Secret ~ Teagan & Lily

C’est samedi soir et que font les jeunes le samedi soir ? Ils sortent, profitent de ces quelques heures de répit pour voir des amis qu’ils n’ont plus le temps de voir, la normalité quoi. C’est ce qu’on faisait aussi, avant. Avant que Lily ne s’en aille pour cette prestigieuse école de danse qui nous fait tous envie depuis des années, avant que les autres ne décident qu’il s’agissait-là d’une traîtrise de sa part, avant que je me retrouve le cul entre deux chaises, avant qu’on s’embrasse… Officiellement, Lily-Rose est ma petite amie, officieusement, je ne la vois plus – ou presque plus – depuis qu’elle a intégré son école de danse. En fait, c’est ce que pense mes amis. Je n’ai pas encore eu le courage de leur annoncer la nouvelle par peur qu’ils prennent mes cachotteries pour un deuxième coup de poignard dans le dos. Pourtant, je n’ai rien fait de mal si ce n’est prendre mon courage à deux mains pour déclarer ma flamme à la personne que j’aime en secret depuis des années. Mais bon, Lily non plus n’avait rien fait de mal en décidant de passer un casting sans rien nous dire et on voit comment toute cette histoire s’est terminé… Alors oui, je continue de leur mentir, en trouvant diverses prétextes pour ne plus être là aussi souvent qu’avant lors de nos soirées du samedi soir, tout ça dans le seul et unique but de rejoindre ma petite amie. Dire que ses mensonges ne m’épuisent pas serait faux, mais maintenant que j’ai un pied dedans, j’ai du mal à en imaginer une porte de sortie, d’autant plus qu’avouer la vérité me semble être une mission impossible. Mais il le faudra un jour. Oui, un jour.

Ce soir, on a décidé d’aller au cinéma. En fait, c’était mon idée. J’avais besoin d’un lieu sombre où on ne risquerait pas de tomber nez à nez avec des personnes de notre connaissance. Je suis devenu un peu parano depuis la fois où on a failli se faire griller alors qu’on profitait simplement de la fête foraine qui venait de s’installer pour l’été. Et très honnêtement, devoir me cacher derrière une barbe-à-papa, ce n’était amusant seulement pendant deux minutes. Mon choix d’activité est donc purement stratégique et en plus, j’ai eu la bonne idée de choisir le cinéma à l’autre bout de la ville, celui où on ne va que très rarement, histoire d’assurer nos arrières. Disons surtout les miens. Mais au moins, la probabilité pour qu’on croise quelqu’un est faible. Je vais pouvoir profiter la soirée sans m’imaginer divers scénarios m’obligeant à trouver des excuses bidons pour expliquer le pourquoi du comment.

Et c’est ce que j’ai fait. J’ai profité de cette soirée. Le film était bien ? Je n’en ai pas la moindre idée. En revanche, je peux vous décrire toutes les expressions qui ont animé le visage de Lily pendant qu’elle le regardait,comment ses pupilles se mettent à briller quand elle est amusée, la façon qu’on ses lèvres de trembler quand elle est émue ou touchée. Je pourrais même faire un exposé tout entier sur la délicatesse de ses lèvres, le teint légèrement rosé de ses joues et les frissons qui parcourent mon échine alors qu’elle vient murmurer contre mon oreille une phrase comportant le mot ‘pop-corn’ et ‘ventre’, de quoi avoir le mérite de me faire redescendre sur Terre. Je récupère le pot qu’elle me tend pour plonger ma main dedans, m’intéressant de nouveau à ce qui se passe sur l’écran. « Il n’était pas mort, lui ? » que je marmonne un peu trop fort et la bouche pleine de sucreries. La vieille derrière-nous se met à râler et ma copine, qui m’est toujours d’un soutient sans faille, en profite pour me faire porter le chapeau sans le moindre remords. « Traîtresse. » Cette fois, je parle suffisamment bas pour qu’elle soit la seule à m’entendre. Je me vengerais. Même si j’ai du mal à imaginer une quelconque vengeance quand elle pose sa tête sur mon épaule.

