After all this time (Garna #1)

Ce dossier, je m’en souviens comme si il datait d’hier. Il avait été déposé sur mon bureau, quelques années en arrière, le mot ‘Urgent’ noté dessus et dont les lettres, écrites en rouge vif, m’avait fait frissonner. Je l’avais lu avec la plus grande des attentions, avant de récupérer mes clefs de voiture et de parcourir les kilomètres qui me séparaient du domicile de cette fameuse Elisa Baker, soupçonnée de maltraitance sur ses enfants. Plusieurs signalement avait été fait par des voisins, mais également par la nourrice qui s’inquiétait des nombreux hématomes sur le corps de la plus grande. Je faisais ce métier depuis un petit moment déjà, j’avais vu et entendu des histoires qui m’avaient enserrer le coeur à de nombreuses reprises, mais celles qui concernaient les enfants m’affectaient plus particulièrement. Je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas comment on pouvait avoir le désir de devenir parent, si c’était pour se montrer violent par la suite. Mais en arrivant devant cette maison en piteux état, j’avais découvert une histoire bien pire encore. Elisa n’était qu’une gamine de dix-sept ans, en proie à un petit-ami violent, alcoolique et prêt à tout pour la garder auprès d’elle. Ou dans le cas contraire, à lui enlever la garde de leurs enfants. Je m’étais battue à ses côtés, je l’avais accompagnée dans toutes les démarches et, aujourd’hui encore, je l’aidais à avancer et à retrouver une situation stable. Ses deux filles étaient de véritables petits anges et la plus jeune avait fêté ses trois ans récemment. J’avais donc profité de ma visite mensuelle pour ramener une petite surprise, histoire de l’occuper, le temps de régler la paperasse avec sa mère en toute tranquillité. Je les avais quitté, peu de temps avant l’heure du goûter, sereine et confiante. Elles allaient s’en sortir, toutes les trois et cette idée d’avoir accompli quelque chose d’aussi important ces trois dernières années me réchauffait le coeur. Même si, parfois, tout ne se passait pas aussi bien, j’aimais mon métier pour toutes ces petites réussites et pour avoir la chance de voir des sourires fleurir à nouveau sur des visages.

J’avais regagné ma voiture, légère, mais avec un petit pincement au coeur. Ma mission allait toucher à sa fin, Elisa n’allait bientôt plus avoir besoin de moi et je m’étais, bien malgré moi, attachée à cette jeune femme et ses princesses. Elles avaient, sans le vouloir, panser mes plaies et appliqué un baume protecteur sur chacune d’elles. J’avais peur, après ça, de retourner dans le brouillard et de laisser le chagrin ainsi que le désespoir m’envahir de nouveau. Je m’installe derrière le volant, mon front venant se poser contre ce dernier dans un soupir désespéré. Plusieurs minutes s’écoulent avant que je ne me décide à démarrer pour regagner mon appartement. Je quitte le lotissement, tourne à droit pour longer le lycée d’où un amas d’élèves sort. Et mes yeux sont instinctivement attirés par une silhouette que je pourrais reconnaître entre mille. Je sens mon palpitant s’accélérer dans ma cage thoracique et pendant une fraction de secondes, mon cerveau passe en pilote automatique. Avant même que je m’en rende compte, ma voiture est garée, j’en ai quitté l’habitacle et je me dirige d’un pas rapide dans sa direction. Pour faire quoi ? Dire quoi ? Je n’en avais aucune foutue idée, mais je ressentais, au plus profond de mon être, que c’était la bonne chose à faire. Je traverse la route pour regagner le trottoir où il marche, avançant dans sa direction, jusqu’à me trouver à sa hauteur pour lui faire face. Et si je me trompais… ? Et si ce n’était pas lui ? Trop tard. Je ne peux décemment pas rester plantée devant lui indéfiniment sans rien dire. « Garrett ? » je demande dans un souffle. « C’est Luna. » Mes iris croisent finalement les siennes et mes doutes s’envolent, en une fraction de secondes. Ce regard, ces yeux, je ne les connaissais que trop bien.

