Fusillade 3 • And then, Chaos. | Keziah, Lincoln, Loxley & Riona

Je ne vois rien d’autre que la tâche de sang qui s’écoule lentement jusqu’à nos pieds par l'interstice de la porte, incapable de défaire mes yeux de cette scène macabre qui me noue l’estomac. Je crois que je ne suis pas loin de rendre mon petit-déjeuner, mais la voix du brun parvient jusqu’à mes oreilles et je relève la tête dans sa direction, tremblante. Nous cacher. « Oui… » je souffle, sans pour autant bouger d’un pouce. J’en suis incapable. J’ai l’impression que mon être tout entier refuse de m’obéir, que je vais rester planté là comme une idiote, à atteindre que la mort ne vienne me cueillir. Je ferme les paupières, juste quelques secondes, le temps de me calmer et de prendre une profonde respiration. Ça va aller… Mes poings se serrent et je me mets en mouvement, me ruant vers l’espèce de cagibi qu’on avait débarrassé une poignée de minutes plus tôt pour espérer y tenir tous les quatre. J’entends des bruits de pas derrière moi et je lance un rapide coup d’œil derrière mon épaule pour apercevoir que Lincoln me suis. Mais pas les deux autres. « Rio ! » je la hâte dans un souffle avant de soupirer de soulagement en les voyant se diriger dans notre direction. Je me laisse tomber le long du mur, rapprochant mes jambes contre ma poitrine, enfouissant mon visage dans mes genoux quand la porte se referme derrière mon amie, nous plongeant dans le noir.

Et une poignée de secondes plus tard, un bruit sourd se fait entendre de l’autre côté et j’essaie de me faire encore plus petite que je ne le suis déjà, sursautant à chaque bruit sourd. Je me retiens de crier, plaquant mes mains sur mes oreilles, comptant en silence dans mon esprit pour calmer l’angoisse qui menace de prendre possession de tout mon être. Puis plusieurs coups de feu retentissent, les balles venant traverser le bois qui nous protège de cet enfoiré et je ravale un sanglot de terreur. Je ne voulais pas mourir. Je ne pouvais pas mourir. Les larmes dévalent le longs de mes joues et je sens mon cœur se serrer en pensant à ma famille. Puis le visage de ma sœur apparaît devant mes yeux et pour la première fois, je supplie, je prie pour qu’elle s’en sorte, pour qu’elle survive à la folie de l’être humain, à ce cauchemar.

Puis les tirs cessent et j’ose relever un œil en direction de la porte, le cœur battant la chamade. Et mes muscles se détendent enfin quand les bruits de pas s’éloignent. Je ne sais pas combien de temps on reste là, à attendre, mais je suis persuadée que de longues minutes ne s’écoulent avant que je n’ose reprendre la parole. « Il est parti… » je souffle, en me redressant légèrement avant de pivoter sur le côté pour chercher Riona et le deuxième garçon du groupe du regard. Mais mes yeux se posent sur le bras blessé de mon ami et mon cœur rate un battement. « Non… » Je me redresse immédiatement pour me positionner en face d’elle, déliant le foulard que j’ai autour du cou pour le nouer autour de sa blessure. « Tu dois rester avec nous, ok ? » je dis d’une voix tremblante. « Les secours vont arriver… » Quand, je l’ignorais, et du temps, on allait finir par en manquer.

Je vois le sang s'écouler sur le sol, dévaler le lino pour atteindre le bout des chaussures de la brune. J'entends les paroles de mes camarades et les bruits de tirs qui continuent de résonner de l'autre côté. Mais la seule chose qui traverse mon esprit, à cet instant, c'est le corps qui s'est affaissé lourdement contre le bois, dont l'hémoglobine se diffuse de notre côté de la pièce. C'est la mort, qui empeste, dangereusement proche. Et je suis incapable de bouger, pétrifié par la violence d'une scène dont je n'ai même pas vraiment été spectateur. Jusqu'à ce qu'une main s'enroule autour de mon poignet pour me tirer en arrière. Faisant redémarrer mon système, mes jambes se mettant en mouvement pour la suivre à la suite des deux autres jusqu'au placard. La porte se referme dans mon dos, nous plongeant dans le noir et je me laisse tomber pat terre dans un coin, replié sur moi-même. À peine quelques secondes plus tard, j'entends la porte de la salle être défoncée avant de claquer violemment de l'autre côté, la chaise retombant avec fracas sur le sol. Putain. Je me crispe davantage, resserrant mes bras autour de mes jambes. Les bruits de pas me donnent l'impression de résonner dix fois plus fort dans le creux de ma tête, entre les battements de coeur qui pulsent dans mes tempes. Je ferme les yeux, essayant de ne pas laisser mon battant s'emballer dangereusement mais c'est peine perdue quand j'entends le métal de son arme.

