose dont il pouvait leur en vouloir, dans le fond. Nous avions vécu deux enfances complètement différents, avec des parents aux caractères diamétralement opposés. J'avais eu la chance de grandir dans une famille plus soudée que jamais, avec des parents n'ayant aucun mal à exprimer leur amour pour leurs enfants et prêts à tout pour qu'on se sente heureux et entourés. Je me suis toujours senti encouragé et soutenu, malgré mes quelques mauvaises notes en sciences durant la quasi totalité de mon parcours scolaire. Tant que je faisais de mon mieux, c'était le principal. Sans compter que la famille, chez les Hyun, c'était sacré. Do-Yeon avait quitté le nid familial alors que je n'avais que six ans, Ha-Ru avait suivi quelques années après et nos parents avaient tout fait pour qu'on reste là famille unie qu'on avait toujours été. Camping, pique-nique, soirée jeux de société ou films, chaque semaine, nous étions au moins tous réunis pour passer quelques heures ensemble. Ces moments m'étaient tellement précieux et m'avaient permis de tenir, quand je m'étais retrouvé loin d'eux. Un sourire naît sur mon visage à la remarque de Min et je lui donne un coup d'épaule en riant. « J'espère que tu ne dis pas ça pour me faire plaisir. » je demande, d'un air faussement menaçant. « Mais moi aussi, je suis heureux de faire ça avec toi. » Et d'être là pour toutes ses premières fois. C'était encore plus symbolique et ça donnait vraiment du sens à cette journée de repos. Puis je lui propose une partie de Beach ball et nous voilà raquette en main, prêt à démarrer notre première partie. Nos échanges ne sont pas excellents, on n'est même pas spécialement doués, mais on finit par prendre le coup de main. On ne deviendra pas des professionnels demain, mais la balle termine de moins en moins sa course dans l'eau alors au moment de servir une nouvelle fois, je mets un peu plus de force, en espérant mettre un peu plus de piment. J'observe Min reculer de quelques pas, l'encourageant en même temps, puis c'est le drame. Je le vois basculer en arrière, finir les fasses dans l'eau et si je m'approche de lui, inquiet, en premier lieu, je ne peux pas masquer mon hilarité. J'explose de rire quand il me montre la balle qu'il vient de récupérer et je dois me tenir le ventre tellement je ris. « Va pour une revanche. Je trouve que tu n'es pas assez mouillé de toute façon. » Est-ce que j'étais un peu trop confiant ? Sans doute, oui.

Après de nombreuses parties endiablées (de notre point de vue uniquement. De l'extérieur, ça devait sûrement être ridicule), nos estomacs se mettent à gronder et nous regagnons nos serviettes. Je m'installe en tailleur sur la mienne, trépignant presque d'impatience. Min s'était occupé du pique-nique pour une raison évidente qu'il maîtrisait bien plus que moi la cuisine. En dehors des ramens, domaine dans lequel j'excellais, il valait mieux que je me tienne éloigner d'un couteau. Je le vois tout sortir de son sac, plissant les yeux au fur et à mesure de la nourriture et des boissons qui s'entassent qui s'entassent entre nous. « Comment est-ce que ton sac pouvait contenir tout ça ? » je demande, surpris par la quantité astronomique de snacks qu'il venait d'en sortir. « Il est sans fond ou quoi ? Et tu aurais dû me demander de t'aider à porter ! Ça devait être lourd. » je geins, en me sentant parfaitement ridicule avec mes quatre pauvres trucs dans mon propre sac. Je ne doutais pas de la capacité de Minjun à se débrouiller tout seul, mais quand même. Ma boîte a sandwich m'est tendue et je la récupère avant de lever les yeux vers mon lui, écoutant attentivement ses explications avant de réaliser de quoi il parle. Je me sens touchée en plein cœur sans même avoir vu les sandwichs et je dois déjà prendre sur moi pour ne pas me mettre à sangloter. De joie. Je finis par l'ouvrir et en découvrant les sandwich en forme de renard, je ne peux pas contenir mon émotion plus longtemps. Je dois avoir l'air ridicule avec mes yeux rougis et mes quelques larmes qui s'y pointent, mais c'est beaucoup trop adorable pour que je reste de marbre. « C'est la plus belle attention qu'on m'ait faite ces dernières années. » je murmure en essuyant mon visage d'un revers de manche. « Merci Minjunnie. » Je me faisais la promesse de lui rendre la pareille un jour, avec mes maigres connaissances en cuisine. Des œufs en forme de lapin, ça ne devait pas être si difficile à faire, pas vrai ? « Jal meog-gessseubnida ! » J'avais vraiment hâte de goûter à tout, mais surtout à mes sandwichs.