« Tu reviens quand ? » Un tendre sourire étire mes lèvres, tant à cette question qu'à la petite main agrippée à la manche de mon pull. Safa était minuscule mais ses grands yeux sombres étaient débordants d'émotion. Pourtant, ils étaient toujours tristes quand elle passait la porte du centre. Ils étaient dévorés par un profond désespoir, par un cruel manque d'attention et elle ne recherchait rien d'autre qu'un peu de chaleur, qu'un moment pour souffler, pour goûter à ce qu'aurait pu être une vie normale. Et je voyais son visage se transformer, à mesure des minutes passées dans cet endroit. Ses traits se détendaient et je pouvais même apercevoir un sourire traverser ses lèvres, au bout d'un moment. Et ça me rappelait à quel point j'aimais ce que je faisais, à quel point je n'aurais échangé ma place pour rien au monde. Tous ne mettaient pas les pieds ici pour les mêmes raisons. Mais pouvoir adoucir l'existence de ceux qui vivaient dans la misère était l'un de mes combats et je savourais chaque victoire. Nos portes étaient ouvertes à tous et je voyais passer des jeunes de tous horizons, toutes catégories sociales, avec des vécus bien différents les uns des autres. Pourtant je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir plus étroitement lié à ceux dont les racines m'étaient douloureusement familières. Et c'était peut-être pour cette raison que je pouvais le targuer de les comprendre aussi bien, en fin de compte. « Je serai là demain. Et tous les autres jours d'après. » je souffle, en penchant la tête sur le côté. « Promis juré ? » Son regard rempli d'espérance à peine contenue me tire un autre sourire. Je m'accroupis à sa hauteur, ajustant mon regard dans le sien, à égalité. « Promis juré. Serment du petit doigt. » je réponds, avant de lever la main pour lui tendre mon petit doigt. Auquel le sien vient se crocheter dans un gloussement ravi, son corps se mouvant trop rapidement pour empêcher le câlin qui s'en suit et qui fait fondre mon coeur déjà bien malmené par les histoires que je pouvais entendre en venant au centre. Je la serre brièvement contre moi avant de lui intimer d'aller rejoindre les autres pour la prochaine activité, malgré ma réticence à les quitter si tôt. Et je sens ma poitrine se serrer en avisant sa silhouette collée à la vitre quand je rejoins ma voiture, filant en direction du lycée.

Lorsque je ressors de l'établissement, je sais que je ne tarderais pas à retrouver quelques visages devant la porte de la maison de quartier. Si certains n'avaient pas voué la moindre attention à mes explications, d'autres avaient porté un regard douloureusement intéressé à nos projets et à ce que l'on proposait pour aider les jeunes. Et j'étais certain qu'ils avaient y trouver une échappatoire, un havre de paix ou un simple moyen d'aller de l'avant, de combler les lacunes auxquelles leur condition de vie ne permettait pas d'accéder. Certains avaient même pris leur courage à deux mains pour venir jusqu'à moi à la fin de la présentation, posant quelques timides questions avant d'accepter la petite carte cartonnée sur lequel résidait notre numéro de téléphone et l'adresse du centre d'accueil. Mes doigts viennent glisser dans mes cheveux pour les repousser en arrière et je descends la volée de marches pour rejoindre le trottoir, regagnant ma caisse pour rentrer chez moi. Avant d'être arrêté par une silhouette qui se jette quasiment devant moi, m'observant avec les yeux écarquillés. Et ces iris clairs, j'en connaissais la plus petite nuance. Garrett ? J'ai l'impression d'être percuté par un bus. Mon coeur, lacéré, submergé par une vague violente et impétueuse. Je suis figé, incapable du moindre mouvement, face à ce passé surgissant violemment et se dressant devant moi. Tu es mon rayon de soleil. Ce visage, ces traits délicats, cet éclat scintillant dans le regard. Ce rire, que je pouvais encore entendre résonner dans ma tête, avec une justesse presque intolérable. C’est Luna. « Je sais. » je lâche, sans savoir quoi dire d'autre. J'avais l'impression de l'avoir quittée hier et pourtant, que des milliers d'années s'étaient écoulés depuis que l'on m'avait interdit de la revoir. Je ne veux plus que tu t'approches de ma fille. « Je pourrais te reconnaître entre mille. » je rajoute, dans un souffle. J'étais terrifié. Parce que les choses ne s'étaient pas terminées sur une note joyeuse et que je craignais les sentiments qui avaient du s'emparer de son être, après l'incident.