Puis une pluie de balles s'abat sur nous, à travers la porte et je me mords la langue violemment pour ne pas laisser échapper le moindre son, mes ongles s'enfonçant dans ma peau à travers le tissu de mon jean. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas m'éteindre dans un local d'arts plastiques. Je veux retrouver mes parents et les serrer dans mes bras, leur rappeler à quel point ils étaient importants à mes yeux. Je voulais voir mes soeurs, sentir leurs bras autour de moi et leurs parfums légers m'entourer comme une cape. Je voulais pouvoir étreindre Hadlee contre moi, ne plus jamais la laisser s'enfuir, embrasser sa peau et lui dire à quel point je l'aimais. Son visage apparaît devant moi alors que l'enfer explose tout autour de nous, faisant grossir la boule logée dans ma gorge. Jusqu'à que les tirs s'arrêtent, faisant battre mon coeur encore plus vivement, ma tête pivotant en direction de la porte. Étant le plus près de celle-ci, je me penche prudemment contre le bois, pour essayer de voir quelque chose à travers l'un des trous crées par les impacts des balles. J'aperçois une ombre et je frémis, reculant légèrement. Le claquement des semelles sur le sol s'efface un peu plus à chaque seconde et je reprends une bouffée d'oxygène, tellement terrifié que j'en oublie de respirer régulièrement. Il est parti. J'entends ce murmure résonner dans ma tête mais je mets quelques minutes à le réaliser réellement. Nous étions passés à un cheveu de la mort, presque prêts à accepter notre sort. Pourtant, je ne saurais dire si c'était réellement de la chance, mais en tout cas, on était en vie. Le monde se remet à tourner et j'entends un geignement de douleur sur ma droite, tournant la tête pour apercevoir un bout de silhouette dans la semi-pénombre. Merde. La blonde est blessée et je vois son amie détacher son foulard pour le nouer autour de la blessure. Instinctivement, je cherche mon téléphone dans la poche de mon pantalon pour regarder l'heure. Si la brune faisait effectivement bien un garrot, ça pouvait être d'importance capitale pour les secours. J'en profite pour envoyer un message à mes parents pour qu'ils préviennent les secours, même si j'imagine qu'ils devaient déjà être en route. « Ils vont arriver. Ce n'est qu'une question de temps, si ce n'est pas de minutes. » Si mes amis étaient encore dans le bâtiment, ils avaient certainement prévenu les parents de Neven. « Est-ce que tu peux te relever ? » je demande à la blessée. « On peut essayer de sortir à la lumière et trouver quelque chose d'autre à rajouter pour ralentir le saignement. » je murmure, en jetant un coup d'oeil à la porte.
  

On est prisonniers de ce putain de placard. L’autre il est de l’autre côté de la porte, avec une arme lourde, et je sais, que si il ouvre la porte de ce maudit cagibis, on est tous morts. S’en est fini pour nous, on peut se dire adieu et dire adieu à toute notre famille. J’étais trop jeune pour mourir, je ne veux pas mourir, pas aujourd’hui, pas maintenant. J’ai des choses à vivre, le monde à voir. J’ai encore besoin de sentir mon cœur qui bats, et le sang qui pulse dans mes tempes, quand je suis stressée. J’ai encore besoin d’être heureuse. Je n’ai pas envie de le voir passer la porte, glisser le canon d’une arme à feu en direction de chacun d’entre nous. Prendre nos vies à coups de balles perdues et s’en aller, ravi, fier même, d’avoir tué des mômes qui n’avaient jamais rien demandés, tel le fils de pute qu’il est, et qu’il restera à jamais. Les secondes qui s’écoulent sont si longues, elles font pulser mon cœur, et me donne envie de gerber un peu plus à chaque secondes qui passent. Puis les tirs pleuvent, percent la porte sans crier gare, et s’échouent une à une devant nos pieds, avant qu’une d’entre elles, n’atterrisse dans mon bras. Et je me retiens d’hurler de douleur, tant cette dernière est violente. Elle m’irradie dans tout le bras, et j’ai littéralement l’impression qu’on me l’a arraché, avec toute la violence du monde.

