Welcome back to Fort Fort Lointain. (Léna, Lula, Adam & May)

Je suis dans la merde jusqu’au cou. Je n’ai plus d’armes, je me sais prise au piège par l’ennemi et me cacher dans un buisson pour le restant de mes jours n’est pas une option envisageable. Autant dire ce qui est, je suis faite comme un rat et mes chances de survie sont quasi nulles. Je suis même étonnée d’être encore debout à l’heure actuelle. Mais je n’ai pas encore joué ma dernière carte et, même si, dans le cas présent, elle a autant de chance de réussite que d’échec, ça ne me coûte rien d’essayer. J’inspire profondément afin de me concentrer et de garder mon calme, puis, quittant d’un bond ma cachette de fortune, je prends mes jambes à mon cou. Je serpente entre les arbres, esquivant les flèches qui sont tirées dans ma direction. Entre deux foulées, je sifflote un air inaudible pour l’oreille humaine et quelques secondes plus tard, le bruit sourd de sabots foulant le sol se font entendre. Gwaew, pur-sang aux pelages aussi blanc que la neige, fait son apparition à mes côtés et je me mets aussitôt en selle, récupérant en même temps mon arc et mes flèches. Lancé au galop, j’espère être tirée d’affaire quand, une force inconnue me désarçonne. Mon dos claque violemment contre le sol, me coupant la respiration et, dans un sifflement, une flèche me frôle la joue avant de se planter sur le sol, à quelques centimètres de mon épaule. « Trop lente, Mellyn. Tu serais déjà morte. » Je porte une main sur mon visage et je constate avec agacement qu’il ne m’a pas raté. Je lève les yeux vers le sommet des arbres et serre les poings lorsque je croise enfin les siens. Du haut de sa branche, Niphred m’observe de son regard désinvolte, ce qui a le don de me faire grincer des dents. « Ne m’appelle pas comme ça. » Que je marmonne tout en me redressant. « Je n’entends pas très bien ce que tu dis, Mellyn. Pourrais-tu répéter, s’il te plaît ? » Mon frère, cet abruti, m’adresse un clin d’œil avant de sauter de son perchoir avec souplesse. J’époussette ma cape, ignorant ses petits coups d’œil lourd de sens. Alors qu’il s’apprête à ouvrir la bouche pour me rappeler, j’en suis sûr, qu’une fois de plus, il avait raison, je le fais taire d’un signe de la main. « Ne dis rien, pas un mot. » Je chuchote presque, tendant l’oreille à l’affût du moindre bruit suspect. « La défaite te… » Il n’a pas le temps d’en dire plus que je plaque ma main contre sa bouche tout en le foudroyant du regard. « Écoute. » Mon aîné fronce les sourcils et je peux voir ses oreilles pointues frétiller, puis ses yeux s’agrandirent sous la surprise. Je retire ma main de ses lèvres et il en profite pour reprendre la parole, à voix basse. « Je n’arrive pas à savoir combien ils sont. » La réponse est pourtant simple : Trop. Ils sont beaucoup trop nombreux pour qu’il ne s’agisse que d’une simple délégation étrangère en déplacement dans notre royaume. « On ferait mieux de rentrer. » Et pour une fois, je suis bien d’accord avec lui.

Il nous faut pas moins de quinze minutes pour rejoindre le lac Kidaa et son immense cascade. Puis une dizaine de minutes pour traverser celle-ci et pénétrer sur le territoire des elfes. Se joue ensuite une course contre la montre pour atteindre le palais elfique le plus rapidement possible. Quand nous poussons les portes impériales de la salle du trône, tout en bredouillant la raison de notre venue si soudaine, le roi ne semble pas surpris outre mesure. « Nous avons reçu une missive de la Princesse Léna. Une armée avance sur les terres de Fort Fort Lointain, les Drows à leur côté. » Les Drows, autrement dit, les elfes noirs… C’est mauvais tout ça, très mauvais. « Je ne peux m’absenter pour représenter notre peuple aux côtés de la Princesse. Mellyn, c’est à vous que revient cette tâche. Vous m’informerez de toutes les décisions par l’intermédiaire de votre frère. » Abasourdie, je cligne plusieurs fois des yeux. Moi ? Pourquoi moi ? « Vous devez partir immédiatement. » Je hoche timidement la tête avant de m’incliner légèrement en guise d’acceptation. Niphred et moi quittons la pièce dans un silence pesant.

« May, fais attention à toi. » La voix inquiète de mon frère me fait sourire et je rabats ma capuche verte olive sur le sommet de mon crâne.  « Comme toujours, tu me connais. » « Justement. C’est parce que je te connais que je te le demande. Ne fonce pas tête baissée comme tu as l’habitude de le faire. » Honnêtement, je ne vois pas du tout de quoi il veut parler. Je suis quelqu’un de posé et réfléchi, vraiment. « Promis. » Une légère pression de jambes sur le flanc de Gwaew et nous voilà parti au galop. Fais attention à toi aussi, Red. Et je laisse mes pensées filer avec le vent, espérant que celui-ci délivrera mon message.

Le voyage jusqu’aux portes du château se déroule sans encombre et en moins de temps qu’il ne m’en faut pour une inspiration, on m’escorte jusqu’à la princesse. De ce que j’en sais, ses parents se sont absentés du royaume pour des raisons diplomatiques et elle se retrouvait seule à devoir gérer ce qui sera sans doute la pire bataille qu’elle puisse connaître. Une fois devant son Altesse, je m’incline devant elle, comme le souhaite la coutume. « Princesse Léna. » Ma révérence terminée, je prends le temps d’observer les deux autres personnes présentes dans la pièce et mon cœur se serre en découvrant cette chevelure brune que je connais presque par cœur. Pourquoi le destin s’amuse-t-il toujours à nous réunir dans les pires moments ?

