Betrayal & escapism | Carvie #2

Des jours que je la regarde de loin. Des jours que je garde le silence en espérant que tout ça prenne fin le plus vite possible. Des jours que je suis spectateur et complice de quelque chose qui m’avait complètement échappé. Elle était prisonnière, sous mes yeux, et je n’avais rien su faire pour que ça n’arrive pas. A jouer un double-jeu, je me suis retrouvé empêtré dans un sacré merdier. Merdier que je ne me pardonnerais sûrement jamais. Je n’avais pas bougé un seul petit doigt pour que ç n’arrive pas. Trop occupé à croire que mon père avait raison. Que je devais rester fidèle aux miens. C’était ce que j’avais toujours entendu. Qu’il n’y avait que la famille. Le reste c’était du flan, des gens de passage. Des gens qui tôt ou tard, voudrons nous réduire en cendres. Ce n’était qu’ensemble que nous étions les plus forts, presque intouchables. J’aurais voulu y croire pour le restant de ma vie. Cependant, j’avais vu le vrai visage de mon père. Jusqu’ici, il ne m’avait jamais impliqué dans ces petites affaires. Emmené au stand de tirs, permis d’assister à quelques réunions, de jeter un œil aux dossiers, surveiller une cargaison. Tout ça, j’avais fait. Sans jamais broncher, mais là c’était pire. Il savait pour Avalon et moi. C’était un moyen de me prouver que j’avais été un parfait petit pantin. Pire encore, c’était le meilleur moyen de la mettre à terre. J’avais laissé faire, sous mes yeux, je l’avais regardé kidnapper celle dont j’étais amoureux, sans rien dire, sans jamais broncher. Mais ça ne pouvait plus continuer. Il avait suffi que je doive tenir une arme contre son crâne pour prendre conscience de la folie dans laquelle on était embarqué. J’ai eu tellement peur de faire un geste de travers, que la balle lui traverse le crâne. J’en retiens une haine profonde contre mon propre père. Tout ça n’avait rien de sensé, et je ne pouvais pas tenir une seconde de plus en étant complice. Alors sans trop d’hésitation, j’ai pris la décision de me soulever contre lui. De la faire sortir de là, quoi qu’il m’en coute. Je n’avais plus rien à perdre de toute façon. Avalon me voyait comme un monstre et ma famille allait sûrement renier mon nom après ce que j’allais faire, mais ça en valait la peine. Je refusais qu’elle reste encore ici.

Mais établir un plan n’était pas une mince affaire. Il fallait qu’il soit parfaitement rôdé pour que je puisse la faire sortir en toute sécurité et surtout, en toute discrétion, mon père ne devait pas savoir. J’avais de grande chance de finir par lui tenir compagnie, s’il venait à le savoir. J’aurais pu être plus malin, simplement aller voir les flics, le dénoncer. Dire qu’il était à l’origine de tout ça, dévoiler où se trouvait la prison d’Avalon. Mais ça impliquait de la garder là, d’autant plus longtemps. J’ai passé de trop longues nuit, penché sur les plans du bâtiment, à essayer de trouver le chemin le plus court pour la sortie, à observer les tours et les détours des hommes de main de mon père, pour trouver la solution. C’était risqué, mais pour elle, ça en valait la peine. Je n’étais pas certain de me lancer dans quelque chose qui allait fonctionner, mais j’aurais eu le mérite d’essayer. Elle ne pouvait pas rester une minutes de plus entre ses griffes. Alors afin de ne pas attirer les soupçons, j’avais continué à venir régulièrement dans les parages, même à l’observer à travers la petite vitre, attenante à sa porte. Tout ce que j’y voyais, c’était une jeune femme en train de se laisser mourir. Qui avait abandonné. Elle ne se nourrissait plus. Elle avait les yeux cernés, les joues qui commençait lentement à se creuser. Je ne comptais plus jours depuis le début de sa captivité, mais ils étaient trop nombreux, je le savais. Et ça ne devait plus durer.

Le jour était alors venu. J’avais enfilé les habits les plus foncés possibles, et avait attendu que le jour commence à décliner, pour m’y rendre. Mon plan était simple, en soirée, il y avait moins de gardes dispersés, qui guettait dans les couloirs et à l’entrée. Si j’étais assez malin pour tomber au bon moment de la relève, je devrais pouvoir m’en tirer sans trop de problèmes.L’important c’était que j’arrive à atteindre la cellule et à la faire sortir de cet enfer. Une sortie de secours se cachait au fin fond du sous-sol, et avec un peu de chance, j’arriverais à nous faire sortir de là vivants. Je m’étais alors rendu jusqu’aux sous-sol. Je me montre poli avec les personnes que je croise et j’atteins finalement la geôle d’Avalon. Un des hommes de main de mon père se tiens là, posté droit comme un piquet. « Je viens apporter de quoi se nourrir à notre détenue. » Je lance, en montrant le plateau chargé de nourriture. Ici, personne ne doute de ma parole. Il me laisse entrer dans la cellule alors que résonne cette alarme signifiant le changement. On devait être rapides. Je jette la nourriture au sol, avant de me précipiter sur elle pour défaire les liens. « Je suis tellement désolé Avalon, tellement. Je vais te sortir de là. » Je lâche rapidement, en m’acharnant sur les liens qui la retenaient prisonnière. « Il va falloir que tu me fasses confiance. » Je voyais l’état d’épuisement dans lequel elle était, mais il allait falloir qu’elle soit courageuse, qu’elle puise dans ces dernières forces, ce soir.