Et j’ai l’impression que les balles cessent de pleuvoir, que c’est le monde qui s’arrête. J’ai du mal à respirer, du mal à reprendre mon souffle. Du mal à réaliser. Je me suis à peine rendu compte que je me suis laissée glissée contre le mur. J’entends à peine ce qu’il se passe autour de moi. Mes yeux se focalisés sur cette plaie béante, et le sang, qui s’en écoule. Trop vite. J’ai peur. Je suis terrifiée, et en plus, je suis blessée. Je me retiens, vivement de pleurer, de craquer. Je sens pourtant le sanglot me monter dans la gorge. Je sens la panique m’envahit peu à peu, et j’essaie de respirer, longuement. Je me rends à peine compte que Keziah passe son foulard autour de mon bras. C’est quand elle parle, que je relève les yeux vers elle, et que je bats plusieurs fois des cils, que je comprends vraiment, et que je pose plus ou moins, les pieds sur terre. « Il m’a eue, Kezi. » Je murmure, en lui lançant un regard perdu. J’avais perdu tout mon franc parlé. Terriblement sous le choc. Puis je lève le regard vers l’autre garçon, en hochant brièvement la tête. Je prends la main qui m’est tendue, et je me remets sur pieds. Je vacille quelques secondes, la tête qui tourne, je mets ça sur le fait qu’un malade vient de me tirer dans le bras. « Vous êtes sûrs qu’il est parti ? » Je demande, soudainement paniquée. Si c’était un piège. Dans mon dos, j’entends une respiration rapide, et je lâche la main de Keziah, pour aller la poser sur ma blessure. Visiblement, il avait aussi besoin qu’on l’aide.

Je vais mourir. C'est la seule et unique pensée qui tourne en boucle dans ma tête. Il n'y a rien d'autre que ces trois mots qui m'envahissent et me remplissent d'une terreur incommensurable. Et je n'arrive pas à envisager autre chose, quand j'entends le bruit de pas qui se rapproche, le bruit métallique d'une arme qui râcle contre le sol. Mon souffle s'étrangle dans ma gorge et mes ongles s'enfoncent dans la chair de mes paumes. Je vais mourir. Je ne vois que la Faucheuse qui va bientôt venir me cueillir, l'espoir qui s'amenuise, à un cheveu de disparaître. Puis je retiens un hurlement, qui reste en suspension dans ma gorge à mesure des balles qui trouent la porte pour se ficher dans le mur juste en face. Chaque cliquetis résonne au plus profond de mon être, m'arrachant un spasme de terreur. Mes yeux sont fermés et j'ai l'impression d'être englouti par l'obscurité, submergé par l'horreur. Je me sens étranger à tout ce qui m'entoure, comme si je n'étais plus vraiment là, comme s'il y avait un bourdonnement qui me coupait du monde extérieur. J'attends simplement le moment où l'une d'entre elles va venir me toucher, m'arracher à cet instant de pure agonie. Je me demande même pendant quelques secondes si ce n'est pas plus simple. Si ce n'est pas mieux, au fond. Peut-être que ça saura me libérer des démons qui me suivent sans jamais cesser, qui nagent à l'intérieur de ma tête. J'ai l'impression que ça dure une éternité.

L'attente est insoutenable et je me sens partir davantage à chaque seconde qui s'écoule.

Jusqu'à ce que la rafale s'arrête d'un seul coup, des pas se répercutant à nouveau sur le sol avant de disparaître. Ne laissant que le silence et mon coeur qui fait une brutale embardée dans ma poitrine. Je ne vois rien d'autre que le noir et les larmes coulent librement sur mes joues. J'ai l'impression d'étouffer et je déglutis, essayant de retrouver mon souffle, sans réussir à y parvenir. La pièce me paraît minuscule, affreusement exiguë. Mais je n'arrive pas à faire le moindre mouvement, comme figé par cette sensation de suffocation qui m'étreint la poitrine. Je me sens étourdi et mes mains viennent agripper ma tête, mes paumes ressentant l'humidité des sueurs froides qui coulent sur mes tempes. Je perds complètement le contrôle de moi-même, je me sens comme si je tombais dans le vide, inlassablement. Je voudrais quitter cet endroit sombre et trop petit, cette pièce qui résume les pires instants de ma vie, qui me fait me remémorer les dernières minutes. Qui me rappelle que j'ai accepté la mort, que j'ai attendu qu'elle vienne me délivrer, que j'ai cessé de me battre et de croire à l'espoir de m'en sortir vivant. Tout me revient en pleine gueule et ma respiration se fait sifflante, mes doigts glissant le long de ma gorge en croyant que ça va m'aider. Je vois la silhouette de Keziah qui pivote vers moi, ses yeux clairs se posant sur mon visage à travers les larmes tièdes qui obstruent ma vision. « Je... » je m'étrangle faiblement, dans un sanglot. Puis je baisse la tête, me recroquevillant sur moi-même, me balançant d'avant en arrière. Je n'arrive toujours pas à reprendre mon souffle et je m'essouffle, pareil à un poisson sorti de son bocal. Ma gorge est douloureuse et j'ai de nouveau l'impression que je vais mourir. « J'arrive...J'arrive pas...Respirer.. » je balbutie, tremblant, en secouant la tête de gauche à droite, avalant de l'air sans réussir à le recracher complètement.