« Tu m'as l'air soucieux. » Un soupir m'échappe et je passe une main lasse dans ma crinière désordonnée. Glissant mes doigts entre les mèches bien trop longues au goût du capitaine, qui n'avait de cesse de m'apostropher pour qu'elles soient raccourcies dans les plus brefs délais. Mais regarder ailleurs ne m'empêchait pas de ressentir le poids du regard d'Ariel posé sur moi, son visage posé dans le creux de sa paume. Ses boucles rousses cascadaient jusqu'à son épaule et l'espace entre ses deux yeux s'était creusé. « J'ai un mauvais pressentiment. » je souffle, en me laissant tomber sur ma chaise, avachi contre le dossier. Les cuisines royales étaient désertes à cette heure ci de la journée, nous laissant tout le loisir de pouvoir nous retrouver en toute tranquillité. Mon tour de garde s'était achevé il y a quelques minutes et je me retrouvais à bavasser avec l'une de mes soeurs, réunis autour d'une petite table en bois brut. « Comment ça ? » m'interroge-t-elle, les sourcils désormais froncés. Un mouvement de jambe fait cliqueter la lourde épée rangée dans son fourreau et je pose mes coudes sur la surface vernie, avant de jeter un coup d'oeil à ma cadette. « Je ne sais pas. Mais je sens qu'il va se passer quelque chose. Je ne pourrais pas dire quoi, ni quand, mais j'ai une curieuse sensation dans la poitrine depuis que je me suis levé. » je lui explique. Mes instincts ne me trompaient que rarement et j'avais toujours été plutôt juste quand il s'agissait d'interpréter ce que mon corps me communiquait silencieusement. J'osais penser que c'était cet avantage qui m'avait permis de me hisser parmi les gardes rapprochés de la Princesse. Même si Léna restait une précieuse amie d'enfance, avant d'être l'unique fille des époux royaux. Tout ça pour dire que quelque chose se tramait, quelque part. « Mais je ne suis pas là pour me plaindre. » je rajoute, avec un sourire dépité. J'avais déjà de la chance de pouvoir m'entretenir avec elle, je n'allais pas la gâcher en vagues sensations qui n'avaient rien de tangible. « Il me semble t'avoir vu en compagnie d'une jolie demoiselle, l'autre jour. Dame Opale est-elle à ton goût ? » je demande, plein de malice. Et elle a le bon goût de rougir violemment, donnant une magnifique couleur d'un rose soutenu à ses pommettes piquetées d'éphélides.

Mais la porte des cuisines s'ouvre brutalement pendant l'une de nos énièmes chamailleries, sur un garde en uniforme complet. Son regard se pose sur moi avec vivacité et il se rapproche en quelques foulées rapides. « Lieutenant, vous êtes appelé de toute urgence dans la grande salle. » déclame-t-il, le visage tiré par l'inquiétude. « Une armée est entrée sur nos terres, accompagnée des Drows. » Fichtre. Ces misérables elfes noirs avaient décidé de se mêler à un combat qui ne les regardaient absolument pas. De parfaits opportunistes qui avaient vu là un moyen d'agrandir leur territoire et d'affirmer leur supériorité. Surtout qu'ils n'avaient pas choisi ce moment au hasard. Les parents de la princesse étant partis en voyage diplomatiques, escortés par le général des armées qui s'occupait personnellement de leur protection. Ils avaient soigneusement choisi l'instant pour lancer les hostilités, ces scélérats. Me levant d'un seul mouvement, je lance un regard à ma soeur, les mâchoires serrées. « Va retrouver Arthur et Alice. Et mettez-vous à l'abri pour le moment. » Puis j'attrape mon heaume avant de rejoindre le garde, trottant à vive allure dans les couloirs avant de le quitter quand nous atteignons les hautes portes de la grande salle. Dans laquelle j'entre sans hésiter, m'avançant devant la Princesse et sa conseillère, la jeune mage Tallulah. J'esquisse l'habituelle révérence, pliant un genou devant la plantureuse blonde puis je me redresse avant de poser le plat de ma main sur le pommeau de mon épée. « Léna. J'ai été prévenu à l'instant. Qu'en est-il de la situation actuelle ? » je questionne, l'air grave. Avant de jeter un coup d'oeil à la cuivrée qui avait également partagé notre enfance. Il n'y avait que nous, à cet instant. Je pouvais me permettre un peu plus de familiarités qu'en public. « Lula, est-ce que tu peux envoyer un message au roi et à la reine pour les prévenir ? Il leur parviendra plus rapidement que si l'on passe par la volière. Même les rapaces les plus véloces du château ne t'arrivent pas à la cheville. » Un peu de flatterie ne faisait pas de mal de temps en temps.

Mais l'échange ne dure pas bien longtemps, la grande porte s'ouvrant à nouveau. La princesse avait eu le temps de me prévenir qu'un émissaire des elfes sylvestres allait rejoindre notre conseil précipité par les événements, mais je ne m'étais pas attendu au visage qui apparaît sous la capuche vert olive. Et cette vision m'arrache quelques traîtres battements. Je devais dire que le destin avait décidé de nous mettre sur le chemin de l'autre aux pires moments. Mes yeux épousent la forme de son visage. Mais le temps n'est pas à la contemplation. Je l'observe simplement s'agenouiller à son tour pour saluer la princesse avant que nos regards se croisent, me contentant d'un signe de tête dans sa direction. Me râclant la gorge, je me décide à débuter cette réunion de crise. Le temps était compté, nous n'avions pas une minute à perdre si nous voulions pouvoir réagir à temps. « La situation nécessite une réponse rapide et efficace, sous peine d'être submergés. Les Drows sont vicieux et puissants, qu'ils se soient alliés avec un autre peuple alors qu'ils agissent habituellement en solitaire ne signifie qu'une chose : ils ont trouvé quelque chose d'intéressant sur nos terres. » je résume, d'une voix égale. Nous étions tous réunis pour agir selon son commandement, dévoués à la même cause. Mais il fallait mettre en pratique ces années à étudier la stratégie et la politique. Ses parents s'en étaient allés au pire moment, sans le vouloir. « Je m'en remets à vous, Princesse. » je souffle, en baissant la tête. « L'armée de Fort Fort Lointain n'attend que vos ordres pour réagir. Nous allons nous battre dignement pour protéger les citoyens et ramener la paix sur notre pays. » Les Montgomery avaient toujours régné avec pacifisme et bienveillance sur leurs sujets. Ce n'était qu'un juste retour des choses pour toute la prospérité qu'ils avaient amené en montant sur le trône.           