J'étais terrifié parce que la dernière fois qu'elle avait posé les yeux sur moi, je m'étais porté coupable d'une intrusion dans sa propre maison, portant préjudice à la confiance qu'elle m'avait toujours porté.

Je n'avais jamais eu beaucoup d'amis. Ou en tout cas, de vrais amis. Contrairement à Stella, je n'avais jamais été très douée avec les relations sociales et je la laissais créer notre cercle de proches sans réellement m'en préoccuper. De toute façon, la plupart n'étaient amis qu'avec elle et me tolérait simplement parce que j'étais sa sœur. Jumelle, qui plus est. Mais je ne me mêlais que très rarement à leur discussion, préférant rester dans mon coin, en toute tranquillité. Nous étions, toutes les deux, comme le jour et la nuit. Mais il y avait une personne avec qui tout s'était avéré différent, avec qui j'avais partagé les plus belles années de ma vie. Il m'avait permis de sortir de l'ombre de Stella, de commencer à vivre pouf moi et non pas pour nous, mais surtout de me sentir écoutée et comprise. On venait de deux mondes complètement différents et pourtant, mon univers tout entier ne s'était jamais autant sentie en phase avec celui de quelqu'un d'autres. Jusqu'au drame. Il s'était accusé d'un cambriolage qu'il, j'en avais l'intime conviction, n'avait pas commis. Mais mon père n'était pas allé chercher plus loin. Résidants des quartiers sud de Los Angeles et ne le portant déjà pas dans son cœur, il était le coupable parfait à ses yeux. Il n'avait pas cherché à déceler le vrai du faux, il s'était simplement contenté de l'inculper, sans aucune preuve. Depuis, j'avais reçu l'interdiction de le revoir et je savais que de son côté, mon père s'était chargé de le menacer, en bonne et due forme, si il venait à entrer de nouveau en contact avec moi. Je perdais mon meilleur ami, mon confident et l'un des êtres les plus opportuns dans ma vie. Dire que pas un seul jour depuis ne s'était écoulé sans que je ne pense à lui serait un mensonge, mais ne serait pas excessivement loin de la vérité. Parce que j'avais très souvent pensé à lui ou tenté de le retrouver. Puis les années ont passé, le temps à refermé le trou béant dans ma poitrine et j'avais fini par perdre espoir. Aujourd'hui, il se trouvait devant moi, à quelques minables centimètres et j'avais l'impression de replonger dix ans en arrière, quand ma vie toute entière ne tournait qu'autour de lui.

J’aurais pu passer mon chemin, continuer mon existence comme si il n’avait jamais ressurgi du passé, mais je n’en étais pas capable. J’avais tellement souhaité, au plus profond de moi, que ce jour arrive, que je ne pouvais pas simplement l’ignorer et partir. Mon cerveau passe en pilote automatique et c’est animé par une force mystérieuse que je me retrouve en face de lui, le coeur battant à s’en rompre dans ma poitrine. Je me sens obligée de me présenter, ma sa réponse étire mes lèvres dans un franc sourire. « Toi non plus, tu n’as pas changé. » L’adolescent que j’avais perdu de vu était devenu un homme, mais il restait le même, à quelques poils sur le menton près. Il y a tellement de choses qui se bousculent dans mon esprit, tellement de sentiments qui s’entrechoquent et se mélangent. Je suis partagée entre une angoisse immense que tout ai changé et l’euphorie du moment, parce qu’il restait et resterait quelqu’un que j’avais profondément aimé. Et je crois que tut déborde, parce que mes bras viennent finalement s’enrouler autour de sa taille, comme si nous nous étions quitté la veille. « Tu m’as tellement manqué, Garrett… » Je le presse quelques courtes secondes contre mon coeur avant de me rendre compte de mon geste. Merde. Je mets rapidement fin à cette étreinte, reculant de quelques pas, légèrement paniquée à l’idée d’avoir mal agi. « Désolée. Je… Désolée. Je n’aurais pas dû. » Qui étais-je pour me permettre ça ? Je ne connaissais plus rien de lui, lui de moi et même si je ne pourrais jamais le considérer comme un inconnu, j’ignorais tout de sa vie actuelle. « C’est juste que ça fait tellement longtemps. » Et j’aurais tellement aimé que les choses se passent différemment.