Je laisse échapper un soupir d'aise, après avoir dévoré le pique-nique et m'être remplie la panse. Je tapote mon ventre qui me donne l'impression de pouvoir exploser à n'importe quel moment. « C'était dé-li-cieux ! » Je bois une gorgée de Mogu Mogu, savourant son goût sucré. «  Na-Rim va nous faire manger de la salade pendant dix jours après ça. » je souffle, presque dépité à l'idée de me transformer en tortue ces prochains jours. Mais en même temps, si on me demandait de faire le moindre pas de danse à cet instant précis, je pense que la seule chose capable d'effectuer serait la chorégraphie d'un cachalot échoué sur la plage. Rien de bien flatteur, nous sommes d'accord. Je fais glisser mes fasses sur la serviette pour m'installer à côté de Min, trifouillant de nouveau dans mes affaires pour en sortir un jeu de cartes. « Le temps de digérer avant de pouvoir aller patauger dans l'eau, on peut se faire une partie de Uno. » Indémodable. Connu dans le monde entier. C'était une valeur sûre pour passer le temps tout en s'amusant. « Oh ! Et j'oubliais... » Je sors mon Polaroïd bleu ciel que mes parents m'avaient offerts juste avant mon départ pour Séoul, le tournant vers nous pour faire un selfie. « Smiiiiile ! » J'accompagne mon immense sourire d'un V-sign et le flash nous ébloui quelques secondes. La photo sort et je la tends à Min. « Celle-ci, c'est la tienne. Et celle-ci, ce sera la mienne. » Je n'attends pas une seconde de plus et je viens plaquer mes lèvres sur la joue de Minjun pour faire notre deuxième photo. Je me redresse une fois que le pola commence à sortir, le recupdrent entre mes doigts pour l'observer. La surprise de Min se lit sur son visage et ça le rend encore plus mignon qu'à l'accoutume. « Je l'adore. Je vais la chérir de toute mon âme. » J'en faisais des caisses pour l'embêter, mais on n'était pas si loin de la vérité. « T'es prêt à te prendre une raclée au Uno ? » Maintenant qu'il était déstabilisé, j'avais peut-être mes chances de gagner.

Je n'en voulais pas particulièrement à mes parents. Et je n'avais jamais ressenti de quelconque jalousie envers mes petits camarades pour les aventures qu'ils avaient pu vivre avec leurs propres familles. La vie était ainsi et j'avais seulement apprécié l'instant présent. Et quels regrets est-ce que j'aurais pu avoir, au final ? Je n'avais manqué de rien et je ne pouvais pas dire que j'avais eu une enfance malheureuse. Comparé à celle de Jin, elle manquait sûrement de piment mais j'en gardais de bons souvenirs. Désormais, j'étais adulte et j'appréciais d'autant plus de découvrir de nouvelles choses. Surtout aux côtés d'une personne comme lui. Parce que Jin apportait dans son sillage un souffle de légèreté qui m'avait fait défaut pendant de nombreuses années et que la vie semblait tellement plus simple, près de lui. Comme si je découvrais une autre facette de mon âme d'enfant, celle qui avait été réprimée les attentes et les études. J'appréciais simplement la caresse du soleil sur ma peau et le remous des vagues qui s'écrasaient sur la plage. Pique-niquer sur le sable, loin de tout me semblait pareil à un rêve éveillé. Des choses si banales avaient une saveur particulière pour moi et faisait naître des crépitements agréables dans ma poitrine. J'étais heureux de partager un moment comme celui-ci avec Jin, au milieu du chaos que pouvait être notre quotidien. S'éloigner des projecteurs pour une interlude de normalité. Je fais la moue à sa réponse, les lèvres plissées. Avant d'esquisser un doux souvenir en entendant la suite. Parfois, je repensais à nos premiers pas l'un vers l'autre et j'avais du mal à me dire que ça faisait si peu de temps que l'on se connaissait, lui et moi. Tout avait été si...naturel. Comme si c'était dans l'ordre des choses. La suite logique menant nos chemins à se croiser et à s'entremêler. Et voir Jin rire à gorge déployée, ses yeux plissés par l'amusement me confortait dans l'idée que j'avais fait le meilleur choix possible en m'engageant dans cette voie.