Je voulais sortir de là.  

Je devais oublier ma propre peur, faire fi de la terreur qui me nouait les entrailles et me donnait envie de vomir pour me concentrer sur l'instant présent. Je n'avais pas le droit de craquer, de laisser l'angoisse prendre l'entière possession de mon corps, pas alors que Riona venait de se faire tirer dessus et avait besoin de moi. Sans elle-même, je serais sûrement restée pétrifiée dans ce couloir, attendant simplement que la mort vienne à ma rencontre. Je me devais de lui rendre la pareille, même me si j'ignorais quoi faire de plus pour l'aider. Je ne pouvais qu'être forte pour nous deux et continuer de croire qu'on allait s'en sortir. De toute façon, il ne pouvait pas en être autrement. Je devais retrouver ma sœur, je voulais revoir mon frère et étreindre mes parents. « Oui, mais ça va aller... » Au fond, je n'en savais rien. Je n'étais pas médecin et son teint pâle n'était pas là pour me rassurer. « Ça va aller... » je répète, pour essayer de m'en convaincre cette fois-ci. Puis je me redresse à mon tour, mon regard croisant celui du brun avant de se reposer sur mon amie. « Il aurait déjà fini ce qu'il a commencé si il était encore là... » Et aucun bruit ne semblait provenir de l'autre côté de la porte, ce qui confirmait que nous étions seuls.

Puis la respiration saccadée dans mon dos et l'absence de tout commentaire de la part de Lincoln me fait froncer les sourcils. Je pivote sur le côté pour l'observer et la scène qui se joue sous mes yeux m'enserre le cœur. Qu'importe notre passé commun, ce qu'il a pu faire ou me dire par le passé, je suis incapable de rester de marbre devant les larmes qui devaient ses joues et la panique que je peux lire dans ses iris. Ses quelques mots finissent de me convaincre que je ne peux pas, consciemment, le laisser en proie à la panique. Je dois faire quelque chose ou en tout cas essayer. Je rompt la distance en effectuant quelques pas dans sa direction avant de me baisser pour être de nouveau à sa hauteur. « Lincoln... » je commence dans un murmure. « Regarde moi. S'il te plaît. » Mes mains viennent se glisser dans les siennes et je les presse délicatement. Je voulais qu'il ait un point d'ancrage, un contact physique qui l'aiderait à se calme. Il fallait qu'il réussisse à caler sa respiration sur la mienne, qu'il retrouve un rythme normal. « Inspire. » je lui dis avant de gonfler ma poitrine d'oxygène, mon regard plongeant dans le sien. « Expire. » je reprends, en soufflant également. « Ferme les yeux et concentre toi uniquement sur ma voix, ok...? » Je répète le même procédé une deuxième mes yeux refusant de quitter son visage et mes doigts toujours entrelacés aux siens. « Inspire... Expire... » J’étais prête à continuer indéfiniment si ça permettait de l'apaiser, rien qu'un tout petit peu.

Pendant de longues minutes qui m'ont semblé pareilles à des heures, j'ai eu l'impression que la mort me murmurait à l'oreille. J'avais senti sa présence, comme un souffle glacé tout autour de moi, comme une poigne brutale qui comprimait mon coeur dans ma poitrine. Tout espoir m'a abandonné et je me suis imaginé le visage des gens que j'aimais le plus au monde, l'esprit débordant de regrets. Je n'étais pas toujours le plus expansif, quand il s'agissait de sentiments. Mais prisonnier de cet espace minuscule, la tête bourdonnante à cause des balles qui éclataient le bois pour se répandre dans le mur d'en face, j'ai compris qu'il n'y avait jamais de moment pour exprimer notre affection à ceux que l'on chérissait. Qu'il n'était jamais trop tard et qu'il ne fallait pas attendre, parce que l'on finissait par rater le coche. Je n'avais jamais pensé vivre une telle chose mais ça me faisait me rendre compte de la manière dont l'existence pouvait tourner court ou soudainement s'arrêter, d'un moment à un autre. Mais les tirs s'arrêtent en un instant, les bruits de pas m'amenuisent jusqu'à disparaître et je mets de longues minutes avant de revenir à la réalité. Avant de comprendre que j'allais avoir la chance de retrouver les miens, de les serrer entre mes bras, de me repaître de leur présence.