« Pourquoi faut-il que vous partiez mère ? Je ne suis pas prête à prendre tant de responsabilité. » Avais-je lancé, suppliante, dans l’étreinte que je partageais avec ma mère, avant son départ pour un royaume voisin. « Tout ira bien, mon enfant. Tu as l’amour du peuple, et d’innombrables conseillers pour t’épauler. Ce n’est que le temps de quelques semaines. Le peuple verra quelle incroyable future reine tu es. » C’était tant de responsabilité sur mes épaules, un rôle si important à jouer, alors qu’ils ne seront pas là. Si mon peuple m’est fidèle, et l’armée tout autant, je n’avais pas l’impression d’être prête si les choses venaient à mal tourner, et j’avais sincèrement la sensation, que tout pourrait basculer à tout moment. Que les voisins, en quête du trône, n’attendent que le bon moment pour agir, et nous réduire à néant. « Revenez moi vite, et en pleine santé, le temps est bien plus humide, qu’il ne l’est ici, à Fort Rilom. » Je relève le regard, alors que les portes de la salle du trône s’ouvre dans un vacarme habituel. Mon père, le Roi, venait d’entrer, accompagné par le général Willem. « Ma reine, il faut nous mettre en route, si nous voulons arriver rapidement. » Je me détache de ma mère, et m’incline rapidement devant mon père, qui vient à son tour, m’étreindre. « Je vois l’inquiétude dans tes yeux Léna. Nous serons vite de retour, avec de nouveaux alliés. » Il dépose ses lèvres, surmontées d’une moustache qui chatouille quelque peu mon front pâle. « Vous me manquerez Père. » Répondis-je, avant qu’il ne se détache et ne rejoigne ma mère. Une révérence plus tard, ils franchissent les portes, qui se referment derrière eux. Et plus que jamais, je me sens terriblement seule dans cette pièce, froide, et trop grande pour moi.

J’espérais ne pas les avoir vu pour la dernière fois.

Les jours passent, les conseillers défilent. Je tente de passer du temps avec ces derniers, de les écouter, de faire attention à leurs requêtes comme à celles du peuple. Je me contente des quelques missives de reçoit de Fort Rilom, pour m’assurer de la bonne santé de mes parents, et du bon déroulé des négociations. Parfois tout s’embrouille, et je trouve mon réconfort auprès de ma mage de meilleure amie, et conseillère. Le sourire d’Adam, qui passe parfois dans mes appartements, après son tour de garde, me donne l’impression que tout est normal. Pourtant, rien ne semble l’être vraiment. Des milliers de questions se posent, et j’ai le pressentiment que rien ne se passe comme il le devrait, que le danger rôde autour de moi. Qu’il n’attend que le bon moment, pour donner le coup de grâce à ses temps de tourment. Et je ne saurais gérer une attaque. Je n’en ai pas la capacité, bien que j’ai étudié longuement, les techniques de guerre, les différents moyens de pressions, les alliances, et le passé armé de mon royaume. Je n’avais pas grand-chose d’une future reine.

Fies-toi toujours à ton instinct, mon enfant.

Et cette fois, j’aurais dû écouter ce conseil.


Alors que le soleil est a son paroxysme, et beigne la salle du trône, je me tourne vers Lula, assise à mes côtés. « Quelque chose ne va pas, Lula, je peux le sentir. » Je murmure, avant que les portes ne s’ouvrent en grand, pour laisser entrer quelques gardes, le visage concerné. Ce qu’ils m’annoncent me fait tomber des nus. Il faut prévenir tous nos alliés, nous préparer à la cette bataille qui s’annonce. Ils sont au bord de la ville. Les elfes noirs. On le savait. Je le savais. Je l’ai senti venir. Et je n’ai pas mes parents pour me rattacher. Il faut que je fasse face, et que je tente de m’en sortir avec ce que je connais. En m’appuyant sur nos alliés de toujours. Un conseil bref se prépare, entre ma conseillère, la représentante des elfes sylvestre, et le représentant des gardes. Je presse la main de la cuivré à mes côtés, cherchant du réconfort dans sa présence.


Ils avaient attaqué, sans crier gare, profitant, que je sois là, seule, à avoir mon royaume entre les mains. La porte s’ouvre à nouveau, sur le visage délicat et pourtant ferme, d’Adam, suivis d’autres gardes. Je lâche aussitôt la main de ma conseillère, pour me tourner vers le garde que je connais depuis l’enfance. Je m’avance jusqu’à sa hauteur. « Adam. Ils ont placé leur armé tout autour de l’enceinte de la ville. Ils visent le château. » Répondis-je, après l’avoir salué. « Tu iras après, qu’ils le sachent maintenant ou après le conseil, l’issue sera la même. J’ai besoin de t’avoir ici. » Lançais-je dans un regard entendu en me tournant vers ma conseillère. « Un émissaire des elfes Sylvestres, ne devrait pas tarder à se joindre à nous. Il nous faut nous préparer. » Il ne restait plus que ça. Tenter de sauver mon peuple, et de nous sauver la vie à tous.


Une autre tête vient s’ajouter à notre petit groupe, quand l’archère entre dans la salle. Je m’incline brièvement à sa suite. « Mellyn, merci d’être venue aussi vite. » Je tente un bref sourire, qui ne cache pas mon inquiétude. Nous nous réunissons autour d’une large table en chêne, sur laquelle je déroule un long parchemin, plan tracé par les conseillers de mon père. « Il faut les empêcher d’arriver au château, et protéger le peuple. » La sécurité de tous, c’était ce qui m’importait le plus. Je ne savais pas ce que cachait mon royaume, mais nous devions à tout prix, sauver le plus de vie possible, de notre côté, la leur, comptait peu. Je regarde Adam, s’en remettre à mon autorité, n’attendre qu’un mot pour agir. Je lance un regard presque déconcerté à ma meilleure amie. « Le royaume, ainsi que moi-même, saurons vous en être reconnaissant, à vous et à l’armée. » Je réponds, sur un ton bien trop solennel, avant de poser mes mains sur le parchemin. « Une défense pacifiste n’aidera en rien, il faut les prendre de cours. » Je commence, avant de pointer plusieurs endroit du doigt. « Il faudrait placer des groupes de soldats, ici, et ici. Mellyn, vous avez de très bons archers, pensez-vous qu’ils seront en nombre suffisant pour se joindre à la garde royale ? » Je demande, en relevant les yeux vers la brune. « Il faudrait mobiliser l’armée de Dnarg. Ce sont de vieux alliés. Tu pourrais envoyer une missive au général, Lula ? » J’ajoute, sans cesser de fixer la carte, en me sentant terriblement inutile. N’étant pas persuadée que mes décisions seraient les meilleures.