Luna, elle avait été l'étoile scintillante, qui me guidait lors des nuits les plus sombres. Même si je me sentais abandonné de toutes parts, je n'étais plus seul. Je n'ai jamais vraiment compris ce qu'elle avait vu en moi, à l'époque, à part un gamin des quartiers désœuvrés. Une silhouette mince, une peau mate, une casquette retournée. Des habits de seconde main, d'autres légués gracieusement par des cousins. Je n'avais pas eu le luxe de pouvoir me permettre des vêtements neufs avant un certain temps, flottant dans des tee-shirts trop grands pour moi. Pourtant, elle m'avait souri, ce jour là et j'avais eu l'impression que mon univers tout entier s'était retourné sur lui-même. Nous n'étions pas du même monde mais elle n'avait jamais fait de distinction, jamais porté le moindre jugement. Je n'étais pas un garçon du bloc, une "racaille", comme certains se faisaient un plaisir de m'appeler. J'étais simplement Garrett. Un être humain. Et c'était si bon, si rafraîchissant que j'avais cherché à passer le plus de temps à ses côtés. À me sentir vivant, à son contact, sous son regard. Luna, elle était aussi douce que discrète, vivant dans l'ombre de sa soeur jumelle. Délicate, paraissant presque fragile. Pas un mot plus haut que l'autre, des gestes mesurés, de grands yeux qui observaient le monde avec une attention toute particulière. Et des rêves plein la tête, des envies qu'elle n'avait fait que murmurer, en premier lieu. Avant de les avouer plus franchement, au bout d'un moment. Elle était ma lumière dans l'obscurité, mon salut. Je me sentais bien à ses côtés, j'arrivais à entrevoir quelque chose en lequel j'avais perdu espoir. L'avenir. Parce qu'un mec comme moi, ça ne vole pas bien haut, en général. Peu d'études, peu de chances d'obtenir un bon travail. De la galère, des problèmes d'argent, le poids des regards qui n'aurait jamais fini de me suivre, partout où j'allais. Mais elle me disait que tout irait bien, qu'elle croyait en moi, que j'étais de leur prouver à tous que je valais mieux que ça, que j'étais capable de changer le cours de ma vie. Et c'était ce que j'avais de plus précieux, à cet instant. Puis tout avait basculé, à nouveau. J'avais été trahi par ceux que je considérais mes amis et j'avais encore eu le réflexe de les protéger, de leur éviter d'aller moisir en prison. Si c'était moi, peut-être que ça limiterait les dégâts. Mais qu'est-ce que j'avais pu me tromper, parce que ça m'avait enlevé la seule bonne chose qui était arrivée dans ma vie.

