The night we danced, minds cloudy and bodies warmed. (Miby #2)

« Qu'est-ce que je te sers ? » Mes yeux vont et viennent du visage de Ruby à celui du serveur qui nous fait face, mes avant-bras posés sur le rebord du comptoir. Il faisait sombre, malgré les projecteurs qui envoyaient des tâches de couleur ici et là, à travers la salle. Et j'avais déjà chaud, savourant le fait d'avoir opté pour un simple tee-shirt blanc. L'air était saturé de parfums qui se mêlaient à la transpiration et j'avais arrêté de compter le nombre de corps qui ondulaient sur le rythme de la musique, retranchés dans un monde qui n'appartenait qu'à eux. « Je vais prendre une- » je débute, salivant d'avance à l'idée des saveurs exotiques qui allaient se mélanger sur le creux de ma langue. « Pinã colada. Pour changer. » Sa voix résonne en même temps que la mienne et glousse, avant de hausser les épaules innocemment, tout en posant ma main à plat sur mon coeur. « Touché. » Est-ce que je prenais toujours la même chose ? Tout à fait. « Et la demoiselle ici présente aimerait quelque chose d'acidulé, pour commencer. Avec de la pomme, si c'est possible. » je rajoute, en jetant un regard à la jeune femme à mes côtés. J'avais encore du mal à réaliser qu'elle se trouvait là, avec moi, dans une boîte de nuit. Ruby. Mais elle avait décidé de rayer cette tâche de la liste, finalement. Et non sans mal, elle avait fait ses premiers pas dans cet endroit, tout aussi alerte qu'à son habitude. C'était bien différent du parc d'attraction. Un espace clos, étroit, rempli de monde, où il fallait se mêler à la foule en permanence. C'était un sacré challenge et je lui avais demandé de nombreuses fois si elle était certaine de le vouloir. Je refusais qu'elle se force, juste pour se targuer de l'avoir fait. Je voulais qu'elle apprécie cet instant, qu'elle se laisse aller. J'aimais venir, de temps à autre, pour boire et danser jusqu'à des heures indécentes, pour oublier tout le reste, l'espace d'un moment. Je n'étais plus rien d'autre qu'un corps qui se mouvait, au milieu d'autres, un inconnu dans la masse, un esprit léger. « Je pense que j'ai ce qu'il lui faut. Tu m'en diras des nouvelles, chérie. » répond le barman, avec un clin d'oeil amusé, avant de se mettre en action. Je connaissais Billy depuis quelques mois déjà et même s'il faisait mine de m'en vouloir encore pour l'avoir éconduit, il restait toujours d'une bonne humeur à toute épreuve. En plus d'avoir un humour tout à fait appréciable. Et je suis, comme d'habitude, hypnotisé par ses gestes débordants de maîtrise. Puis curieux, en le voyant mélanger du curaçao dans le verre destiné à Ruby. « Blue Apple. Gin, jus de pomme, curaçao, citron jaune et sucre de canne. À ta santé, ma jolie. » nous explique-t-il, en déposant nos verres sur le comptoir. Avant de nous souhaiter une belle soirée et de lui promettre de revenir le voir. Et j'attrape mon verre, le faisant doucement tinter avec celui de la brune avant d'aspirer une grande gorgée, laissant échapper un petit bruit de contentement. « Toujours aussi incroyable. » Et ce n'était que le début.

Je ne peux pas m'empêcher de veiller sur les alentours, depuis le début de la soirée. Parce que je savais ce qui pouvait se tramer, dans ces endroits et je n'étais pas vraiment serein concernant Ruby. J'étais content qu'elle soit là, je voulais qu'elle vive une bonne expérience. Mais je n'avais pas confiance en le reste du monde. Et j'avais entendu trop de choses pour ne pas m'en soucier. Déjà qu'elle avait pris sur elle pour venir, pour accepter de se trouver au milieu de cette masse de gens qui allaient et venaient sans discontinuer, alors je ne voulais pas qu'il lui arrive quelque chose. Pour le moment, tout allait bien. Je sentais la chaleur familière de l'alcool s'insinuer sous ma peau et glisser dans mes veines pour réchauffer mon être tout entier. Et si j'en croyais les pommettes légèrement roses de maa compagne pour la soirée, c'était aussi le cas. Je crois que je n'avais jamais vu Ruby dans cet état et il me tardait d'en être spectateur. « Fais-moi goûter ton cocktail. » je susurre, avec un air malicieux et un sourire tout ce qu'il y avait de plus candide. Je grimace à l'acidité de la pomme et du gin sur ma langue, lui tirant un petit rire avant d'aller adoucir mon palais avec la fin de mon verre. Le deuxième, pour être exact. Ou peut-être le troisième, en fait. Et certainement pas le dernier. En pivotant pour le rendre à Billy, je capte un mouvement sur le côté et je sens mon coeur s'accélérer subitement. Une silhouette surplombe celle de la jeune femme et je croise un regard intéressé avant qu'il ne dépose une main sur son épaule. Je l'entends à peine s'adresser à elle, lui proposer une autre boisson et lui demander si elle est venue accompagnée. J'ai l'impression qu'un serpent vient planter ses crochets dans ma poitrine et mes mâchoires se serrent, mon corps se mouvant de lui-même, comme doué d'une vie propre. « Ouais, elle est accompagnée. » je lâche, d'une voix glaciale, mon bras venant s'enrouler autour de sa taille. Mes yeux ne lâchent pas les siens, sans ciller et je le défie de faire un pas supplémentaire. Je ne suis pas spécialement grand, ni taillé comme une armoire, mais je défends ce à quoi je tiens le plus. Et je pense qu'il le sent dans mon attitude, parce que je le vois hésiter. Alors je me penche sur le côté pour m'adresser à Ruby, donnant une brève pression à sa hanche. « J'ai envie d'aller danser. » je souffle, baissant les yeux pour croiser ses iris. « Viens danser avec moi. » Ce qui signifie viens on bouge de là parce qu'il va être insistant, sinon. Parce que de un, ça va vite m'énerver. De deux, j'ai peur que ça l'angoisse et je préfère accaparer son attention sur autre chose. Et de trois, je n'avais pas du tout envie de voir ça.