Pourquoi a-t-il fallût que ce soit à moi, de gérer cette crise ?
          

Ma vie entière avait toujours tourné autour de celle de la princesse. De ma naissance aux jours qui étaient ceux d'aujourd'hui, ma destinée avait été celle de suivre ses pas, de tourner autour d'elle comme un satellite autour de sa planète reine. D'accompagner sa vie, longeant son chemin et affrontant les obstacles pour protéger sa vie, au péril de la mienne. Des longues journées de cours, à dodeliner de fatigue pendant les séances d'histoire du monde magique, régurgitant des informations mathématiques devant ses sourires amusés, me prenant mes propres pieds pendant les séances d'apprentissage de la danse. À esquiver les coups de lames du maître d'armes en compagnie de la princesse en devenir, qui s'escrimait à mes côtés, par sûreté. N'allez pas croire que les femmes sont faibles, à Fort Fort Lointain. Surtout quand deux de celles-ci occupaient des hautes places dans le cercle fermé qui entourait la famille royale. Mais j'avais été éduquée toute ma vie à ce que la sienne ne soit pas en danger. À être son soutien, son conseil et son bouclier. Usant de l'obscurité nocturne pour apprivoiser mes pouvoirs, contrôler cette lave brûlante qui s'écoulait dans mes veines, apprécier cette magie qui était la mienne. Transformant de courtes flammèches tremblantes d'une chaleur à peine tiède en brasier brûlant et ravageur. Apprenant les rudiments des soins métaphysiques en cas d'urgences, agrémentant ces leçons de recherches botaniques pour atteindre les plantes nécessaires à palier différentes situations. Maîtrisant quelques sortilèges utiles, en plus de mon élément principal, afin d'atteindre le niveau d'une sorcière acceptable aux côtés de la progéniture royale.

Léna était mon amie depuis toujours, une âme douce et lumineuse, d'une bonté sans précédent, d'une détermination sans failles. Essuyant mes échecs d'une main sur l'épaule, soutenant mes réussites, mes victoires, de mots encourageants et d'une admiration qui m'avait toujours laissé rose de gêne. S'il failli passer de vie à trépas pour elle, je n'hésiterais pas une seule seconde à lui offrir ma vie. Le bonheur du royaume pesait sur ses épaules, en l'absence de ses parents dirigeants et celui-ci pesait plus que de raison, depuis l'arrivée du chef de la garde et de la représentante des elfes sylvestres. Une attaque était dirigée en direction du pays et les combattants étaient rusés et redoutables. « Toutes les personnes réunies ici et leurs alliés te serviront jusqu'à la fin, Princesse. » je souffle, avec fermeté. Retrouvant toute ma robustesse, me redressant jusqu'à me tenir bien droite à ses côtés.

Je me racle la gorge, mal à l'aise. Je pense qu'il était plus sage de leur parler de ce secret farouchement gardé par la famille royale, cet artefact oublié qui devenait convoitise des elfes noirs. M'appuyant sur mon sceptre, jetant un coup d'oeil au grenat qui y rougeoyait doucement sous les lumières des larges fenêtres, je finis par reprendre calmement la parole. « Ils sont là pour l'Aestrïl. Le Roi des Elfes Sylvains en a fait cadeau aux dirigeants de Fort Fort Lointain, il y a des centaines d'années, sachant qu'ils seraient capables de le protéger. » Je déglutis avant de prendre une longue inspiration. Si l'on devait se battre jusqu'à la mort, il était légitime qu'ils sachent à quel propos. « Une gemme aux pouvoirs incommensurables. Enveloppe minérale contenant l'esprit d'un être sylvain, d'un dieu elfique ancestral. Melkor, celui qui s'éveille en puissance. Le dernier espoir en cas de violence, de guerre dont la fin ne semble jamais arriver. Celui qui l'obtient, obtient le pouvoir et le chaos. Et c'est ce qu'ils recherchent à tout prix. » Je relève la tête pour observer toutes les membres de cette mince assemblée, déplaçant une mèche cuivrée jusqu'à l'arrière de mon oreille percée de quelques anneaux scintillants. L'heure était grave. « Entre de mauvaises mains, l'Aestrïl pourrait détruire tout un pays. Rayer toute une population de la carte. Il faut le garder en sécurité, il ne doit pas sortir du palais. » je termine, ferme et implacable. Puis j'écoute la princesse et les autres membres de cette réunion d'urgence parlementer sur la meilleure manière de vaincre, le poing serré autour de mon sceptre.

Jusqu'à que ce que mon prénom soit prononcé, me faisant tourner la tête vers la personne que je chérissais le plus au monde. « Absolument. » je souffle, avant de sentir la magie traverser mon corps de haut en bas, comme un souffle chaud et crépitant. Tendant la main devant moi, paume tournée vers le haut, je murmure quelques paroles dans la langue sacrée avant qu'une créature n'y apparaisse, époussetant son corps et faisant battre ses petites ailes. « Zigwyr ? J'ai besoin de toi. » je commence, à l'attention du dragon miniature qui gesticule et penche la tête sur le côté. Ses yeux noirs m'observent et ses écailles de jais brillent d'un éclat rougeoyant. « Une urgence ? Je n'aime pas ça. Tu ne m'appelles que quand il se passe quelque chose de mauvais, Lula. » Est-ce que j'ai oublié de préciser que mon familier était un froussard ? Mais il avait l'avantage d'être extrêmement rapide. « Va à Dnarg et dis-leur que le palais royal est attaqué. Nous avons besoin de leurs troupes pour combattre. S'ils refusent, parle-leur de l'Aestril. Fais vite, je compte sur toi. » je lui résume, avant qu'il ne hoche la tête sans afficher une moue inquiète. Puis il prend doucement son envol, passant par la fenêtre avant de grossir un peu pour retrouver sa forme originelle. Je le vois disparaître à travers les nuages et je sais qu'il me préviendra mentalement de la transmission du message. L'esprit plus tranquille, je m'approche à nouveau de Léna, penchée sur ses cartes. La rigidité de ses épaules ne pouvait pas tromper et je savais pertinemment qu'elle se sentait perdue. Je finis par poser une main sur son épaule, la pressant délicatement. « Fais-toi confiance. Tu as l'étoffe d'une dirigeante, tu dois simplement exploiter ton potentiel. » je murmure, avec un sourire encourageant.