Nous jouons jusqu'à ce que nos estomacs ne se mettent à gargouiller et rejoignons nos serviettes pour étaler les victuailles devant nous. Enfin, les victuailles que j'avais amassé en prévision du pique-nique. Peut-être que j'avais vu large mais je préférais ça plutôt que d'avoir un petit creux à un moment donné. « Un magicien ne dévoile pas ses tours. » je souffle, amusé, en terminant de sortir les snacks devant nous. Avant de laisser échapper un petit rire à son geignement. « Mais non, mais non, ne t'inquiètes pas. » Ce n'était pas les pauvres sachets à moitié remplis d'air qui allaient peser lourd dans le sac à dos. Je pouvais m'en sortir sans le moindre problème. Et je lui tends la petite boîte préparée à son intention, mâchouillant ma lèvre inférieure de nervosité en attendant sa réaction. Mais ce n'était pas celle à laquelle je m'attendais et je me fige, le gorge nouée en voyant ses yeux se remplir de larmes. « Jin ? » je murmure, sentant la culpabilité se frayer un chemin dans ma poitrine. « Je ne voul- » C'est la plus belle attention qu'on m'ait faite ces dernières années. Mon souffle s'étrangle dans ma gorge à ses paroles et mon coeur se met à battre la chamade. J'avais crains que ça ne lui rappelle des choses désagréables mais la tension est vite balayée par le contentement et je respire à nouveau correctement, joignant mes paumes l'une contre l'autre. « De rien. Mas-issge deuseyo. » je réponds, en l'observant admirer ses sandwichs avec une émotion palpable. J'étais profondément ravi que ça lui plaise et j'espérais que ça balayerait les souvenirs sombres de cette période. Nous finissons par engloutir la quasi totalité du repas et je glousse en voyant Jin tapoter son ventre, parfaitement rassasié. « Quinze, pour toi. Parce que tu te seras plaint entre temps que c'est une tortionnaire. » Et il allait le faire sans l'ombre d'une doute. L'instant d'après, il fouille dans son propre sac à dos et en ressort un paquet de cartes à l'emballage d'un rouge vif. Le Uno. Indétrônable. Cause numéro une des amitiés brisées. Mais celui-ci est aussitôt délaissé pour un Polaroid et j'ai tout juste le temps de sourire avant d'être aveuglé par le flash de l'appareil photo. Le cliché sort aussitôt et il nous faut quelques secondes pour voir l'image s'afficher sur le papier glacé. Je la récupère avant de me raidir d'un seul coup à la sensation des lèvres de Jin contre ma joue. Ma bouche s'entrouvre de surprise et la lumière éclate une seconde fois devant ma rétine. Puis la sensation tiède sur ma peau appartient déjà au passé et mes doigts relâchent leur étau autour de ma cuisse. Je baisse les yeux vers la photo et mon expression en dit long sur l'aspect inattendu de ce geste. Néanmoins, je réprime difficilement le sourire attendri qui cherche à traverser mon visage de part en part à cette vision. Ma paume serpente pour se poser une seconde à l'emplacement de mon coeur, sentant le muscle pulser à toute allure et je fais mine de me frotter l'épaule quand son regard glisse dans ma direction. « Je fais une tête affreuse. » je lâche, en jetant un nouveau coup sur mon double en 2D. Nous rangeons les précieux clichés dans la poche de son sac à dos avant de revenir aux choses sérieuses. T'es prêt à te prendre une raclée au Uno ? Je fronce les sourcils, pivotant d'un quart de tour pour lui faire face. « Je te trouve bien présomptueux, hyung. » je rétorque en croisant les jambes devant moi, ployant le dos pour déposer mes avant-bras sur mes cuisses.