Plus un son ne transparaît de l'autre côté et je n'aperçois rien en jetant un coup d'oeil à travers les trous que les projectiles ont tracé dans l'épaisseur de la porte. Avant de hocher la tête aux paroles de la brune qui a défait son foulard pour le nouer autour de l'épaule de la blonde. Avant de froncer les sourcils à la respiration saccadée dans notre dos, avisant la forme recroquevillée de l'autre garçon. Son corps est secouru de quelques spasmes mais ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'on dirait qu'il suffoque et mes membres se tendent à cette vision. Pourtant, elle s'approche et je comprends qu'elle va s'en occuper. Il fallait qu'on lui laisse de l'espace, s'il faisait bien une crise de claustrophobie et j'allais m'en charger pendant qu'elle tentait de lui faire reprendre un souffle normal. Alors je me tourne vers la blonde, la main pressée sur sa blessure malgré le sang qui tâche le fin tissu. « Accroche-toi à moi. » je lui souffle. La perte de sang pouvait causer quelques vertiges alors je préférais qu'elle puisse avoir un point d'ancrage, plutôt que de tomber et risquer d'aggraver son état. Une fois son bras valide enroulé autour du mien, je la guide jusqu'à la porte que je déverrouille avant de m'extirper de la pièce pour retrouver la lumière. Mis à part la chaise qui a valdingué au sol et la porte fracassée contre le mur, la serrure gisant par terre, rien n'a changé. Mais je préfère la jouer prudent et j'avance doucement, guettant le moindre signe, le plus petit geste provenant de l'entrée de la salle. Avant de m'arrêter subitement, les yeux écarquillés d'horreur, ma main se plaquant machinalement sur le visage de la blonde pour cacher ses yeux. « Ne regarde pas. » Je n'ai pas oublié le sang et le corps étendu de l'autre côté de la porte, quelques minutes plus tôt. Maintenant que la voie était libérée, je ne voyais que la main pâle, paume tournée vers le plafond, qui attirait inévitablement mes yeux. Et j'étais incapable de faire un mouvement de plus, malgré la curiosité morbide qui me tiraillait dans cette direction. De toute manière, je ne comptais pas partir tant que Lincoln n'allait pas retrouver ses esprits. Je ne laissais personne derrière. Pas après avoir vécu ce cauchemar tous ensemble.   
  

Petit à petit, il y a la peur qui monte, qui vient se loger dans ma gorge, alors que je suis en état de choc complet. Je suis tétanisée. Je peine à comprendre, à réaliser ce qu’il vient de se passer, ce qu’il vient de se produire. Je vois le sang tâcher doucement mon haut. Je sens la douleur irradier, partout le long de mon bras. Je sens les larmes qui monte, mais j’ai l’impression d’être complètement à côté de la plaque, d’être ailleurs et là en même temps. Je secoue négativement la tête à la réponse de mon amie. « Je-Je vais pas mourir, hein ? » J’ai les larmes qui se fendent un chemin le long de mes joues. Je ne veux pas mourir. J’ai peur d’avoir pris une autre balle ailleurs, alors je descends mon regard sur mon corps, cherchant la moindre autre blessure, mais je ne vois rien, je ne vois rien, et pourtant, j’ai l’impression que tout mon corps est douloureux. J’hoche la tête finalement à ses mots, avant qu’elle n’aille porter secours à Lincoln, à son tour pris de panique. Et je ne l’avais jamais vu si mal en point. Cette situation est en train de tous nous changer. Je sanglote encore quand le blond se mets à ma hauteur.

Je me relève en m’appuyant à lui, la tête légèrement étourdie, pendant quelques minutes, tentant de m’ancrer dans la réalité avant de faire quoi que ce soit. Je m’accroche à son bras, avant de faire un pas en avant, puis plusieurs, alors qu’on quitte le cagibis, on rejoint cette salle, il y a des douilles vides au sol, quelques impacts sur les murs. Il y a la serrure par terre, proche de la chaise, qui a valdingué, je ne sais pas vraiment comment. J’ai peur d’avancer, qu’il soit toujours là, caché quelque part dans l’ombre, qu’il n’ait attendu que notre sortie pour finir ce qu’il avait commencé, qu’à terminer son chargeur sur nous. Soudain la main du blond vient se plaquer sur mon visage, et je me mets doucement à paniquer. « Il est là ? » Je demande le souffle court, incapable de voir quoi que ce soit. Puis soudain je me rappelle de ce corps, étendu de l’autre côté de la porte, et du sang, qu’on avait vu s’écouler par l’interstice, et je me remets à pleurer, en m’effondrant complètement. Je lâche le bras de Loxley, et retombe à genoux sur le sol, m’infligeant en même temps cette vision d’horreur. Il n’y a pas de vie dans cette personne, c’est une victime, une victime a qui on aurait pu sauver la vie, à quelques secondes près. J’ai l’estomac retourné, et la tête en vrac. « Je veux pas avancer. » Je répète plusieurs fois, les yeux rivés sur ce corps étendu, duquel mon regard ne voulait pas se détourner. Je n’arrive pas à regarder ailleurs, à voir autre chose. A imaginer, que ça aurait pu être moi, ou eux, sur le pas de cette porte. Que c’était un élève, quelqu’un que je connaissais peut-être. Ca aurait pu être un ami. Et ça me termine, j’explose en sanglots, recroquevillée sur moi-même.