J'espérais simplement qu'elle allait comprendre mon intention.

« Tu es sûre que tu veux y aller, trésor ? » M’avais demandé mon père. Au fond, c’était bien la question que je me posais. Etais-je vraiment sûre de vouloir me mêler à une foule dense, qui empeste la sueur et l’alcool, alors qu’un simple effleurement me faisait mourir d’angoisse ? Pourtant c’était bien par la positive que j’avais répondu à l’homme qui me soutenait depuis toujours. J’avais eu le droit à des milliards de conseils, que je prenais avec grand intérêt. Faire attention à moi. Ne jamais laisser mon verre entre les mains de n’importe qui. Toujours rester à côté de Micah. Puisque c’était une des choses à faire sur notre liste. Cocher cette case. Une de plus sur ce papier que l’on avait établi tous les deux. Nous avions coché bien des cases déjà, mais celle-ci était une véritable épreuve pour laquelle je m’étais beaucoup préparée psychologiquement, avec même l’aval de ma thérapeute à qui j’avais confié mes peurs. Bien trop d’années qu’elle me suivait, mais je n’étais pas prête à défaire ce lien qui au final m’étais bien utile. Tout comme cette relation que j’entretenais avec Micah et qui était plus que nécessaire à ma stabilité mentale. Il m’avait aidée à grandir, à évoluer et tout ça, sans jamais lâcher ma main une seule fois. Encore ce soir il m’accompagnait dans ce temple de la débauche. Dans un monde terriblement effrayant et inconnu. J’avais passé des heures à fouiller dans mon armoire pour trouver quelque chose de décent à porter. Autant dire que ça n’avait pas été chose facile et que j’avais bien cru que j’allais y aller en jeans et sweat shirt mais il parait qu’il est bien simple de se faire remballer si on se rends dans ces lieux dans cette tenue, et je ne voulais clairement pas gâcher la soirée. Il est 20 passée quand je trouve finalement quelque chose à porter qui soit suffisamment correct. Une jupe à hauteur de la mi-cuisse, noire et évasée que j’ai agrémenté d’un body de la même couleur. Sobre mais qui me convenais suffisamment et qui avait même fait sourire Micah lorsqu’il est venu me récupérer plus tard dans la soirée pour qu’on se rende ensemble dans le club déjà bien rempli.

Je m’accroche à lui, attrape sa main avec fermeté pour pouvoir avancer et fendre la foule jusqu’au comptoir où je lâche sa main pour me poster à ses côtés l’écoutant passer sa commande auprès d’un serveur qui connaissait un peu trop bien ses goûts en matière de boisson alcoolisées. Il opte pour une Piña Colada, à laquelle il rajoute pour moi un cocktail acidulé. Le barman s’active derrière son comptoir et glisse toute sorte d’ingrédients liquide dans un shaker qu’il secoue avec ardeur. Un liquide bleu se déverse dans un verre qu’il me tends dans un sourire avec un compliment qui fait instantanément monter le rose à mes joues. Rose que l’on remarque à peine en raison des basses lumières, et des spots colorés qui emplissaient le lieu. Je récupère ma boisson avant de me tourner vers Micah qui déguste déjà la sienne et d’à mon tour savourer les arômes qui éclatent presque automatiquement contre mon palais. Une vraie explosion dans ma bouche. « Je pourrais goûter ? » Je demande en le regardant se délecter de sa boisson.