Un combat acharné débute à cet instant pour prendre le dessus et des manigances éclosent petit à petit, dignes des plus grands méchants de dessins animés. En levant les yeux vers Jin, je le vois concentré sur son jeu et ses dents triturent sa lèvre inférieure. Mes pensées dévient inévitablement sur ce qui s'était une dizaine de minutes auparavant, à la sensation de sa bouche contre ma joue et je déglutis difficilement. Son regard remonte à ce moment là, croisant le mien et je me maudis pour la rougeur qui vient s'étendre sur mes pommettes. Je secoue la tête hâtivement, retournant à la vitesse de la lumière sur les cartes étalées dans ma main et je dépose un +2 sur le haut du tas. Un rictus étire la commissure de ses lèvres et il me présente majestueusement une carte supérieure comme toute réponse. Ma langue claque contre mon palais et je me vois dans l'obligation de surenchérir avec le même atout pour ne pas piocher, grommelant en le voyant poursuivre le jeu avec aise. « Je savais que tu gardais les meilleures pour la fin ! » je m'exclame, boudeur. J'étais fini, avec autant de cartes à récupérer. « Je me vengerai. » je poursuis, faussement menaçant. Jin, lui, s'esclaffe et il ne lui faut pas bien longtemps pour me mettre la raclée. Comme il l'avait prédit avant de commencer la première de nos parties. Nos cartes étalées devant nous, je le vois faire le paon et une idée germe au même instant dans le creux de ma tête. Je n'avais pas beaucoup de temps et je devais agir vite. Alors je profite du court instant où il ferme les yeux pour s'étirer, las d'avoir gardé la même position pendant un certain temps. Ni une ni deux, je me redresse sur mes appuis et j'attaque frontalement : un de mes bras vient se glisser dans son dos, sous ses aisselles et l'autre sous ses jambes. Je force sur mes jambes pour me redresser et je resserre mon étreinte pour le plaquer contre mon torse, son visage tordu par l'incompréhension. En un quart de seconde, il comprend l'issue et je le sens déjà se débattre mais je penche la tête en avant, sourire aux lèvres. « Je t'avais dit que je me vengerai. » je pouffe, en plaquant ses bras contre moi pour l'empêcher de bouger. Puis dans un éclat de rire, je me mets à courir en direction de l'océan. En quelques mètres et avec difficulté, compte tenu de ma victime récalcitrante, j'arrive à rejoindre le bord et il me faut des enjambées supplémentaires pour atteindre une profondeur suffisante. L'instant d'après, je largue mon bardage et j'observe Jin se faire avaler par l'eau salée avec une profonde satisfaction.

Les représailles allaient être terribles mais j'étais prêt à riposter.         

Aigoo. Si je ne connaissais pas aussi bien Na-Rim, je pourrais aisément dire qu’elle souhaitait ma mort. Malheureusement pour moi, malgré le fait qu’elle me forçait à manger de la salade, des légumes et autres choses beaucoup trop saine pour ma santé mentale, je savais qu’elle tenait à moi. Cependant, ça ne m’empêchait pas de lui rappeler ô combien elle était horrible en me punissant de burger, chocolat, bonbons et autres douceurs que le commun des mortels appelle nourriture grasse. Je vivais aux Etats-Unis, la malbouffe était ma safeplace (pardon maman, mais non, je ne raffole pas de tes haricots, aussi admirablement bien cuisinés soient-ils.) et je me dopais clairement au sucre quand tout le monde avait le dos tourné. S’ajoutait à ça le fait que j’aimais manger, tout simplement. C’était sans doute la deuxième meilleure chose en ce bas monde, après dormir. Déjà qu’on me faisait perdre un nombre incalculable de sommeil, alors savoir que de la verdure m’attendait au dîner, ça me rendait extrêmement chafouin. Mais ça allait avec tout le package de la vie d’idol et je n’avais pas réellement d’autre choix que de l’accepter et de m’en accommoder. Un rire nerveux s’échappe de ma bouche alors que je visualise très bien les semaines d’enfer qui se projetaient sous mes yeux. Allais-je seulement survivre à trois jours de diète ? « Et ce sera particulièrement injuste. » je réponds, boudeur. Des fois, je la soupçonnais vraiment de vouloir se venger pour quelque chose. Certes, je n’étais plus en pleine croissance pour sortir cette excuse, mais je faisais beaucoup de sport et j’avais besoin de manger beaucoup de protéines pour ne pas défaillir et m’évanouir telle une pauvre créature fragile. « Mais tu es un super ami, pas vrai ? Même si je suis punis cinq jours de plus, je pourrais compter sur toi pour me donner de la nourriture en douce, n’est-ce pas ? » Petite regard mignon, battement de cil à l’appui. Est-ce que j’essaie de le charmer ? Absolument. Et si besoin, je pouvais encore jouer la carte du on est une famille, on aide toujours sa famille. Je trifouille finalement dans mon sac pour en sortir mon polaroid. Je l’avais retrouvé dans ma chambre, chez mes parents, et je n’avais pas pu résister à l’envie de le récupérer. On fait une première photo que je donne à Minjun avant de le prendre par surprise pour une deuxième, mes lèvres venant se planter sur sa joue. « Moi je te trouve adorable sur cette photo. » Comme toujours, par ailleurs.