Les jambes repliées contre ma poitrine, le dos appuyé contre le mur crasseux de ma geôle, je laisse les larmes couler, une nouvelle fois, le long de mes joues. Je n’avais pas réussi à fermer les yeux depuis plusieurs jours, apeurée par tous les bruits qui m’entouraient quand la nuit tombait, angoissée à la simple idée de ce qu’il pourrait se passer si je laissais mon corps se détendre et s’endormir, ne serait-ce que pendant quelques minutes. Alors je luttais contre le sommeil qui m’accablait, contre l’envie d’abandonner qui hantait mon esprit depuis plusieurs jours. Parce que l’espoir, le mien, il s’amenuisait de jour en jour, d’heures en heures. Je savais que mes parents faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour me sortir d’ici, pour mettre fin à cet enfer et ils avaient toute ma confiance. Seulement, les semaines s’écoulaient et j’étais toujours ici, à attendre, finalement, qu’un miracle ne se produise. Je connaissais le fonctionnement du SWAT, je savais qu’ils ne pouvaient pas laisser entrer en considération le fait que j’étais leur fille, qu’ils agissaient très certainement dans l’ombre pour que tout se passe au mieux lorsqu’ils viendront me chercher. Mais le temps me paraissait long, interminable. Et je n’avais jamais autant compris les horreurs que ma mère avait traversé des années auparavant. Ce n’était en rien comparable et je m’estimais chanceuse de ne pas subir les mêmes vices qu’on lui avait infligé. Mais la peur, l’angoisse, le désespoir, ces sentiments si forts qu’ils donnaient l’impression de nous écraser, je les partageais aussi. Elle s’en était sortie, elle avait survécu et je me raccrochais à ça. Mon père l’avait sauvé et je ne doutais pas un seul instant qu’il en ferait de même pour moi. Quant à ma mère, elle avait su trouver la force nécessaire pour se battre, alors j’allais faire pareil. Pour eux, pour ma sœur et mon frère. Et parce que, par-dessus tout, je rêvais de les serrer dans mes bras, de retrouver ma moitié pour ne plus jamais la quitter, d’étouffer Neven, m’assurer que lui aussi, il allait bien. Je voulais reprendre ma vie, la retrouver et oublier les événements de ces dernières semaines.

En dehors de la douleur d’être séparée de mes proches, subsistait celle de la trahison. Je n’arrivais pas à m’enlever les images de Carson aux côtés de son père, à l’arme qu’il avait osé poser contre ma tempe, comme si tout ce qu’on avait partagé, avant, n’avait plus aucune importance. Le simple fait de me rappeler que je lui avais accordé ma confiance, que j’avais pu l’apprécier me rendait malade. Je m’étais fait avoir comme une idiote. Et vu le passif commun de nos parents, une partie de moi ne pouvait s’empêcher de penser qu’il s’était rapproché de moi dans un but bien précis, que rien n’avait été laissé par hasard. Je ravale un sanglot, la colère refaisant surface. Comment est-ce que j’avais pu être aussi stupide, hein ? Comment est-ce que j’avais pu le croire et me laisser berner à ce point. Je n’avais jamais haï quelqu’un, mais ce que je ressentais à son égard en ce moment allait au-delà de toute haine. J’en venais presque à lui souhaiter de périr dans d’atroces souffrances alors que vouloir la mort de quelqu’un, ça ne me ressemblait pas. Pourtant, j’étais persuadée que cette nouvelle pourrait presque soulager mon âme. Et mon coeur, qu’il n’avait eu aucun scrupule à briser et piétiner. Je viens poser mon front contre mes genoux, m’autorisant à clore mes paupières pendant quelques infimes secondes. Le visage de June m’apparait, faisant affluer les larmes. Je m’en voulais tellement de lui imposer ça alors qu’elle m’avait prévenu, un nombre incalculable de fois, que mon projet d’article était dangereux. Et je me revoyais lui assurer que je ne risquais rien, que je saurais me montrer prudente et que je ne prendrais aucun risque inutile. Des mensonges, que des mensonges.

Le soleil s’était déjà couché lorsqu’un raffut en provenance du couloir menant à ma prison me tire de mes pensées. Je redresse la tête, accueillant l’obscurité avec une nouvelle source de craintes. Puis la silhouette de Carson apparaît, un plateau entre les mains et je sens mon coeur s’accélérer. Je pivote sur le côté pour ne plus m’imposer sa vision, attendant qu’il vienne déposer ma nourriture, que je ne toucherais pas, et qu’il reparte. Mais le plateau rencontre le sol dans un bruit sourd, me faisant presque sursauter et je me replie un peu plus sur moi-même, suppliant en silence pour qu’il s’en aille lorsqu’il s’approche de moi. « Ne me touche pas. » je souffle, d’une voix faible « Reste où tu es ! » je lâche d’une voix un peu plus forte. Il s’agenouille devant moi, s’empressant de défaire les liens qui retiennent mes chevilles prisonnières et je dégluti à ses paroles. « Tes excuses ne valent rien… » Ses mots, ne valaient rien. Pourquoi même est-ce que je le croirais ? J’étais ici à cause de son père, j’étais ici parce qu’il lui obéissait au doigt et à l’oeil. « Et si je ne veux pas te faire confiance ? » je demande, mes yeux plongeant dans les siens. « Qu’est-ce qui me dit que ce n’est pas encore l’une de vos petites manigances… ? Qu’est-ce qui me prouve que tu es sincère ? Tu ne l’as jamais été avec moi, jusqu’à maintenant. » J’ignorais comment je trouvais la force de lui dire tout ça. « Je ne veux pas de ton aide, Carson. Je ne veux plus jamais que tu fasses partie de ma vie… »