Le temps était compté et il nous fallait agir vite.
          

Je me demandais encore pourquoi le Roi avait décidé de me désigner, moi, pour représenter notre peuple. Je n’étais pas diplomate, encore moins de sang royal. Et malgré mes heures d’entraînements en compagnie de mon frère, je n’étais pas non plus considérée comme une guerrière. J’étais une Elfe, tout ce qu’il y a de plus banal, et mon habilité au combat ne me donnait pas de quelconque avantage sur mes semblables, bien au contraire. Il me restait encore tellement de choses à apprendre que me retrouver au milieu de décisions aussi importantes m’angoissait légèrement. Mais le roi ne faisait rien sans conscience et s’il m’avait désigné comme représentante, c’est qu’il m’en croyait capable. Il était de mon devoir de lui prouver qu’il avait eu raison de me faire confiance, et ainsi de prendre les meilleurs décisions, au nom des miens. Et après de brèves salutations et une révérence à destination de la Princesse, mon regard croise celui que j’essayais d’éviter depuis mon arrivée. Adam, le chef de la garde pour qui mon cœur battait inexorablement depuis notre première rencontre. Mais m’amouracher d’un humain n’était définitivement pas la meilleure idée que je pouvais avoir. Les Elfes étaient des êtres très conservateurs et ne laissaient que très peu de place à l’ouverture d’esprit. Nous cohabitions en paix avec eux et les différents peuples du Royaume, mais nous mélanger n’étaient pas envisageable. Mais je n’avais pas décidé de tomber sous son charme, et depuis, je m’évertuais à maintenir le plus de distance possible entre-nous, même si ce n’était jamais fait de gaieté de cœur. Et j’avais beau me la jouer rebelle et posséder un fort esprit de contradiction, je ne pouvais pas me résoudre à trahir les miens de la sorte. Parce que c’est ce que ce serait, une trahison.

Mais je n’étais pas là pour m’épancher sur mes sentiments et nous avions plus urgent à régler.

Toutes les personnes réunies ici et leurs alliés te serviront jusqu'à la fin, Princesse. « Nous avons juré fidélité aux Roi et à la Reine de Fort Fort Lointain, il en sera ainsi jusqu’au dernier de notre espèce. Que la colère d’Asuryan s’abatte sur notre peuple si nous trahissons Leurs Altesses Sérénissimes. » Et je suis prête à me mettre à dos, quiconque de mon peuple essaiera de briser cet accord. Puis la réunion débute et j’écoute d’une oreille attentive ce qui se dit au sujet de nos ennemis de toujours. Si mon peuple vit dans la prospérité et la séniorité depuis des années et ne manque de rien, on ne peut pas réellement dire que ce soit le cas de nos confrères. Bannis de nos Terres elfiques et contraints de se retrancher dans le seul endroit où personne n’irait les chercher, ils ont pris possession de la Sombre Forêt. On est loin des terres verdoyantes sur lesquelles nous vivons. Alors, malgré le passif des Drows, je pouvais comprendre cette envie de rébellion. Et si n’importe quel autre peuple aurait tenté une négociation dans les règles de l’art, eux préféraient se saisir de leurs armes et venir taper là où ça faisait mal. Pourquoi se contenter d’une négociation quand ils pouvaient régner sur tout le Royaume ? Mais quelque chose me chiffonne malgré tout, dans leur comportement et leur façon d’agir. Ce sont des créatures sournoises et perfides. La confiance ne règne pas au sein même de leur clan et ils se considèrent supérieurs à toutes les autres races qu’abrite notre Royaume. A leurs yeux, nous ne sommes que des insectes inintéressants et ne demandant qu’à être piétinés. Leur présence  sur le champ de bataille ne me surprend pas, ce qui n’est décemment pas le cas de leurs mystérieux alliés. Les Elfes Noirs ne s’allient que très rarement, pour ne pas dire jamais. Ils sont solitaires et préfèrent faire cavaliers seuls plutôt que de s’unir avec des êtres qu’ils qualifient de bien plus faibles qu’eux. Et cette histoire d’alliance me chiffonne. Elle cache quelque chose, mais je n’arrive pas à mettre la main sur la raison. Il ne fait aucun doute qu’ils se servent d’eux, non pas pour parvenir à leur fin et marcher, victorieux, sur les ruines de Fort Fort Lointain, mais plus pour créer une diversion. Je mettrais ma main à couper qu’ils cherchent quelque chose, et pas seulement à s’emparer du trône. Je m’apprête à faire part de mes doutes, mais je me fais devancer par Adam. Visiblement, je ne suis pas la seule à trouver ça louche. Puis la voix de Lula s’élève de nouveau et mon souffle se coupe, quelques secondes devant cet aveu. L'Aestrïl… « Je pensais que ce n’était qu’une légende. » j’avoue à voix basse, laissant les souvenirs concernant cette gemme remonter à la surface. Melkor n’était pas qu’un simple Dieu elfique, il était l’un des rare à s’être tourné vers le mal, gagnant en pouvoir et en force. Il était craint par tout mon peuple, et à juste titre. « Sans vouloir vous contredire, le palais n’est-il pas le lieu le moins sûr, actuellement ? » je demande, les sourcils froncés. « C’est le premier endroit où ils viendront le chercher, dés que l’occasion se présentera. » Et je ne remettais pas en doute les capacités de l’armée de la Princesse, mais je connaissais mieux que quiconque les Elfes Noirs, et j’étais persuadée qu’ils trouveraient le moyen de s’introduire dans le palais.  

Puis mon regard se pose sur la princesse, et je me contente de hocher la tête, en silence, dans un premier temps. Difficile d’évaluer si nous serions en nombre suffisant ou non, quand on ignorait tout du nombre d’ennemis en face. Et de ce que j’avais pu apercevoir, ils seraient au moins aussi nombreux que nous. « Tous nos archers, sans exception, se joindront à votre armée Princesse. » J’indique sur la carte les montagnes de Dundree, situés à quelques kilomètres au Nord du palais. Si nous autres, elfes sylvains, tirons nos pouvoirs des forces de la nature, les elfes noirs tirent les leurs dans l’obscurité des lieux les plus sombres. Et les grandes rocheuses étaient constamment plongées dans la pénombre. « Il faut à tout prix les empêcher de les rejoindre. Plus ils s’en tiendront éloignés, plus ils faibliront. » Et les affaiblir restaient, à mon avis, notre meilleure chance de vaincre.