Le film s’est terminé et nous sommes restés après le générique, dans l’espoir qu’une scène cachée s’y trouve, mais sans grand résultat. L’avantage, c’est que nous ne sommes plus qu’une petite dizaine de personnes a quitter la salle et qu’on ne risque pas de se bousculer à la sortie. Et ça m’aura permis de profiter de ce moment quelques minutes de plus. Parce que malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin et que je suis attendu à la maison par mon père qui se fera une joie de me rappeler que je dois respecter le couvre-feu. Oui, j’ai un couvre-feu depuis que je suis accidentellement rentré bourré d’une soirée et que mon cerveau eu la brillante idée de réveiller la maisonnée en aboyant comme un chien. Et comme l’humiliation n’était déjà pas assez grande, Monsieur Bell s’est dit que de punir son fils pour le rendre plus responsable était une excellente idée. Yes, thanks dad.

On se retrouve dans un hall de cinéma quand même plein a craquer et d’abrutis qui ne savent pas dire pardon quand ils bousculent quelqu’un. Mon humeur bougonne ne fait que de s’empirer et même les blagues que tentent de faire Lily et qui, promis, me font rire d’habitude ne fonctionnent pas. En revanche, ses lèvres sur les miennes, ses bras autour de mon cou, ça, ça me réchauffe le cœur. Je l’étreins à mon tour, m’empreignant de son doux parfum. Si j’avais le droit à un vœu, ici et maintenant, ce serait celui de mettre ma vie sur pause pour toujours…

Ou de disparaître.

Des têtes que je ne connais que trop bien apparaît dans mon champ de vision. Et merde. Lily se rend compte que quelque chose me chiffonne et se tourne. J’aurais aimé avoir le réflexe de l’en empêcher ou l’entraîner à ma suite loin de nos amis, mais je reste stoïque, incapable de réagir. Quel genre de personne j’étais dans ma vie antérieure pour que le karma s’acharne de la sorte ? Et pourquoi faut-il qu’elle ait cette idée tout sauf lumineuse d’aller les voir ? Je ne veux pas leur faire un petit coucou, ni un grand coucou d’ailleurs, je veux juste qu’on s’éclipse le plus rapidement possible d’ici et sans se faire voir, de préférence. « Mauvaise idée. » J’attrape sa main et l’oblige à se tourner vers moi. « On devrait juste profiter du peu de temps qu’il nous reste pour le passer juste nous deux, nan… ? » Parce qu’en vrai, je ne suis qu’un lâche qui n’a pas encore eu le courage de parler.

Ça ne devait pas se passer comme ça. J’avais tout fait, pour limiter un drame de ce genre, pour pas qu’on ait besoin de jouer aux ninjas une fois de plus et surtout que je me retrouve dans le pétrin parce que j’avais refusé d’avouer la vérité à nos amis. Ou anciens amis, à ce niveau-là, je ne sais plus trop si je peux encore les considérer comme tel. Mais visiblement, choisir le cinéma le plus éloigné du centre ville n’avait pas suffit, et le fait que Los Angeles soit une ville immense dont la probabilité de croiser ceux qu’on ne veut pas voir est faible, ne semblait pas des plus utile non plus. Résultat des courses, j’étais dans la merde et jusqu’au cou. J’avais promis à Lily, il y a plusieurs semaines de ça, que j’allais leur en parler, que je leur dirais la vérité sur nous deux et que, tant pis, si ça brisait mon amitié avec eux. Je m’en croyais capable, mais non. Je tiens à mes amis comme je tiens à elle. Et j’étais persuadé qu’ils m’en voudraient et que plus rien ne serait jamais comme avant. Ouais, j’étais sûr que ça se passerait comme quand Lily nous a annoncé qu’elle était prise dans son école de danse, qu’ils allaient se sentir trahis et que les liens qui nous unissaient se briseraient. Pourtant, je ne leur ai jamais caché que je trouvais leur réaction excessive et particulièrement risible. J’avais simplement transformé la vérité, leur expliquant qu’on ne se voyait plus ou presque plus, parce qu’elle était débordée. Et c’était en partie vrai. Jusqu’à ce que je me rende compte que je voilais la face depuis des années et que je ne pouvais plus refouler mes sentiments. Et depuis qu’on sortait ensemble, ma vie était devenu un nid à mensonges. Je mentais à mes amis, je lui mentais à elle et à ce rythme, j’allais finir par me mentir à moi-même…