La musique résonnait plutôt fort autour de nous, les basses étaient même assez étourdissantes. Je me prenais en plein nez d’innombrables effluves de parfums en tout genre qui me faisaient plisser le nez par moment. Mais si l’ambiance était particulière nous nous étions plusieurs fois déjà arrêté au bar pour se ravitailler non pas une mais deux fois. Lorsque je récupère mon troisième verre, il me demande s’il peut goûter à ma boisson. Je lui tends mon verre du côté de la paille pour qu’il puisse tester. « Tu bois pas tout hein ! » Je lui indique sourcils froncés un peu plus dramatiquement qu’à l’habitude. Disons que la quantité d’éthanol ingérée, me trouble légèrement. Je n’avais absolument pas pour usage du tout, de boire. Peu étonnant que les vapeur d’alcool monte vite, ajouter à cela la chaleur du lieu. Soudain dans mon dos une main se pose et je me raidis. Je me tourne, un peu choquée et perturbée, la voix bloquée dans ma gorge. L’alcool ne change pas vraiment ma timidité et ma capacité à être en société. J’allais bredouiller quelque chose quand la main de Micah se glisse autour de ma taille pour s’y poser et son ton est plus dur et froid que d’habitude. Devant moi se déroule un spectacle que je ne comprends pas tout de suite. Les deux hommes se jaugent, avant que Micah ne murmure à mon oreille, me faisant frissonner de tout mon long, sûrement l’alcool et son souffle dans mon cou. Je process ses mots pendants quelques secondes avant d’hocher la tête. « Oui allons danser. Bonne soirée. » Je lance à l’autre homme, avant que Micah ne e tire jusqu’à la piste de danse, où il se colle contre moi. Je passe mes bras autour de lui. « Merci. » Je lui lance, un peu plus haut pour qu’il puisse m’entendre. Nos corps commencent à onduler sur la musique. Avec lui ça allait, mais nous étions au milieu de la piste, et s’il ne me tenait pas tout contre lui, je serais sûrement obligée d’être collée à bien des gens. Pourtant, j’arrivais presque à l’oublier, là, perdue entre le rythme et les vapeurs d’alcool. « J’aime bien être ici. Avec toi. » Je lui avoue dans un petit sourire. C'était beaucoup pour moi. Ca valait plus que tout. Il veillait sur moi. Cet ami, que je considérais plus que n'importe qui au monde.

J'avais l'impression de rêver, à certains moments. Quand je détournais le regard de la piste de dance, il y avait Ruby à mes côtés, dans l'endroit qui lui était le moins familier au monde. Une boîte de nuit, avec sa musique qui soufflait en rafale à travers les caissons, ses lumières colorées et aveuglantes. Et surtout, une impressionnante concentration de parfaits inconnus. Qui allaient et venaient, de tous horizons, de tous âges. N'importe qui pouvait s'inviter en ce lieu et ça n'avait rien de sécurisant pour quelqu'un comme elle. Mais elle était là, combattant ses peurs, se tenant droite contre le comptoir. Toute vêtue de noir, elle était incroyable belle. Peut-être un peu trop. Et elle observait le barman s'affairer avec nos boissons, les yeux rivés sur ses mains expertes. Moi, j'essayais d'accepter la réalité, d'intégrer sa présence parmi nous, pour cocher une autre case de notre liste. Il faisait chaud et je voyais la foule se mouvoir, créant comme une onde de l'autre côté de la pièce. La musique était forte, nous forçant à hausser le ton pour se parler, à nous rapprocher pour se comprendre. Je pourrais goûter ? Un sourire étire mes lèvres et je tends mon verre pour lui permettre de savourer cette douceur aux relents d'exotisme. « Je veux bien partager, pour cette fois. Tu as bien mérité de goûter au Saint-Graal. » je souffle, avec un air malicieux. De toute manière, ce n'était pas le dernier. Je comptais bien profiter de cette soirée pour me détendre, même si je ne perdais pas de vue mon objectif. Le plus important était que Ruby puisse apprécier la soirée, qu'elle se sente suffisamment en confiance. Et je connaissais mes limites, je savais parfaitement où m'arrêter. Son bien-être était l'essentiel à mes yeux, alors je comptais pas m'enivrer jusqu'au petit matin. Tout ce que je voulais, c'était qu'elle garde un bon souvenir de cette soirée, rien d'autre.

Un air candide traverse mon visage, accompagnée d'un sourire taquin. « Je n'aurais pas osé. » je rétorque, les paumes tournées dans sa direction. Malgré la lumière tamisée, je pouvais observer une certaine rougeur sur ses pommettes et c'était fichtrement divertissant. Ruby Caldwell était en train de boire de l'alcool dans une discothèque. Cette simple constatation me donnait la sensation d'être entré dans une dimension parallèle. Et les verres s'enchaînent joyeusement, au cours de notre discussion. Jusqu'à ce qu'une main ne vienne se poser dans le dos de la brune, me faisant me raidir d'un seul coup. Je jauge l'homme qui se trouve derrière elle, les expressions de son visage, les lueurs qui flottent dans ses yeux. Je n'aime pas la lueur appréciatrice que je vois dans son regard. Et je refusais qu'on m'enlève la jeune femme alors que je commençais à peine à savourer sa présence dans cet endroit. Sa silhouette se recroqueville légèrement sous la gêne et je me rapproche instinctivement, venant glisser mon bras autour de sa taille. Je réponds froidement à celui qui me fait face, lui faisant comprendre que c'était peine perdue. Elle était avec moi. Puis je me penche vers Ruby pour l'inciter à m'accompagner danser. Et l'éloigner davantage de ces iris plus qu'intéressés. Je savais qu'elle était jolie, j'étais loin d'être le dernier à m'en être rendu compte. Même si elle ne le voyait pas, elle attirait beaucoup de regards sur son passage et sa timidité ne la rendait que plus charmante encore. Je soupire de soulagement quand elle accepte, saluant poliment l'inconnu avant de me suivre jusqu'à la piste de danse. J'attire son corps contre le mien, ses bras remontant pour s'accrocher autour de ma nuque. Les miens viennent encercler sa taille, délicatement, se rejoignant dans le creux de son dos. « Toujours un plaisir de venir à ta rescousse. » je réponds, les yeux pétillants. Je sentais l'éthanol réchauffer mon être tout entier et la proximité de la jeune femme ne faisait que rajouter des degrés supplémentaires. J'imprime un rythme léger, un balancier qui s'accentue au fil des minutes, mes yeux rivés sur son visage. J'aurais pu rester comme ça pendant des heures, bercé par la candeur de son visage et la musique qui envahissait tout mon être.