J'avais l'impression de me noyer. De suffoquer sous la vague qui me submergeait, tentant inutilement de remonter à la surface. Malgré les rais de lumière qui traversaient le local, je me sentais opprimé, comme forcé à me recroqueviller sur le sol. La pièce me paraissait minuscule et mon souffle s'étranglait dans ma gorge, me forçant à inspirer de l'air sans parvenir à l'expirer. J'étouffais, le corps tremblant, après être passé à un cheveu de la mort. Et rien n'allait réussir à m'ôter ces quelques minutes d'horreur de la tête, désormais. Je ne me souviens pas avoir vécu une terreur de la sorte, même après avoir reçu le revers de mes actions au collège. L'hostilité de mes camarades, ce n'était finalement rien face à la folie qui avait flotté dans l'atmosphère, face au cliquetis de la gâchette et au courant glacial qui s'était insinué dans ma poitrine. Je me sentais comme étranger à tout ce qui se passait autour de moi, comme enfermé dans une bulle opaque et insonorisé, ne laissant rien filtrer d'autre que ma respiration chaotique. La situation m'échappait complètement et je n'arrivais pas à reprendre le contrôle de moi-même, à arrêter cette déflagration qui m'ébranlait tout entier, qui me laissait pantelant et désorienté. Des larmes gouttent au coin de mes yeux et roulent sur mes joues, laissant des sillons qui me paraissent chauds par rapport au froid qui m'enserre tout entier. Et même mes mains autour de ma gorge ne me sont d'aucune utilité pour retrouver une respiration normale. Lincoln. Une voix parvient jusqu'à mes oreilles et je relève finalement la tête, croisant les yeux clairs de Keziah. Mon coeur s'affole à nouveau et je me crispe quand ses mains viennent se glisser dans les miennes. Pourquoi ? J'aurais aimé lui poser la question mais rien ne sort d'entre mes lèvres, les mots bloqués par le souffle qui me manque. Incapable de faire autre chose que plonger mon regard dans le sien, laissant ses paroles s'imprimer dans le creux de ma tête. Inspire. J'essaie de faire de même, combattant la panique qui me transperce pour gonfler mon torse, imitant son geste. Expire. Il y a quelques sanglots étouffés qui sortent de ma gorge en suivant ses conseils, ma poitrine qui s'agite encore à cause de la crise qui me prend en otage. Ferme les yeux et concentre toi uniquement sur ma voix. Je l'observe, en silence, l'esprit envahi d'interrogations. Je ne comprenais pas son geste et son origine. Pas après tout ce qui nous liait, pas après toutes les ombres qui nous entouraient. Pourtant, il y avait son visage face au mien, ses doigts qui diffusaient une douce tiédeur et sa voix pour me guider au travers des ténèbres.

Alors mes paupières se ferment et j'ai le sentiment que tout résonne deux fois plus fort, à présent. Inspire. Expire. Je ne sais pas combien de minutes s'écoulent à partir de cet instant mais je me focalise sur ses mots, sur sa voix basse qui traverse l'obscurité pour m'atteindre, sur mon torse qui se lève et se rabaisse. J'essaye de retrouver le calme, d'apaiser les pulsations frénétiques de mon coeur, de me frayer un chemin pour retrouver contenance. Et ça finit par fonctionner, bon gré mal gré, au bout d'un moment qui me paraît terriblement long. Mes sanglots se tarissent, au même titre que mes larmes. Mes poumons se remplissent d'oxygène de manière naturelle et j'aperçois enfin la lumière qui entre par la porte grande ouverte. Avant de retrouver le faciès pâle de la brune, ses iris posés sur moi et de reprendre pied dans la réalité. Mon corps se tend tout entier et je détourne le regard, humilié d'avoir été pris dans cette situation de pure fébrilité. « Merci. » je murmure néanmoins, du bout des lèvres. Avant de me redresser, m'écartant ostensiblement d'elle pour me mettre debout et étirer mes membres endoloris. Il fallait que je sorte de là, que je m'éloigne, que je prenne l'air. Que je mette autant de distance que possible entre cette pièce et moi, pour ma santé mentale. Je fais quelques pas pour rejoindre la salle et je m'arrête soudainement en voyant Riona, les yeux cachés par la main du grand blond. « Qu'est-ce que ? » Mais je vois la direction qu'a pris leurs têtes et mon regard se pose lui aussi sur la main étendue par terre. Sur la tâche de sang qui a séché, sur l'évidence qui s'impose devant nous. Je pose une main sur ma poitrine, prenant une longue inspiration avant d'entendre les pas de Keziah dans mon dos. « On ne peut pas rester là. » je souffle, fermant les yeux quelques instants pour essayer de ne pas me mettre à perdre la boule. « Il faut qu'on en profite. Il va peut-être revenir sur ses pas. » Je savais que ça voulait dire enjamber le corps allongé sur le sol et contempler un des nombreux exemples ici et là de la barbarie de l'être humain.