Les photos rangées, je lui demande si il est prêt pour se prendre une raclée au Uno et je souris à pleine dents devant sa réponse. « Simplement réaliste. » D’accord, j’étais peut-être un peu présomptueux, mais j’étais doué avec les jeux de cartes. J’avais beaucoup joué, que ce soit avec mes frères ou mes quelques camarades de danse, alors j’avais eu le temps de mettre en place toute sorte de stratégie. Certes, il y avait une grande place pour le hasard, mais le reste, c’était mathématique. Le jeu débute et je commence déjà à mettre en place un plan en fonction des cartes que je possède dans ma main. Qu’importe son jeu, j’avais de quoi gagner. Du moins, je l’espérais. Mon regard se relève dans sa direction et je fonce les sourcils devant le rouge qui colore ses pommettes avant de sourire narquoisement en le voyant poser son +2. Je surenchéris une première fois. Il fait de même et je lâche mon plus beau +10, accompagné d’un rire machiavélique. Malheureusement pour Min, son nombre de cartes dépassent les vingt-cinq ce qui l’élimine automatiquement et me déclare vainqueur. « Je suis un as du Uno, je te l’avais dit ! » je bombe le torse avant de faire le signe loser dans sa direction. « Mais tu t’es bien battu. Bien joué, camarade. J’ai enfin trouvé un adversaire à ma hauteur. » Pardon Do-Yeon, désolé Yohan, mais vous êtes plutôt nuls en jeux de société. Je vous aime quand même. Je change de position, repliant les jambes devant moi et m’étirant en arrière pour me dégourdir le dos après avoir joué courbé en avant pendant de longues minutes. Et je lâche un glapissement d’incompréhension en sentant mon corps être soulevé du sol. « Yaaaaa ! » je hurle en me tortillant dans tous les sens en le voyant se rapprocher dangereusement de l’eau. « Kim Minjun, je t’interdis de… ! » Le fourbe ma plaque les bras, m’empêchant de gesticuler d’avantage et je me remets à crier. « À l’aiiiiide ! Dowajuseyo !!! » Mais évidemment, personne ne bronche, pas même les deux gardes supposés être là pour nous protéger. Mais forcément, de l’extérieur, je suis loin de ressembler à une âme en détresse. Je sens l’eau fraiche venir mordre ma peau et je me resserre un peu plus contre Min, en espérant retarder l’échéance. Quelques secondes plus tard, je sens son emprise se relâcher et je me fais engloutir par les vagues.