J’aime bien être ici. Avec toi. Je sens quelque chose vibrer dans ma poitrine, à ces paroles. J'approche encore pour atteindre son oreille, poussé par la mélodie suave qui pulse dans mon corps et les cocktails qui se diffusent à travers mes veines. « Moi aussi. » je souffle, dans un sourire. « Mais peu importe l'endroit, je suis toujours heureux quand tu es là. » je rajoute, avant de reculer pour lui adresser un regard tendre. Ruby rendait ma vie tellement douce, tellement paisible. Ce n'était pas toujours facile et notre parcours avait été semé d'embûches mais nous étions toujours là, à continuer notre route pour qu'elle puisse enfin être tranquille, pour qu'elle puisse rattraper toutes ces années sans voir le monde. Je la fais reculer, glissant une main  pour la faire pivoter sur elle-même, observant le mouvement de sa jupe qui tournoie à sa suite. Avant de la récupérer, amusé. « Est-ce que ça va toujours ? » je lui demande, mon pouce effleurant le creux de sa paume en une légère caresse. Puis je remonte sur son poignet pour la diriger vers mon épaule, penchant la tête sur le côté. « Certes, on meurt de chaud et il y a des gens douteux. Mais c'est sympathique, à part ça. Et les cocktails sont incroyables. » je confie, avec malice. Je n'en étais pas friand à ce point mais j'aimais bien me rendre ici, de temps à autre. Danser, boire des verres, rencontrer des gens. Lâcher prise. M'abandonner à la nuit avant de retrouver les responsabilités du jour. « Mais c'est la compagnie qui fait tout le charme de cette soirée. » je susurre, sur un air entendu. Avant de baisser les yeux sur elle, une fraction de secondes. « Je t'ai déjà dit à quel point cette tenue te va bien ? » Les mots sortent d'eux-mêmes, avec une simplicité due au rhum qui vit sa vie dans mon organisme. « Si non, elle te va bien. Tu es très belle. » Et j'étais ravi de partager cet instant, avec elle. De voir qu'elle allait mieux, de jour en jour, que ses efforts portaient leur fruit, petit à petit. Je n'aurais pas pu espérer mieux.  

Je n’étais pas absolument certaine de ce que je faisais là. Pourtant, autour de moi s’amassait une véritable foule de gens que je ne connaissais pas, que je n’étais pas en capacité de contrôler, et dont les mouvements, échapperaient totalement à mon anticipation. J’aimais avoir le contrôle. J’aimais savoir. Ici, tout m’échappait. Je ne pouvais pas savoir ce qui se passait dans la tête des gens qui avaient bu. Je ne pouvais pas imaginer quel effet aura l’éthanol sur cette jeune femme qui porte une robe trop courte pour elle. Et cet homme, qui ingurgite ses verres plus vite qu’il ne faut de temps pour se l’imaginer, allait-il devenir violent, insistant ? Allait-il arroser toute la piste de danse avec son verre d’alcool, à cause de gestes trop brusques et incontrôlables ? Si je n’étais pas certaine de la raison de ma présence ici, je me savais en sécurité, pour la seule et unique raison que je n’étais pas seule. Micah était avec moi. Il veillerait sur moi ce soir. Comme il l’avait toujours fait et le fera toujours. « Mérité, vraiment ? » Je lui demande avant poser mes lèvres autour de la paille pour aspirer un peu du contenu de la boisson. Surprise par le goût qui explose contre mon palais. Un mélange particulier mais qui éveille tous mes sens. C’est à la fois frais, réconfortant, ça sent l’ananas et le rhum. « C’est très bon ! Tu as découvert ça quand ? » Je hurle presque pour me faire entendre, je déteste cette sensation, mais il le fallait. La musique était tellement forte. Si je ne le faisais pas, il ne m’entendrait sûrement pas.  Je pouvais voir au sourire vissé sur son visage qu’il était content d’être ici et ça me réchauffais le cœur. Il faisait tellement de choses pour moi. Je tenais à ce que lui aussi puisse profiter de nos sorties comme il se devait. Il le méritait, réellement. Pour être un ami aussi formidable, présent et rassurant. Pour passer autant de temps avec une nana un peu bancale qui a peur de tout et de rien.