Subitement, elle se retrouve devant moi. Sous mes yeux, bien des années après. Toi non plus, tu n’as pas changé. Et ça me tire un rire bref. Je penche la tête sur le côté, me gorgeant de son visage aux traits fins. « Sauf que j'ai des habits à ma taille, maintenant. » je réponds, amusé. Malgré les battements violent de mon coeur dans ma poitrine. Elle m'avait manqué à en crever. Je n'avais jamais cessé de penser à elle. Et elle avait été le moteur qui m'avait aidé à avancer, à me battre dans cette vie si injustice pour m'en sortir. Dans un sens, c'est grâce à elle si j'en suis là aujourd'hui, à faire un métier qui plaît et à défendre les causes qui me tiennent à coeur. Je la regarde, désormais femme mais je reconnais la jeune fille que j'ai côtoyé et je suis balayé par toutes sortes d'émotions. Puis d'un seul coup, je suis noyé dans son parfum, ses bras entourant ma taille. J'inspire à plein poumons et je referme les miens dans son dos, savourant la justesse et la quiétude de ce moment. « Toi aussi, Luna. Toi aussi. » je souffle, faiblement. Un murmure, parce que j'ai peur que cet instant se brise que j'osais parler plus fort. Elle recule et je réalise la situation, mordillant l'intérieur de ma joue. Ne nous étions pas quittés de la meilleure des manières. Son père m'avait tout simplement interdit de la voir, menaçant de me poursuivre en justice si j'osais rôder près de leur maison. Et je ne pouvais pas infliger ça à ma famille, en plus de tout le reste. Je ne voulais pas non plus voir la déception dans les yeux de la brunette. Penser au sentiment de trahison qu'elle avait du ressentir, en apprenant la situation. Je préférais qu'elle reste sur de beaux souvenirs. « Ce n'est pas grave. » je murmure, avec un léger sourire. « Toujours aussi spontanée, à ce que je vois. » Elle était timide, à première vue. Mais lorsqu'elle se sentait en confiance, elle était terriblement démonstrative. En tout cas, elle l'était, à l'époque. « C'est vrai. » Je laisse le silence s'étirer quelques minutes entre nous, fourrant mes mains dans les poches de mon blouson. Du temps s'était écoulé et je ne savais plus rien d'elle, de ce qui l'animait à présent, de ce qu'elle avait bien pu faire de son existence depuis que nos chemins s'étaient séparés. Mais il y avait quelque chose que je voulais qu'elle sache, que j'avais besoin de lui dire. « Je n'ai pas cambriolé ta maison. » je lâche, sans prévenir. Avant de déglutir douloureusement, détournant le regard sur la route et le passage des voitures. « Je voulais que tu le saches. »    

Je me souvenais de notre rencontre comme si elle datait d’hier, mais je me souvenais aussi de la dernière fois qu’il avait passé le seuil de la maison, de la dernière fois où j’avais pu lui adresser un regard, avant de le voir disparaître, jusqu’à aujourd’hui. Et j’aurai aimé avoir le cran de lui courir après pour le retenir, pour lui dire tout ce que j’avais sur le coeur, de tenir tête à mon père et à ses interdictions. Mais j’avais simplement accepter la situation, sans dire un mot et regardé mon meilleur ami partir, pour ne jamais revenir. J’aimais jeter la faute sur la tempête que le cambriolage avait déclenché au sein de la maison, sur ces sentiments étranges qu’on avait tous ressenti, pendant plusieurs jours. Avoir l’impression de ne plus être chez soit, craindre que ça recommence ou qu’on soit présent, cette fois-ci. Nos parents vivaient dans une telle peur, les premiers temps, qu’ils nous avaient interdits de rentrer seuls à la maison, nous obligeant à aller aux études du soir jusqu’à ce qu’au moins l’un deux rentre du travail. Ce petit manège avait duré plusieurs mois, avant que notre aîné ose dire le fond de sa pensée. Et nos anciennes habitudes avaient reprit, sans pour autant me retirer le lourd poids dans ma poitrine. Aujourd’hui, Garrett était là, devant moi et malgré les années  passées, j’aurai pu le reconnaître entre mille autres. « Oh, j’aimais bien tes chemises trois fois trop grandes pour toi. » Il nageait dedans et je trouvais ça atrocement adorable. Puis, sous l’impulsion, je le serre dans mes bras, profitant de cet instant presque magique, avant de reculer en réalisant mon geste. Je lui présente quelques excuses, gênée. Toujours aussi spontanée, à ce que je vois. « Uniquement avec les personnes que j’apprécie. » Le reste du temps, j’étais plutôt discrète, voire effacée.