Et voilà à quoi me mène tous ces artifices.

Je m’enfonce dans des sables mouvants et plus je me débats pour en sortir, plus je me sens attirer par le fond. Peut-être que j’aurais mieux fait de me taire, la laisser les rejoindre et espérer en silence pour qu’ils se la ferment ou ne réagissent pas devant elle. Peut-être que sur un malentendu, tout ce serait bien passé et que, j’aurais pu, la prochaine fois, leur glisser subtilement qu’on est ensemble. Mais non, je me suis foutue dans un merdier pas possible et maintenant, j’allais m’en mordre les doigts. Et qu’est-ce que je peux répondre à ça ? Que oui, je leur ai parlé et qu’ils ont mal réagi ? Ça pourrait être une solution, mais ce serait surtout encore une autre connerie pour m’éviter d’annoncer la vérité. Et j’en avais ras le bol de mentir à tout le monde. Peut-être qu’au début, c’était une solution de facilité, ou une bonne idée, mais aujourd’hui, c’est en train de tout détruire autour de moi. Et ce n’est pas que mes amis, que j’allais perdre, mais elle aussi, si je ne fais rien. « Tu n’es pas mon vilain petit secret, Lily… » je chuchote, en plongeant mes yeux dans les siens. Je suis sincère et je veux qu’elle puisse le lire dans mes iris, de la même façon qu’elle a toujours su lire la vérité dans mon regard. Mais je n’ai pas le temps d’en dire plus, de lui avouer que j’ai essayé de leur avouer, mais que je me suis dégonflé au dernier moment, qu’elle s’échappe en courant vers la sortie. « Lily ! » J’essaie d’attraper sa main pour l’en empêcher, mais elle est plus rapide et je me retrouve comme un con, au milieu du hall, avec une foule de regards braqués dans ma direction, dont ceux de nos amis. Je peux y lire un mélange d’incompréhension, d’étonnement et de déception. Merde… Je suis dans la merde, avec eux, comme avec Lily. Mais eux, ils sont vraiment le cadet de mes soucis en ce moment.

Mes jambes se mettent en mouvement avant que mon cerveau ne reprenne entièrement les commandes de mon esprit et c’est à mon tour de bousculer toutes personnes se mettant sur mon passage. Je ne peux pas tout foirer, pas comme ça. Je ne peux pas être cet imbécile et pire, je ne veux pas, l’être. Je pousse les deux portes battantes qui mènent vers l’extérieur, regardant dans tous les sens à la recherche de ses longs cheveux blonds, quand je la vois enfin. Je me remets à courir et une fois à sa hauteur, je me mets devant elle, lui attrapant les mains pour être certain qu’elle ne me fuira pas une seconde fois. Ou en tout cas, pas après m’avoir écouté. « Je suis un idiot, d’accord ? » Je mérite, sans l’ombre d’un doute, la palme d’or de l’abruti de l’année. « Et je suis sincèrement désolé de t’avoir menti… J’aurais dû leur dire dés le début pour nous deux. » Teagan Bell, toujours un train de retard pour percuter les choses. Je crois que mes parents m’ont bercé un peu trop proche des murs, ça m’a fait perdre mes deux ou trois neurones utilisés pour la réflexion et la logique. « Je t’aime Lily-Rose, tu ne dois pas en douter… »