Mais il n’en restait pas moins que la situation était profondément inhabituelle. J’étais là. Dans une boîte de nuit, à boire de l’alcool. Je crois que si mon père l’avait su, je serais sûrement en train de signer son acte de meurtre pour cause de crise cardiaque. Et ne parlons pas de ma mère, qui devait sûrement se faire un sang d’encre, parce que j’étais sortie. Être une adulte qui n’avait pas grandie comme tout le monde restait un sacré handicap. C’était étrange de se retrouver là. Mais ce n’état pas désagréable. Principalement parce que je me savais bine entourée, mais tout de même, ce n’était pas si mal. Nous allions même attaquer notre 3ème ou 4ème verre, je ne comptais plus, mon esprit était quelque peu embrumé, et je ne voulais pas m’embêter à compter encore. Ce qui était certain, c’était que je n’allais pas rentrer chez moi sobre. Ce serait un miracle. Mais je n’allais certainement pas rentrer vivante, si l’homme qui venait de poser sa main épaisse et moite sur mon épaule, me faisais mourir d’angoisse. J’aurais du m’y attendre pour être honnête, les gens ici ne respectent pas toujours le consentement ou même le besoin de ne pas être touchés. Si je suis muette face au geste, Micah ne donne pas sa langue au chat, et fait bien comprendre que je ne suis pas là pour les raisons que semblaient penser notre cher invité. Je me montre polie tout de même, avant de partir sur la piste, entre les mains de Micah. Il n’y avait bien qu’avec lui, que j’accepterais jamais de danser. Hors de question de me retrouver entre les bras de quelqu’un d’autre. Jamais. « Tu serais presque mon prince charmant. » Je lance un petit sourire détendu sur les lèvres, alors que mes mains s’enroulent tout doucement autour de sa nuque. La chaleur de ses paumes vient se diffuser tout contre mes reins. Cette proximité me rassurait autant qu’elle me troublait. A moins que ce ne soit que l’alcool, qui inondait mes veines, d’une sensation toute particulière.


Nous nous mouvions sur les rythmes chauds de la musique qui passait dans les haut-parleurs. Le son était bien trop fort et j’allais sûrement perdre quelque peu mon audition, mais ça en valait la peine. Ca en valait la peine parce je ne m’étais jamais sentie aussi bien quelque part autre que dans ses bras. Peu importe l’endroit, je suis toujours heureux, quand tu es là. Mon cœur fait une ambardée à ses mots qui me touchent au plus profond. Je lui lance un sourire sincère et touché. Micah était le centre de ma vie depuis si longtemps. Je n’imaginais pas un jour sans sa gentillesse, sa patience, sa douceur. Soudain, il me fait reculer puis tournoyer, et pendant quelques instant, je suis étourdie. Ca n’empêche pas un rire amusé de m’échapper, alors que je m’appuie contre son torse, le temps de reprendre mes esprits. « Je vais bien. Je vais plus que bien. » Je lui lance, un sourire immense sur les lèvres. « Les cocktails sont clairement un gros avantage. » Je réponds en hochant vivement la tête. Il m’observe quelques seconde alors que mon pouce court sur son épaule. « C’est vrai ? Tu l’aimes bien ? » Je réponds sur une voix plus enjouée qu’à l’ordinaire. Que faisait l’éthanol de mon naturel ? C’était comme si ce dernier s’était fait la malle. Si bien que quelques instants plus tard, je me détache, uniquement pour venir me tourner et coller mon dos contre son buste. Les notes latines de la musique s’y prêtaient plutôt bien, et j’avais, pendant un instant, pensé que c’était une bonne idée. Je n’étais plus réellement totalement cachée derrière mes peurs. Je me déployais doucement. Prenait assurance. J’observais devant moi bien des silhouettes collées, onduler sans demander leurs restes. S’adonner à une sorte de proximité que je ne pouvais avoir qu’avec lui.

Tu as découvert ça quand ? Un nouveau sourire incurve mes lèvres et je fais mine de réfléchir, frottant distraitement mon menton. « Ça fait longtemps, ça date de quand j'ai commencé à venir ici. » je réponds, en haussant légèrement le ton pour me faire entendre par-dessus la musique. Il me fallait me pencher dans sa direction et je captais des effluves de son parfum, aussi étourdissantes que l'alcool qui se répandait dans mes veines. « J'ai testé pas mal de cocktails mais ça reste définitivement mon préféré. » je rajoute, avec un air entendu. Et je n'en revenais toujours pas de pouvoir trinquer avec Ruby, dans cet endroit. Pendant longtemps, je n'aurais jamais pu m'imaginer venir en boîte de nuit avec elle. Parce qu'il y avait trop de facteurs qui entraient en compte, trop de contraintes à contourner pour être certain qu'elle se sentirait à l'aise. Mais il me suffisait de penser à notre sortie à Disneyland pour voir mon coeur se réchauffer en un instant. Elle avait été courageuse, elle était sortie de ses habitudes pour vivre l'un de ses rêves. Elle avait combattu ses craintes pour profiter d'un moment d'euphorie, dans un lieu qu'elle avait toujours rêvé de visiter. Et je ne pouvais pas être plus fier d'elle. Alors ça m'avait conforté dans l'idée que l'on pouvait avancer davantage, pas à pas. Suivre les éléments de la liste que l'on avait élaborée, ensemble. Même si je ressentais toujours une certaine inquiétude à la savoir dans un environnement aussi instable, semblable à une petite boule logée dans un coin de ma poitrine. Mais pour l'instant, tout se déroulait parfaitement bien et je savourais la légèreté de la soirée, un goût d'exotisme sur les lèvres. En compagnie de la personne que je chérissais le plus au monde.