Un silence s’installe entre nous, avant qu’il ne vienne le rompre, avec un aveux auquel je ne m’attendais pas. Pas après autant d’années, pas comme ça, alors qu’on venait à peine de se retrouver. Pourtant, je sais pourquoi il me l’avoue, là, de but en blanc. Je relève mon visage dans sa direction, l'observant pendant de longues secondes, silencieuses. « Je sais. » je réponds dans un souffle. Je l'avais toujours su, au fond de moi, qu'il était innocent. Parce que ce n'était pas Garrett. Ça ne lui ressemblait pas et je savais qu'il n'aurait jamais fait ça à ma famille. Même si mon père ne l'avait jamais porté dans son cœur, il ne lui avait pas fermé les portes de notre maison. Quant à ma mère, du plus loin que je me souvienne, elle l'avait toujours apprécié. Sans parler du fait qu'il était mon meilleur ami et qu'on n'agit pas de la sorte, avec les personnes qu'on apprécie. « Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi est-ce que tu as continué de mentir ? » Je n'étais pas stupide, je comprenais les raisons qui l'avaient pousses à se dénoncer à la place des véritables coupables. Garrett avait un cœur en or et j'imagine qu'il espérait que les choses passeraient mieux si c'était lui. Ce qui, en soit, s'était avéré vrai. Mes parents n'avaient pas porté plainte et l'histoire s'était arrêté là. Enfin presque. Mon père m'avait catégoriquement interdit de le revoir et je n'avais eu aucun mal à comprendre qu'il avait tenu les mêmes propos auprès du brun. En y ajoutant sûrement quelques menaces supplémentaires si il tentait de revenir en cachette. Et c’est là, que j'aurai aimé que Garrett revienne sur sa décision, que je sois suffisamment importante pour lui afin qu'il dise toute la vérité. Mais ce n'était jamais arrivé et c'était sans aucun doute ce qui m'avait le plus blessé. « C’était long, toutes ces années sans toi. » j’avoue, à voix basse. « Il s’est passé tellement de choses où j’aurai aimé que tu sois là. » Après l’avoir perdu de vue, ma vie s’était transformée en véritable cauchemar. Je n’avais plus personne sur qui m’appuyer, plus personne pour m’obliger à me relever et à avancer. J’avais perdu mon seul véritable ami, celui qui m’appréciait pour celle que j’étais et non pas parce que j’étais la jumelle de Stella. « Mais je ne t’en ai jamais voulu, Garrett. » Même si je ne comprenais pas tous ses choix, quelque part, je savais qu’il avait agit en fonction de ce qui lui semblait être le mieux. Et de toute façon, il était trop tard pour éprouver quoi que ce soit. Tout ça appartenait au passé et, maintenant qu’il se tenait devant moi, je voulais simplement me tourner vers le futur et si il le désirait, renouer le contact. « Si tu as un peu de temps devant toi, est-ce que ça te dérange si on va marcher ? J’aimerai bien connaître tous les détails croustillants de ta vie. » je termine, lui adressant un immense sourire.

Oh, j’aimais bien tes chemises trois fois trop grandes pour toi. Cet aveu me tire un sourire. Je devais surtout avoir l'air ridicule. Puis subitement, mes bras sont remplis de Luna. Son parfum vient flotter tout autour de moi, douloureusement familier. Ce n'est l'histoire que de quelques secondes, mais ça suffit à me ramener des années en arrière. Lorsque tout était paisible, lorsque ma seule préoccupation était d'aller la rejoindre à la fin de ma journée. Elle recule aussi vite qu'elle a pu approcher, se répandant un excuses et je ne peux empêcher l'expression attendrie qui traverse mon visage. Rien n'avait changé, à ce niveau. D'un naturel discret à la base, elle avait toujours su me surprendre avec des moments d'impulsion qui m'avait semblé sortir de nulle part. Des actes imprévisibles qui détonaient avec la jeune fille timide que j'avais côtoyé, à cette époque. Uniquement avec les personnes que j’apprécie. Je sens mon coeur battre plus vite dans ma poitrine, à cette explication. Elle avait toujours été d'une grande douceur et sa bonté était sans limites. « J'en suis honoré. » je réponds, d'un air complice. En quelques secondes, j'avais l'impression d'avoir remonté le temps. D'avoir effacé ces dernières années d'incertitude, de doute et de peine. Comme si rien n'avait changé, comme si nous étions encore deux adolescents naïfs, des rêves plein la tête. C'était comme ça avec Luna. Elle avait toujours été mon havre de paix, cet îlot tranquille vers lequel je pouvais me tourner quand j'avais besoin de respirer, de penser à autre chose qu'à mon quotidien désœuvré. Et la retrouver, au détour d'une rue, c'était une chance inespérée.