Mais nous n'avions pas le choix. Nous ne l'avions jamais eu depuis que nous avions mis un pied dans cette école, en ce jour funeste.  

Qu’importe ce qui s’était passé entre nous, des années auparavant, qu’il se soit comporté comme un parfait connard avec moi, qu’il m’ait rendu la vie impossible et que j’ai souvent eu l’impression de n’être qu’une moins que rien à ses yeux… Qu’importe que je lui en veuille encore, que je ne sois pas capable de tourner définitivement la page, parce que son comportement envers moi m’avait très certainement marqué à jamais, je ne pouvais pas le laisser en proie à autant de détresse. Mes parents ne m’avaient pas élevé ainsi et j’avais un cœur. Peut-être que j’étais trop sensible, trop gentille, mais je m’en fichais. Nous étions tous les quatre dans la même merde et si on ne se serrait pas les coudes maintenant, dans une situation aussi critique que celle dans laquelle nous nous trouvions, alors autant qu’on continue notre chemin chacun de notre côté, en étant égoïste jusqu’au bout, quitte à sacrifier les autres pour nous en sortir. Je ne voyais pas les choses comme ça. Je ne pouvais pas simplement fermer les yeux, le laisser dans son mal-être et attendre qu’il aille mieux, tout seul, sans rien faire, tout ça parce qu’on ne se portait pas dans notre cœur. On allait s’en sortir, quitter ce lycée maudit, tous les quatre et en se soutenant. Et peut-être que demain, les choses iront mieux entre nous, peut-être que j’aurais trouvé la force de lui pardonner ou pas. Et tout redeviendra comme avant, lui continuant sa route et moi la mienne. Honnêtement, je m’en fichais. Il était comme tout le monde, à ce moment précis et il n’avait plus rien de l’enfant qui avait fait de mes journées de classe un Enfer. Alors j’essaie de lui apporter mon aide, comme je le peux. Je lui demande de n’écouter que ma voix, de se concentrer sur celle-ci alors que je lui dicte un rythme respiratoire sur lequel se caler, pour qu’il puisse se calmer, reprendre contenance. Et j’ai l’impression de rester une éternité, à serrer ses mains dans l’espoir qu’il garde un pied dans la réalité, avec moi, jusqu’à ses sanglots cessent et que sa poitrine se soulève enfin de façon régulière. Je vois son corps se tendre et je le relâche, gênée par mon geste. « De rien… » je souffle pour toute réponse, l’observant se redresser, faisant de même, gardant cette fois-ci une sorte de distance de sécurité entre nous.

Je le suis dans la salle, avant de me stopper net en apercevant mes trois camarades regarder dans une direction, sans réussir à s’en détacher. Je tourne à mon tour la tête, retenant un hoquet de surprise avant dé détourner les yeux pour ne plus voir cette scène s’imposer à ma rétine. Je dégluti difficilement, hochant la tête aux mots de Lincoln. Il avait raison. Il fallait qu’on bouge, qu’on essaie de quitter l’enceinte du lycée pour rejoindre l’extérieur et les secours. Et je voulais retrouver ma sœur. Plus que tout. Et ce n’était pas en restant planté là que j’allais mettre les chances de mon côté pour tenter de la retrouver. Je ne voulais rien tenté de dingue, parce que j’ignorais où elle était en ce moment, mais elle avait peut-être déjà réussi à sortir et ça, je ne pouvais pas en avoir la certitude tant que j’étais ici. Je m’avance vers mon amie, l’une de mes mains venant se poser sur son bras. « Il le faut, Rio… » je chuchote en captant son regard. Elle devait me regarder moi et pas le corps sans vie qui gisait devant notre porte. « Tu as besoin de voir un médecin. » Je ne voulais pas être pessimiste concernant son état, ni m’imaginer le pire, mais je n’avais pas besoin de m’y connaître pour savoir à quoi pouvait mener une blessure par balle. Et je refusais de la voir perdre connaissance ou pire encore. « S’il te plaît… ? » je tente une dernière fois, en espérant sincèrement qu’elle acceptera de se remettre en route.