Puis je ne sais pas si c'est réellement l'alcool qui parle ou si ce sont les émotions qui s'entremêlent à l'intérieur de moi mais je sens remonter un élan de possessivité qui ne m'est pas familier. Le simple fait de voir un homme s'approcher de Ruby suffisait à m'agacer. Je ne voulais pas qu'elle me soit arrachée par un illustre inconnu alors que c'était la première fois que nous pouvions partager un tel moment, tous les deux. Je ne voulais pas que cet instant précieux soit gâché. Alors j'entraîne la brune sur la piste de dance, au milieu de cette masse qui ondule et transpire au rythme des basses. Tu serais presque mon prince charmant. Je sens mon coeur tressauter à ces paroles et je secoue légèrement la tête, avant qu'un nouveau sourire ne vienne étirer mes lèvres. « Je ne l'étais pas déjà ? » je blague, avec un air amusé. Puis je frissonne un peu lorsque ses bras s'enroulent autour de ma nuque, mes mains pressant à peine plus fort contre ses reins. Nous n'étions pas avares de contact, autant l'un que l'autre. Mais ça n'avait rien à voir avec toutes les autres fois. Je me sentais plus tendu, plus alerte. L'éthanol qui se diffusait dans mon être me rendait plus sensible, plus fébrile au moindre geste. La musique est langoureuse, emplie de vibrations qui viennent résonner dans mon corps tout entier. Un instant, je la fais reculer puis pivoter sur elle-même, avec un air malicieux. Un rire lui échappe et je suis l'homme le plus heureux de la terre. Avant de la ramener contre moi, le souffle court. Et de l'interroger sur ses ressentis, pour être certain que tout allait bien de son côté. Je ne pouvais pas m'empêcher de veiller à son bien-être, constamment. Je vais plus que bien. De la joie pure traverse mon visage, à cette réponse. Et je pouffe à ce qui suit, jetant un coup d'oeil vers le bar par réflexe. J'essaye de ne pas focaliser toute mon attention sur le pouce qui effleure mon épaule, diffusant une douce chaleur. « Tu es toujours très belle, Ruby. » je lâche, avant de me mordre violemment la lèvre. Je n'arrivais pas à endiguer le flot de paroles qui s'échappaient de ma bouche. Même si elles reflétaient la plus stricte vérité. Mais je me fige complètement quand elle s'écarte de moi, sentant mon palpitant remuer ma cage thoracique. Davantage quand elle pivote pour venir coller son dos contre mon torse, faisant naître un vrai brasier dans mes pommettes. Je déglutis difficilement, incapable de réfléchir pendant quelques secondes. Puis je me rappelle que je dois avoir l'air stupide, planté comme un piquet au milieu du dancefloor et mes mains flottent au-dessus des hanches de la jeune femme, un instant, avant de s'y poser à nouveau. Elle profitait de l'instant, elle se laissait enfin aller. Et je ne voulais pas gâcher ce moment. Même si une voix intérieur me soufflait que c'était loin d'être déplaisant. Alors je me laisse porter à mon tour par la mélodie latine qui nous entoure, fermant les yeux un moment. Tout ce qu'il me restait à faire, c'était de suivre les mouvements de mon corps contre le sien. Pourtant, plus les minutes passent, plus je me sens enivré par son contact. Je me sentais affreusement conscient de nos corps étroitement emboîtés l'un dans l'autre. Et je ne suis qu'un homme avec quelques verres d'alcool à son actif, face à une jolie femme. Pour éviter un moment aussi gênant pour elle que pour moi, je finis par reculer légèrement, penchant la tête en direction de son oreille pour prétexter une envie subite. « Je- » je commence, mais je la sens sursauter contre moi et sa tête se tourne à toute hâte dans ma direction. Je me raidis à nouveau, son visage terriblement proche du mien. Son souffle aux effluves alcoolisées s'échouait contre mes lèvres et je sens un frisson remonter le long de ma colonne vertébrale. D'un seul coup, j'ai l'impression que la musique est un bruit de fond, complètement étouffé. Il n'y a que les yeux sombres de Ruby dans les miens et sa bouche, tout près.

Et pendant une seconde, j'en oublie de respirer.
J'oublie même que je ne suis rien d'autre que son meilleur ami.  