Toute ma vie, j'avais juré de défendre cette cité et ces occupants. J'avais juré de combattre pour la paix de cette ville, pour conserver cette sérénité et ses relations cordiales avec les autres états du pays. Ma famille servait le famille royale depuis plusieurs générations et tous les hommes se vouaient à l'art de la guerre, au maniement des armes, à la protection des citoyens. Mon frère Arthur avait donné sa vie pour que règne la tranquillité et j'avais toujours cherché à suivre le même exemple, à marcher dans ses pas. Ma rencontre avec Léna lorsque nous étions enfants avait accéléré le processus et c'était sur sa demande, après avoir fait mes preuves en tant que soldat que j'avais fini par accéder à la garde rapprochée des époux régents et de leur unique fille. Je tenais ce rôle à coeur et je m'employais nuit et jour à répondre à toutes les urgences qui concernaient leur sécurité. Et celle-ci était d'une extrême importance. Rares étaient ceux qui osaient s'attaquer à la forteresse des dirigeants de Fort Fort Lointain et encore moins à la famille royale. Ils inspiraient le respect par leur grande sagesse et leur bonté, leurs rapports avec les autres comtés avaient toujours été négociés avec le moins de combats possibles. Ils inspiraient, servaient de modèle et il fallait être fou pour chercher à se mesurer à la plus grande puissance du pays. Fou ou avoir une bonne raison de créer le conflit. Une raison qui surpassait les dommages que pouvaient engendrer une guerre. Et je pensais qu'il y avait quelque chose sur nos terres qui les intéressaient assez pour s'allier et venir conquérir le palais. Mais j'aurais aimé que cette situation n'arrive pas à la dernière minute. Nous étions encerclés, ils avaient réussi à réunir les Drows à leurs côtés. Nos effectifs n'étaient actuellement pas suffisants pour leur tenir tête et le temps continuait de tourner.

Il fallait passer à l'offensive, trouver une stratégie pour riposter et conserver les murs du château intacts, garder la princesse en sécurité.

Ils avaient choisi le bon moment pour attaquer, profitant de l'absence roi et de la reine, ne laissant que leur héritière inexpérimentée pour réagir. Mais ils sous-estimaient les capacités de Léna. Et je me force à ne pas tourner les yeux en direction de la silhouette mince recouverte d'une cape couleur olive. Mellyn. Une elfe sylvestre dont le chemin avait régulièrement croisé le mien, aux moments les plus inattendus. Mon coeur rate quelques battements quand ses yeux sombres rencontrent les miens, déglutissant devant la joliesse de son visage. Ces êtres étaient dotés d'une beauté presque éthérée, dont on avait du mal à se détacher. Malgré son caractère flamboyant qui me donnait du fil à retordre certaines fois, je ne pouvais empêcher l'attraction qui m'attirait à elle, ni l'affection particulière que j'étais venu à lui porter. Pourtant, nos mondes étaient bien différents, régis par des règles qui ne se ressemblaient pas. Garder mes distances était la meilleure solution pour la garder saine et sauve. Et ne pas souffrir inutilement. Nous affirmons tous notre allégeance au royaume, chacun notre tour sous les yeux la princesse et mon esprit se clarifie à nouveau, retrouvant son état pragmatique. Puis j'écoute la leader intérimaire commencer son plan d'attaque. Parce que les choses n'allaient pas pouvoir se faire de manière pacifiste. Si ce que la mage disait était vrai, ils avait mettre le palais à feu et à sang pour récupérer cette maudite pierre. Il était de notre devoir de la protéger et de repousser l'ennemi, au plus vite. Je hoche la tête avant de glisser des ordres à mes subordonnés restés près de la porte, mon regard glissant à nouveau en direction des femmes attroupées près de la large table. L'elfe donne une indication importante concernant les rocheuses et je me rappelle de mes cours concernant les différentes civilisations qui composent le pays. En quelques pas, je rejoins le trio, déposant mon heaume sur le bois verni avant de me pencher sur la carte.  « Si l'Aestril est dans le palais, il doit avoir été dissimulé dans un endroit auquel personne n'aurait pensé. Ils avaient du prévoir de potentielles attaques, si cet artefact est tant convoité. » je murmure, attrapant mon menton entre mon pouce et mon index.  « Il faut poser des troupes sur les remparts avec les archers, couvrir toutes les issues, même celles qui ne sont plus empruntées depuis longtemps. Ils vont chercher à exploiter la moindre faille. » Puis je me tourne vers Lula, appuyée sur son sceptre, les sourcils froncés.  « Est-ce que tu pourrais avoir une idée d'où il se trouve ? Ou le localiser grâce à ta magie ? Si on réussit à mettre la main dessus, il faut l'emmener en dehors de la ville pour limiter les dégâts. » je lui demande, glissant l'autre main sur le pommeau de mon épée par réflexe.

Des hurlements retentissent et j'entends résonner des fers qui se croisent à l'extérieur, suivis de bruits sourds. « Ils ont réussi à entrer. » je déclare, d'une voix blanche. Puis mes yeux scannent la pièce, à la recherche de l'indice qui m'avait été dévoilé il y a quelques années par le général Willem. Il m'avait soufflé cette anecdote un soir et elle me revenait maintenant. Nous allions en avoir besoin. Je pointe le fond de la grande salle, richement décorée. « Derrière la tapisserie qui représente les naïades, il y a une porte menant à un passage qui rejoint les cuisines. Lula, emmène la princesse avec toi. Il faut trouver l'Aestril au plus vite, je te fais confiance. Il doit être caché dans une pièce qui doit paraître banale. » j'énonce, dans un calme olympien. Il fait prioriser les éléments importants. La sécurité de Léna et la protection du puissant joyau pour l'empêcher de tomber entre leurs griffes.  « Mellyn et moi allons vous faire gagner du temps et rejoindre la garde royale pour protéger le palais. » je rajoute, avec un regard entendu en direction de l'elfe, tirant mon épée hors de son fourreau. « Faîtes vite ! » je hèle mes amies d'enfance, avant de pivoter en direction de la porte d'entrée, avec un sourire déterminé. Je jete un regard en coin en direction de la jeune femme avant de me mettre en position. « Prête à prouver la sincérité de tes paroles ? » je lâche, sur un air de défi.