Après quelques instants de silence, les mots m'échappent. Remplis d'une urgence qui me prend à la gorge, sous son regard. Un aveu, refoulé depuis si longtemps. Un besoin de rétablir la vérité, de crever l'abcès. De lui prouver que je n'avais pas trahi sa confiance, que je n'avais pas bafoué toutes ces années d'amitié solide. Si j'avais décidé de prendre la responsabilité de cet acte foireux, c'était parce que je savais que je risquais moins que les autres. Tout ça grâce au lien qui nous unissait, Luna et moi. Nous vivions déjà dans la galère et des peines judiciaires, ça aurait été la goutte de trop dans leurs existences. Moi, je pouvais espérer passer à travers, parce qu'ils me connaissaient et qu'ils allaient avoir plus de scrupules à m'en faire baver. Mais à défaut d'un casier dans mon curriculum vitae, j'avais perdu la personne qui comptait le plus dans ma vie. J'avais du dire au revoir, du jour au lendemain, au seul être qui ramenait de la joie dans mon quotidien. Néanmoins, je voulais qu'elle sache que je n'avais pas été l'instigateur de cet acte, que je n'avais rien à voir là-dedans. Je sais. Mes yeux se relèvent du bitume pour glisser dans sa direction. Je cherche quelque chose dans son regard, mais il n'y a rien d'autre qu'une profonde franchise. Elle y croyait. Et ça pansait la blessure la plus importante, dans le creux de mon âme. « Je ne sais pas...J'avais peur, je crois. » je murmure, en haussant les épaules. J'étais resté sur cette version, les choses s'étaient tassées et la vie avait repris son cours. Enfin presque. Mais j'étais terrifié à l'idée de voir la déception sur son visage, de contempler les dégâts causés par ma décision. Les années s'étaient écoulées et je n'avais jamais osé revenir vers elle. C’était long, toutes ces années sans toi. Cette simple confession me donne la furieuse envie de retourner l'entourer de mes bras. De me fondre dans cette chaleur et cette fragrances familières. De remonter le temps. De tout oublier, pendant un instant. « Beaucoup trop long. » je murmure, sur le même ton. « Je suis désolé. » Ma voix n'est qu'un souffle mais je ressens cette peine. Ce manque, il a toujours été là, quelque part. Comme un creux béant dans mon existence, une pièce disparue qui m'empêchait compléter le puzzle. Entendre qu'elle ne m'en avait jamais voulu, c'était tout ce que j'avais pu espérer un jour. Une rédemption à laquelle j'avais presque cessé de croire. Le passé était derrière nous et on ne pourrait pas changer ce qui s'y était produit. La seule chose que l'on pouvait modifier, c'était la manière de vivre notre futur. Et si elle m'en laissait la possibilité, je voulais en faire partie. Sa question me tire un nouveau sourire, en réponse à celui qui orne ses traits délicats. Et je tends mon bras dans sa direction, avec un petit signe de tête. « J'ai toujours du temps à te consacrer, pequeña luna. Mais je répondrais à tes questions si tu réponds aux miennes. » je souffle, avec un clin d'oeil. Puis nous nous mettons à marcher, le long du trottoir et je la guide gentiment jusqu'à un petit square non loin. « Qu'est-ce que tu voudrais savoir sur ma vie pas si palpitante que ça ? » je l'interroge, en redressant ma casquette sur mes cheveux mi-longs.