Sa voix est tintée de joie, quand il me répond, penché dans ma direction pour s’assurer que je puisse l’entendre. J’aimais savoir qu’il s’amusait. Ce n’étaient pas toujours des instants faciles en ma compagnie. Mes petits problèmes me collaient encore à la peau, parfois. Ils pouvaient me rendre incontrôlable, alors j’étais plutôt ravie, de savoir qu’il prenait de plaisir à passer du temps avec moi. J’aurais plus que jamais compris, si ç’avait été le contraire, cependant. « Si on revient un jour, je prendrais le même que toi. » J’informe dans un immense sourire. J’appréciais le goût acidulé de la pomme qui résidait dans le fond de mon verre, mais le sien avait une saveur de vacances, et je ne dirais pas non, à un peu de soleil et de vacances, j’en avais tellement manqué. Le plus surprenant, était que je puisse envisager de revenir. Selon comment se terminerait la soirée, et l’état dans lequel je serai demain matin. Si tout était plutôt positif au réveil, que j’avais toute ma tête et aucune trace d’ecchymoses ou autre stupidités sur le corps, alors revenir ne serait pas une mauvaise idée, du moment que c’était accompagnée de Micah. Sans lui, je ne poserais sûrement pas un pied ici. Il était ma sureté, mon garde du corps. L’humain auquel je ne cessais jamais de me raccrocher en cas où, mes vieux démons me rattraperaient. Puis il est le seul en qui j’ai une confiance aussi aveugle. Il était tout bonnement hors de questions que je laisse qui que ce soit d’autre, m’accompagner ici. C’était lui, ou rien du tout. Ça ne l’avait peut-être pas toujours été, mais il était doucement devenu ce dont j’avais le plus besoin au monde. Il me permettait de grandir, d’expérimenter toujours plus, de me surpasser petit à petit. Je n’avais jamais fait autant de progrès que depuis qu’il était dans ma vie. Alors je ne pouvais pas prendre le risque de tout faire foirer et de me retrouver seule avec je-ne-sais-qui, au milieu de cet endroit où à ses côtés, je me sentais bien. Comme dans une petite bulle confortable. D’autant plus que le voir prêt à en découdre pour garantir ma sécurité, avait le don de provoquer quelque chose dans mon cœur, ce dernier s’adonnant à une course folle dans ma poitrine, alors qu’il me tire jusqu’à la piste de danse, où il m’attire contre lui. Le seul avec qui un contact aussi rapproché, me rassurait. « Tu l’a toujours été. » J’avoue, dans un petit sourire, avant de rouler mes bras autour de sa nuque, afin de m’ancrer dans son contact, alors que nous étions au milieu d’une foule dense.

Il me fait danser, onduler doucement sur le rythme de la musique. Elle vibre à l’intérieur de mon être, alors que ses mains dans mon dos, réchauffaient doucement mon épiderme. Même danser, il savait faire. Cet homme était doté de tant de talents, qu’il me serait impossible de tous les lister. Le principal était surtout, d’être le plus incroyable être humain, qu’il m’ait été donné de rencontrer. Et dieu seul savait que je n’avais pas été la personne la plus chanceuse en termes de rencontres. J’en garderai les stigmates toute ma vie. De vieux traumas, qui ne me quitteront probablement jamais. En cet instant pourtant, j’étais bien, j’étais joyeuse, je ne ressentais que l’allégresse que diffusait l’éthanol dans mon système sanguin. Mon cœur battait un peu plus vite, mais je n’avais que rarement été aussi bien et à l’aise dans une situation que je ne gérais pas. Tu es toujours très belle, Ruby. J’ai encore une fois la sensation qu’un orchestre entier de percussion a pris place dans ma poitrine. Mes joues se tintent de rose. « Toi aussi. Tu as toujours été très beau. » Je réponds en me hissant sur la pointe de mes pieds, pour aller lui avouer ces mots au creux de l’oreille, avant de m’éloigner pour venir me plaquer contre lui, mon dos contre son buste. Finalement ses mains viennent se poser sur mes hanches et je viens poser l’une des miennes sur la sienne, histoire de garder un contact dont j’avais besoin. D’un regard extérieur, nous avions tout d’un couple, et pourtant. Je me laissais embarquer par la musique, remuant doucement contre lui, qui se prend au jeu de mouvements presque synchronisés. Je ne sais pas combien de temps nous avons dansé, là, serré l’un contre l’autre. Mais j’ai chaud et j’ai le cœur qui bat sans s’arrêter. J’étais ailleurs, dans un autre monde, quand j’entends sa voix dans mon oreille. Dans l’instant, je suis ramenée à la réalité, dans un sursaut. Je relève la tête dans sa direction et croise son regard. Une part de moi s’en veut d’avoir eu un sursaut. Ce n’était que lui, mais il y a cette autre part de moi qui se plonge dans son regard, qui ne voit plus rien autour. A quelques centimètres de son visage, je me surprends à avoir terriblement envie que cette distance entre nous, ne soit qu’un souvenir, réduit à néant dans un baiser. Je voulais l’embrasser. Je m’enivre de son parfum, de son souffle qui s’échoue contre ma peau. Mais alors que je commençais à réduire la distance en me hissant sur la pointe des pieds, je me rends compte de ce que je suis en train de faire. Mon sang ne fait qu’un tour. Je ne pouvais pas. Je n’avais pas le droit de faire ça. Alors je m’écarte, doucement. « Je-… Désolée… » Je marmonne penaude. C’était l’alcool qui me faisait faire n’importe quoi. Je ne voulais pas ruiner ce qu’il y avait entre nous. Puis je n’étais que son amie. Rien de plus. Je n’avais pas le droit de tout foutre en l’air, simplement parce que l’alcool me faisait perdre les pédales. Je tenais beaucoup trop à lui. « On devrait retourner boire un verre. » J’ajoute en fuyant son regard. Je ne voulais pas y voir de la déception, ou de la colère.