Les choses sérieuses allaient commencer dès maintenant.
Et elles allaient être décisives sur l'issue de ce combat.                                   

J’aurais aimé, ne jamais avoir à me retrouver dans cette position. Naître simple villageoise, et errer dans le village, avec simplicité, n’avoir aucune responsabilité. Aucun ordre à recevoir, ni même à donner. Seule au royaume, dans l’immense château, avec mes parents sur la route d’un royaume voisin, je me sentais plus démunie que jamais. L’impression bête de n’avoir aucune arme, aucun soutien, et de me retrouver sans aucun moyen de prouver au monde ce que j’étais sans leurs mains dans la mienne pour me soutenir. Je n’étais pas digne d’une héritière. Je n’avais pas ce qu’il fallait pour être reine de Fort Fort Lointain. Je sentais venir la crise, une certaine sensation au creux de mon estomac me le disait, me le criait. Je n’étais pas sereine. J’aurais aimé l’être. Mais je me retrouvais seule, alors que mon royaume était attaqué. Du moins, je me sentais seule. Laissée à moi-même. Alors que pourtant, j’avais Lula à mes côtés, la garde, les alliés. Mais je ne savais m’empêcher de penser, que ce ne serait pas suffisant. Mon royaume était en danger, et c’était tout ce à quoi je pensais. J’avais également une pensée pour mes parents. S’il leur était arrivé quoi que ce soit ? Si on les avait pris en embuscade ? Si on avait pris leurs vies ? Si tout ça n’avait été qu’un plan pour m’affaiblir, et affaiblir le royaume ? Les attirer à l’extérieur pour m’empêcher de faire quoi que ce soit pour les sauver. Je ne voulais pas penser au pire, mais comment l’éviter ? Ça semblait tellement probable. N’étaient-ils pas prêts à tout pour détruire ce qui pouvait se trouver sur leurs passages dans le simple but de reprendre le pouvoir et d’étendre la noirceur sur le royaume tout entier ?

Toutes les personnes réunies ici et leurs alliés te serviront jusqu'à la fin, Princesse. Nous avons juré fidélité aux Roi et à la Reine de Fort Fort Lointain, il en sera ainsi jusqu’au dernier de notre espèce. Que la colère d’Asuryan s’abatte sur notre peuple si nous trahissons Leurs Altesses Sérénissimes. L'armée de Fort Fort Lointain n'attend que vos ordres pour réagir. Nous allons nous battre dignement pour protéger les citoyens et ramener la paix sur notre pays.

Toute ces phrases tournent encore et encore dans mon esprit, et me rappelle que je devais garder la tête froide, ne pas céder à la panique, qu’ils sauraient me venir en aide. Je l’espérais Nous étions tous réunis autour de cette imposante table, sur laquelle était déroulé le plan du royaume sur lequel j’étais sensée régner en l’absence des souverains en chef. Je devais me focaliser sur tout ça. Sur les habitants, protéger familles et ouvriers. Perdre le moins d’hommes possible, tout en garantissant la sécurité de tous. Finalement, alors que mes yeux étudiaient la carte de fond en comble, réfléchissant à la meilleure stratégie à prendre, Lula, à mes côtés leurs révèle l’un des secrets les mieux gardés du royaume. Une légende pour beaucoup, mais pas pour moi. J’avais entendu parler de l’artéfact alors que je n’étais qu’une enfant, je l’avais vue de mes propres yeux, longuement observer comme le trésor qu’il était, mais jamais je n’avais eu le droit de poser mes mains sur la gemme. Mes parents ne l’avaient fermement interdit, avant de le placer en lieux sûrs dans un coin du château dont même moi j’ignorais la position. Un jour, peut-être, lorsque le trône ne reviendra de manière officielle. Mais ma conseillère, elle, savait. « C’était un cadeau, pour la naissance de mon ancêtre, le Roi Herem. Les Elfes Sylvestres avaient été invités pour le baptême. Ils avaient senti en ce roi, le pouvoir d’aucun autre. L’esprit suffisamment réfléchi pour ne jamais perdre le trésor que l’on lui confiait. Il voyait en lui un homme brave, et juste, sans une once d’orgueil. Ils avaient senti que ce serait un homme bon, et juste. Depuis, il n’a jamais quitté le palais. » Je termine en entendant Mellyn murmurer qu’elle n’avait jamais pensé autrement qu’à cette légende que l’on racontait, ça et là.  

Lula finit par s’éloigner, alors que nous mettions en place un véritable plan d’attaque, du moins, que l’on essayait. Elle revient finalement quelques secondes plus tard, posant sa main sur mon épaule, sur laquelle je viens poser mon regard avant de lever les yeux vers elle. « Si seulement tu pouvais avoir raison… » Je réponds dans un soupire. « Adam à raison. Le roi et la reine ont fait jeter un puissant sort, qui le dissimule. Moi-même je ne sais pas où il se trouve. » Je complète les paroles du garde tout en m’appuyant contre la table pour garder un équilibre et ne pas flancher sous le poids qui me fait plier le dos. « Auras-tu suffisamment d’hommes ? » Je demande au brun, avant de poser les yeux sur l’Elfe, qui pointe des endroits stratégiques sur la carte. J’approuve chacun de ses dires. Elle avait meilleure connaissances que moi sur les créatures noires. C’était pour cela, que je devais être entourée des meilleurs.

Soudain, j’entends les épées qui s’entrechoquent, et les hurlements. Mon sang se glace, et je me fige instantanément. Un Non murmuré s’échappe de mes lèvres. Ils approchent. Mon peuple est à la merci des Elfes Noirs, et ils ne reculeront plus. « Promets-moi d’être prudent. Et vous aussi Mellyn. » Je lance, avant que la mains de Lula n’attrape la mienne pour m’entraîner dans la direction qui nous avait été indiqué. Ma main s’accroche si fort à celle de la jeune femme aux cheveux cuivrés. Une fois la tapisserie passée et dans le couloir étroit, sombre et humide, j’oblige Lula à s’arrêter, m’approchant d’elle, pour puiser dans sa chaleur. « J’ai si peur Lula… » Je murmure, la gorge serrée. « Je ne suis pas faite pour régner. Ils vont prendre le dessus. Le royaume va tomber entre leurs mains, et ce sera ma faute. » Je déblatère, dans la panique. Je n’avais pas été préparée à quelque chose de cette ampleur. A côté, les doléances de mes sujets, me semblaient n’être que de petits problèmes que je devais régler. Ce que nous vivions là, était décisif.