Je n'avais jamais eu besoin de faire semblant avec Garrett. Je n'avais jamais eu à vivre dan l'ombre de ma sœur, à m'effacer quand elle arrivait, parce que toutes les personnes qui gravitaient autour d'elle était avant tout ses amis, pas les miens. Mais comment est-ce que j'aurais pu lui en vouloir ? Stella était si solaire, toujours souriante et tellement sociale. Moi, j'étais plus solitaire et réservée, préférant m'asseoir dans un coin à bouquiner tranquillement. À côté d'elle, je passais pour quelqu'un de bizarre, alors que j'appréciais simplement la tranquillité. Je détestais qu'on me remarque, qu'on m'observe ou être le centre d'une quelconque attention. Ma sœur, elle était mon parfait contraire. Et un beau jour, ma route a croisé celle de Garrett et j'ai enfin eu le sentiment d'exister par moi-même et d'être appréciée pour celle que j'étais vraiment. À ses côtés, je me suis libérée et j'ai découvert une facette de ma personnalité que jamais je n'aurais soupçonné. Ma spontanéité était née à ses côtés, grâce à lui et à toutes les belles paroles qu'il m'avait offerte. Il avait cru en moi comme jamais personne ne l'avait fait avant lui. C'était en grande partie grâce à lui si j'avais appris à me faire confiance et si j'étais celle que je suis aujourd'hui. Et c'était dingue ce que sa présence m'avait manqué durant toutes ses années d'absence. D'autant plus que nous nous étions quitté de façon subite. Du jour au lendemain, il était sorti de ma vie, sans que je ne puisse lui parler et lui dire toutes les choses que j'avais sur le cœur. C'était l'un de mes plus grands regrets, de ne pas avoir pu échanger une dernière fois avec lui. Alors je remerciais le destin de l'avoir mis sur ma route aujourd'hui.

Puis des mots que j'avais cessé d'espérer franchissent la barrière de ses lèvres et mon regard plonge dans le sien. Pas une seule seconde je l'avais cru coupable. On aurait pu me traiter de naïve, je savais, au plus profond de moi, qu'il n'aurait jamais fait une telle chose. Ni à moi, ni à ma famille. Il était la personne la plus loyale que je connaissais. J'ai espéré tant de fois, après la décision de mon père de nous interdire voir qu'il dise la vérité, qu'il finisse par avouer qu'il n'avait rien fait, mais il n'avait jamais avoué. Il avait disparu de ma vie en emportant avec lui ce secret, sans même me laisser le moyen de me recontacter. Son absence m'avait terriblement fait souffrir et j'avais longtemps haïs mon père pour m'avoir séparé du seul ami que j'avais. « Je te l'accorde. Mon père peur faire très peur quand il s'y met. » je réponds, pour détendre un peu l'atmosphère. Puis je me confie à mon tour, lui avouant que toutes ces années passées sans lui s'était avérée très longues. Mais le passé appartenait au passé et le remuer n'allait pas nous permettre de le changer. Je préférais mettre à profit cette chance que nous avions de nous retrouver aujourd'hui et rattraper tout ce temps perdu et passé loin de l'autre. « Ça me semble être un bon compromis. » Puis je penche légèrement la tête sur le côté. « Mais on a le droit à un joker chacun. » Je n'étais pas certaine d'être capable de parler de certains détails de ma vie. Pas aujourd'hui, pas alors que nous venions à peine de nous retrouver. Mon bras se glisse autour de celui qu'il me tend, après sa proposition d'aller marcher et nous nous dirigeons vers un petit parc, à quelques pas de là. Qu'est-ce que je voulais savoir ? « Tout ? » J'avais envie de connaître toute sa vie, dans les moindres détails, depuis que nous nous étions perdus de vue, mais je me doutais que ce ne serait pas vraiment possible. « Et bien, commençons par le début. Qu'est-ce que tu fais aujourd'hui ? » J'avais remarqué le lieu devant lequel nous nous étions rencontrés et qui m'était malheureusement familier. Peut-être n'était-ce qu'une simple coïncidence, mais le connaissant, lui et son cœur en or, j'en doutais fortement.