Quand je remonte à la surface, je bats des pieds pour regagner un endroit où j’ai pieds, tout en foudroyant Min du regard. Une fois que je peux me tenir debout sans avoir de l’eau jusqu’aux yeux, je repousse mes cheveux en arrière pour les plaquer sur ma tête. « Elle est gelée ! » je geins. Même si il faisait chaud en été, à Los Angeles, on ne pouvait pas dire que l’océan soit le plus enclin à se réchauffer malgré les hautes températures. Puis je pivote une nouvelle fois vers la cause de tout ça avant de lui envoyer de l’eau dans la figure. « C’est comme ça que tu traites ton aîné ? Sans le moindre respect ? » je m’offusques, faussement. « Mon coeur est brisé, Min. » J’accompagne mes paroles d’un coeur qui se brise avec mes mains avant de sursauter en sentant un truc se faufiler entre mes jambes. « C’était quoi, ça ? » je demande, soudainement très sérieux. Mais Minjun me regarde avec une profonde incompréhension. « Il y a un truc qui vient de… Ah ! Ça vient de recommencer ! » Je sautille maintenant sur place en espérant faire fuir l’affreux poisson qui s’amuse à venir me chatouiller les chevilles, jusqu’à ce qu’il ramène son petit copain. Là, je lâche un cri bien aigüe, tout ce qu’il y a de plus masculin, avant de me jeter au cou de Min. Mes bras l’encerclent avec férocité, mes jambes sont enroulées autour de sa taille et je regarde l’eau avec méfiance. Hors de question que je repose un seul orteil sur le sol.

Mes souvenirs de parties de cartes se résumaient aux week-ends passés chez mes grands-parents. Ainsi qu'aux interludes entre les cours, où nous passions le plus clair de notre temps à soit rattraper notre manque de sommeil, soit se mettre des râclées au Uno. Ce jeu m'était plutôt familier et j'avais arrêté de compter le nombre de parties qui s'étaient terminées dans les cris et les menaces de vengeance. Ici, Jin avait apporté une version améliorée, destinée à réduire toute forme de lien amical en bouillie. Les cartes étaient montées d'un niveau et il suffisait de peu de choses pour être exterminé en un rien de temps. « On verra ça. » je souffle, sur un air de défi. Est-ce que j'avais l'esprit de compétition ? Un petit peu ? Peut-être plus qu'un petit peu ? Dans tous les cas, il avait tiré sur une corde sensible et je me faisais un devoir de lui faire ravaler son sourire. Néanmoins, je me rends vite compte qu'il s'avère être un adversaire à la hauteur et mon front se plisse de concentration en baissant les yeux sur mes cartes. Mon jeu actuel n'était pas des plus intéressants mais j'avais quelques jokers dans la poche pour contre-attaquer, au besoin. En lui glissant un coup d'oeil, mon regard se porte sur sa bouche malmenée par ses dents. Et je rougis au souvenir de son baiser sur ma joue, la sensation brûlante de ses lèvres encore tiède contre ma peau. Pour faire passer la gêne, je dépose le +2 récupéré plus tôt, l'observant réagir aussitôt, le petit stratagème continuant une poignée de secondes. Avant d'écarquiller les yeux quand il surenchérit avec un +10 dévastateur. C'est fini pour moi. Je laisse échapper un sifflement de frustration devant sa technique évidente et je n'ai même pas besoin de compter mes cartes pour savoir que j'ai dépassé la limite autorisée. Je les laisse tomber devant moi et elles finissent étalées sur la serviette, en désordre. « Gneugneugneugneu. » je grommelle, avant de glousser devant son petit air victorieux. Puis je hausse un sourcil avant de pencher la tête légèrement en avant. « Quel honneur, votre altesse. » Mon cerveau, lui, turbine déjà à vive allure pour échafauder un plan de vengeance. Je profite de son inattention pendant qu'il s'étire pour glisser mes bras dans son dos et sous ses genoux, prenant appui sur mes talons pour le soulever du sol. L'instant d'après, je le tiens bien serré contre moi et je galope en direction de l'océan. Je ris à gorge déployée devant les cris indignés de Jin et ses tentatives de s'extraire de mon emprise mais je la renforce pour l'empêcher de bouger, avançant dans l'eau fraîche pour atteindre une profondeur suffisante. Pour mon plus grand plaisir, nos gardes ne bougent pas un seul petit doigt pour venir l'aider malgré ses appels. Mais ce n'est pas comme si il était vraiment en danger, après tout. « Tu fais moins le malin là, hein ? » je souffle, amusé. Puis je relâche la pression, le larguant dans l'eau et regardant son cri se faire engloutir par les vagues.