Toi aussi. Tu as toujours été très beau. Je frissonne, les paroles de Ruby s'échouant dans un souffle, au creux de mon oreille. Puis je déglutis, difficilement, complètement submergé par son parfum fleuri et sa présent tout contre moi. Je ne m'étais jamais vraiment focalisé là-dessus, à vrai dire, même si je savais que certaines clientes de la boulangerie ne venaient pas seulement pour les croissants. Pourtant, me l'entendre dire de la personne que je chérissais le plus au monde, ça venait tirailler quelque chose dans mes entrailles. « Merci. » je murmure, avant de retenir ma respiration quand elle pivote pour venir se coller contre mon torse. Il y a quelques secondes où je ne sais plus quoi faire de mon propre corps, incertain sur la réaction appropriée dans cette situation. Nous n'étions pas avares de contacts mais des moments comme ceux-là, il n'y en avait pas eu depuis que nous nous connaissions alors je ne savais absolument pas comment me comporter. Mais je finis par me détendre, m'exhortant à me laisser aller pour la soirée. La brune était en sécurité et je sentais sa silhouette se reposer contre la mienne, apaisée. Elle était bien et je pouvais me permettre de baisser ma garde, l'espace d'un moment. Alors je dépose mes mains dans le creux de ses hanches et nous nous mouvons au rythme de la musique, les notes latines vibrant à l'intérieur de nos êtres. Et les minutes passent, s'étirent, les unes après les autres. Je ne saurais plus dire depuis quand nous étions là et combien de temps s'était écoulé depuis que nous avions rejoint la piste de dance. Mais mon corps lui, commence à s'éveiller, stimulé par le balancier de nos corps lovés l'un contre l'autre. Ruby était une belle femme et je ne pouvais pas contrôler l'attrait que je ressentais pour sa peau, mes instincts réveillés par son parfum et sa proximité. L'éthanol serpentait joyeusement dans mes veines, venant rajouter une chaleur supplémentaire à l'intérieur de moi et je me décidé à reculer, pour éviter une drame. Je n'étais que son meilleur ami d'enfance, rien d'autre. Et la dernière chose que je voulais, c'était lui faire peur.

Alors je me détache de son dos, penchant la tête sur le côté pour la prévenir d'un aller-retour aux toilettes. Mais elle ne s'attendait sûrement pas à ça, parce qu'elle sursaute, laissant échapper un glapissement avant de tourner la tête dans ma direction. D'un seul coup, son visage est terriblement près du mien, son souffle s'échouant contre mes lèvres. Il n'y a plus rien d'autre que ses yeux sombres, pendant quelques douloureuses secondes. Et cette électricité statique, qui crépite entre nous. Je me fais l'effet d'un funambule, à deux doigt de se jeter volontairement dans le vide. Cependant, je ne peux pas me permettre de faire une erreur. Perdre Ruby, c'était la pire chose qu'il pouvait m'arriver. Pourtant, je sens mon coeur tambouriner furieusement dans ma cage thoracique quand elle s'approche, se dressant sur la pointe des pieds. De son propre chef. Et je suis pétrifié, incapable de faire le moindre mouvement. Au fond de moi, il y a une bête tapie, qui n'attend que ça, qui gronde d'impatience. Puis elle s'écarte, doucement et je me rappelle comment on fait pour respirer, haletant. Désolée. Son visage est peiné et je mets ça sur le compte de l'alcool, sans doute. Et elle propose de retourner boire un verre, le regard fuyant. Je n'aimais pas cette gêne qui germait entre nous, à cause d'un embryon de geste dicté par l'éthanol. Ma main vient l'encadrer, mon pouce balayant sa joue. « Tout va bien. » je souffle, avec un léger sourire. Je ne voulais pas voir de tristesse sur son minois. C'était mieux comme ça, les choses se suffisaient à elles-mêmes dans cet état et ça n'aurait fait que compliquer tout le reste. « Tu as une piña colada à boire, mademoiselle Caldwell. » je rajoute, en glissant mon bras sur ses épaules, comme si de rien n'était. Je pouvais me contenter d'être simplement à ses côtés, si ça me permettait de voir son sourire, d'apprécier son visage traversé par la joie. Je ne demandais rien d'autre que ça, d'avoir la chance de la regarder s'épanouir un peu plus chaque jour.

Nous rejoignons le bar et son chef d'orchestre, Billy m'adressant un sourire narquois en apercevant les joues encore roses de Ruby. Je secoue la tête, les paupières plissées avant de commander de nouveaux cocktails, une discussion en entraînant une autre avec le barman. Mes yeux vont et viennent en direction de la brune, comme à mon habitude, pour surveiller son état et nous tenons encore un moment avant que la fatigue ne vienne se peindre sur ses traits délicats. Nous finissons par nous engouffrer dans un taxi et je ne vois pas le trajet passer, mes pensées toutes dirigées sur la jeune femme assise sur le siège passager. Le lien qui nous unissait était trop précieux pour être gâché par des sentiments aussi volatiles. Pourtant, est-ce que j'étais prêt à accepter de la voir s'envoler ailleurs, un beau jour ? Je n'en savais rien, si ce n'est que je sentais quelque chose me faire mal, à l'intérieur. Et que je n'arrivais pas à me dépêtrer de ce miasme qui grossissait dans ma tête. Mais il y avait encore plein de choses à rayer, sur notre liste et ça me laissait suffisamment de temps pour y voir plus clair.

Pourtant, tout ce qui m'importait, c'était de lui faire vivre des expériences inoubliables.