Mon coeur bat sourdement dans ma poitrine et je ferme les yeux quelques secondes, quand le silence afflue de nouveau hors de la pièce. Le jour perce par les petits trous laissés par les balles et ma gorge me fait douloureusement mal. Il aurait suffit qu'il ouvre la porte pour nous exécuter un par un, sans la moindre pitié. Et le fait qu'il décide de le faire à l'aveugle, sans savoir s'il y avait réellement quelqu'un derrière avait été notre salut. Mais pas sans dommages, malheureusement. Une tâche sombre imprègne le foulard que la brune a noué autour de son épaule et je serre les dents avant de me pencher à sa hauteur pour l'inciter à s'accrocher à moi. Il fallait qu'on sorte de là pour laisser de l'espace au châtain, vu sa respiration saccadée qui ne présageait rien de bon. De plus, le temps passait et nous devions trouver les secours pour soigner la blessure de la blonde. Ses bras s'enroulent enfin autour du mien et je la guide hors du local, retrouvant la salle nimbée de lumière. Nos pieds crissent sous les douilles vides éparpillés sur le sol et j'essaye de ne pas penser à ce qu'elles auraient pu produire de pire. Mais mes yeux sont attirés par la masse gisant par terre et ma main vient se plaquer sur le visage de la blessée, par réflexe. Le sang, la peau pâle, les muscles relâchés. Et surtout, quand j'avance d'un pas prudent, le regard figé par l'horreur, désormais vide de la moindre étincelle.

Soudain, la prise de Riona disparaît et je la vois s'effondrer à genoux avant même de réagir. Son amie la rejoint en quelques secondes avant de l'effleurer de la paume. « Elle a raison. Tu perds trop de sang, tu vas finir par perdre connaissance à ce rythme. » je souffle, les sourcils légèrement froncés. Et je finis par me mettre devant elle pour lui cacher la vue du cadavre étendue à quelques mètres, tendant les bras de part et d'autre. Si elle ne voulait pas sortir d'elle-même, j'allais trouver un moyen de le faire à sa place. « Accroche-toi à moi. » je répète à nouveau, comme j'avais pu le faire quelques minutes avant. Je la vois m'observer, hésitante, la tête penchée sur le côté. Puis elle hoche la tête de manière infime et je glisse ma main sous ses genoux, l'autre dans le creux de son dos, l'inclinant vers moi pour obliger son regard à rencontrer le tissu de mon tee-shirt. « Garde ta tête comme ça et ne bouge pas. » je murmure, en baissant les yeux sur son visage blafard et ses yeux rougis par les larmes. Il fallait qu'on se tire d'ici au plus vite et qu'on sorte de l'enceinte du bâtiment, en espérant croiser les secours sur notre route si ce n'était pas eux qui nous trouvaient avant. Je tire sur mes jambes pour nous relever tous les deux avant de déglutir, prenant une profonde inspiration. « Allons-y... » je souffle, à voix basse.

J'avais failli leur demander s'ils étaient prêts à partir. Mais nous n'étions prêts à rien du tout, en cet instant. On ne faisait que subir le déchaînement des éléments, la folie, la barbarie. La mort. Tout ça, sans pouvoir réagir. Pourtant nous étions toujours en vie et j'étais prêt à tout pour fuir cet endroit, pour retrouver l'air frais et les gens qui m'étaient chers. Je faisais de mon mieux pour ne pas penser à Hadlee, à me ronger les sangs en me demandant où elle était, ce qu'elle faisait, si elle allait bien. Je combattais la nausée qui remontait sinueusement à la simple idée de l'avoir perdue, quelque part au milieu de ces couloirs. Mais je comptais sur sa volonté de fer et son courage. J'espérais de toutes mes forces qu'elle avait trouvé un endroit où se cacher, si elle n'avait pas eu la chance de partir avant le drame. Pour le moment, je devais penser à nous. À ce petit groupe qui essayait tant bien que mal de s'en sortir. Quelqu'un avait besoin de soins, de notre aide et je devais me focaliser sur notre survie si je voulais avoir la chance de retrouver la liberté et les bras rassurants des miens.