Son regard meurtrier me tire un nouvel éclat de rire, à défaut de me faire peur. Il avait l'air d'un petit chat mouillé et il fallait dire que c'était plus adorable que menaçant. « Ça vaaaaaaaa... » je rétorque, haussant les épaules. Puis j'esquisse un sourire. « En plus, c'est super bon pour la peau. » Rien de tel que de l'eau froide pour vivifier son teint. Il se venge en me jetant de l'eau à la figure et je protège mon visage de mes mains pour éviter d'avoir les yeux rougis par le sel. « Quand tu feras moins l'enfant, peut-être que je pourrais reconsidérer la question. » Mon coeur est brisé, Min. Une de mes mains vient se placer sur mon propre coeur à ses paroles. « Navré, sunbaenim. » je réponds, faussement désolé. Avant de froncer les sourcils à son sursaut, baissant les yeux pour essayer d'apercevoir quelque chose dans l'eau. Néanmoins, je ne vois absolument rien. « Ça quoi ? » Il glapit à nouveau et je le rejoins en deux enjambées, cherchant la source de son trouble. Mais difficile de rester sérieux en le voyant sautiller dans l'eau de cette façon et je réprime à peine le rire qui fait frémir mes lèvres. Un cri plus tard, des mains s'agrippent à ma nuque et le corps de Jin se plaque contre le mien, ses jambes crochetées autour de ma taille. Je me raidis net à la sensation de sa peau humide contre la mienne, mes mains se plaquant à l'arrière de ses cuisses pour le soutenir contre moi et nous éviter de finir à l'eau. « Jin ? » je tente maladroitement, le coeur battant à toute allure. S'il se lovait encore plus contre moi, il allait sûrement pouvoir le sentir aussi. Mais son attention était focalisée sur l'eau et je capte son regard méfiant. D'un seul coup, quelque chose vient piquer ma cheville et je pouffe. « Ils voulaient simplement te dire bonjour, hyung. Rien de plus que des poissons un peu plus sociables que la moyenne. » je souffle, malicieux. « Tu ne veux pas aller les saluer à ton tour ? » Puis je me penche en avant pour le rapprocher de l'eau, lui soutirant un nouveau hurlement. Et je recommence une fois. Puis deux, sous une litanie de menaces de mort de sa part. Avant de me redresser totalement, remontant Jin contre moi d'un geste ferme en le sentant glisser à cause de l'eau. « Promis, j'arrête là. Mais c'était trop tentant. » je murmure, avec un large sourire. Je pivote en direction de la plage, marchant prudemment dans l'eau pour rejoindre le bord et déposer Jin dans une zone où le niveau est trop bas pour abriter de la faune sous-marine. « Je n'aurais jamais imaginé que tu puisses crier de manière aussi stridente. » je pouffe, en secouant la tête pour m'ébrouer. « Tu n'as jamais songé à t'orienter vers l'opéra ? » Est-ce que je m'attendais à autre chose qu'un coup et des grommellements pour réponse ? Absolument pas. Mais il était vraiment adorable avec son air bougon et cette moue qui le caractérisait tant. « On fait une pause ? Comme ça tu pourras te remettre de tes émotions et sécher un peu après ta petite baignade. » je poursuis, m'attirant un regard noir de sa part à la boutade. « Et j'avoue que je ne dirais pas non à une courte sieste au soleil. » Ma peau pâle allait sûrement en prendre un coup, peu habituée à un rayonnement aussi fort. Mais la sensation était trop agréable pour ne pas en profiter. « Tu te rends compte ? Une vraie sieste. Pour le plaisir. Et pas pour récupérer un peu, sous peine de tourner de l'oeil. Depuis quand est-ce que ce n'est pas arrivé ? » je murmure, dans un rire. Nous rejoignons nos serviettes et je me laisse tomber dessus sans plus de cérémonie, m'étendant de tout mon long comme un chat. Les yeux fermés, je glisse une main sous ma tête, l'autre reposant sagement sur mon ventre. « Si tu oses faire quoi que ce soit pendant que je dors, tu n'iras pas seulement dire bonjour aux poissons. » je souffle, m'imaginant déjà toutes les pitreries dont était capable Jin. Il était d'une incroyable créativité, quand il le voulait et je m'attendais à tout. Surtout au pire.     

@Hyun Yang-Jin