Plus qu'une quête pour la paix. C'était une question de vie ou de mort du pays tout entier.
          

À ma connaissance, nous n'avions jamais eu à affronter une telle crise. En tout cas, pas depuis ma naissance. Fort Fort Lointain avait toujours été un pays calme et pacifiste, qui tentait de régler les contentions par la communication et des ententes cordiales. Le règne des Montgomery n'avait souffert d'aucune vague de protestation, parce qu'ils tentaient toujours de faire ce qui était le plus juste pour leur peuple. Mais ça n'empêchait pas nos voisins d'être remplis de convoitise. Surtout quand il s'agissait d'artefacts magiques et encore plus quand ils étaient puissants. L'Aestril restait une légende pour la plupart des habitants de la contrée mais j'avais épluché presque tous les manuscrits à son sujet dans la bibliothèque royale, me faufilant à des heures indues dans la nuit pour continuer ma lecture et me gorger d'informations sur elle. Cette pierre aux immenses pouvoirs qui pouvait créer ou au contraire, détruire, selon son possesseur. Ce joyau capable d'effacer un pays de la carte, si elle se trouvait entre des mains cupides ou débordantes de vengeance. Les Drows ne devaient la trouver sous aucun prétexte, sous peine de conséquences terribles. « Ils vont réussir à atteindre le château, ce n'est qu'une question de temps. Mais nous avons l'avantage de le connaître par coeur, contrairement à eux. » Un sourire déterminé étire soudainement mes lèvres. Pourtant, la brune avait raison. Il allait falloir éloigner la pierre de la ville si l'on voulait éviter un drame. Je n'aimais pas du tout cette idée, préférant me placer comme gardienne de son sanctuaire plutôt que de devoir la déplacer d'un point à un autre. C'était un risque à prendre de se la faire subtiliser à n'importe quel moment. « Une fois que l'on aura mis la main dessus, je vais essayer de créer un double de l'artefact pour s'en servir comme d'un leurre. » Je n'avais pas la moindre idée de la quantité de magie qu'il allait me falloir pour y arriver. Et si j'en étais capable, tout simplement. Mais je devais essayer. Je devais faire tout ce qui était en mon pouvoir pour sauver notre peuple et éviter une catastrophe. « S'ils pensent avoir récupéré le vrai, ça nous laissera assez de temps pour nous échapper et rejoindre la forêt. » Les Drows n'oseraient jamais s'imposer sur la terre des elfes sylvestres sans y avoir été invités. Un soupir m'échappe et je plisse les lèvres. « Quitte à sortir un artefact puissant du palais et tenter de le mettre en lieu sûr, autant rassembler toutes les chances de notre côté. » Avec l'espoir d'atteindre notre but, sains et saufs, ce dont je doutais de plus en plus.  

Après avoir observé mon familier s'envoler dans les airs, je retourne auprès de la princesse, déposant ma main sur son épaule. « J'ai toujours raison. » je souffle, avec un demi-sourire complice. Mais l'organisation de la bataille poursuit son chemin et ce n'est pas une mince affaire. Adam se tourne vers moi et je resserre ma prise sur mon sceptre, l'observant sans ciller. « Je peux essayer, en tout cas. Il y a une chance qu'il réagisse à ma magie et si c'est le cas, je vais m'y raccrocher pour le trouver. » Puis les minutes passent et une ébauche de plan se met en place pour contre-attaquer, consistant à éloigner les elfes noirs des rocheuses pour amenuiser leurs forces. Jusqu'à ce qu'un brouhaha glaçant ne résonne de l'autre côté des hautes portes, arrêtant net notre conciliabule. Ma main s'agrippe à celle de Léna et j'écoute les explications du chevalier, mes yeux glissant automatiquement en direction de ladite tapisserie. « Soyez prudents. » je souffle, en écho aux paroles de la blonde, avant de l'entraîner à ma suite vers le passage secret. L'espace est étroit, sombre. Humide. Et je suis stoppée par le bras de mon amie qui s'arrête, mes bras se refermant autour d'elle. « Je sais. » je murmure, le regard plongé dans le sien. « Mais on va s'en sortir, ok ? » Sauf que mes paroles ne l'atteignent pas et qu'il me faut lâcher mon bâton pour attraper son visage entre mes paumes. « Écoute-moi, Léna. » Une profonde inspiration et je poursuis. « Rien de tout ça n'est ta faute. Ce siège a certainement été prévu depuis longtemps et préparé en amont. Tu ne fais que réagir à une situation jamais vécue jusqu'à maintenant. Nous avons besoin de toi pour prendre les bonnes décisions, en l'absence de tes parents. » J'avais confiance en elle. Et je savais que les autres aussi, où qu'ils soient. « Ils ont toujours été fiers de toi et ils savent que tu sauras faire les choix qui s'imposent. » je souffle, mes pouces effleurant ses joues et lui insufflant quelques effluves de magie pour l'apaiser. « Mais il faut qu'on y aille, qu'on trouve l'Aestril et qu'on mette autant de distance que possible avec le palais. Chaque minute qui passe est une chance que l'on perd de vaincre les Drows. » je termine, avant de déposer mes lèvres sur sa joue. Puis je me baisse pour récupérer mon sceptre et nous reprenons notre marche en direction des cuisines. Une porte fait finalement son apparition devant nous et je l'entrouvre légèrement, le coeur battant puissamment dans ma poitrine. « Rien en vue. » Puis je me tourne à nouveau vers Léna, les sourcils froncés. « Adam a parlé d'une pièce dans laquelle personne n'irait penser à chercher. Est-ce tu penses à quelque chose en particulier ? » je l'interroge, les sens en alerte.

Il existait tellement de contes et légendes au sein de mon peuple qu'il était parfois difficile de savoir lesquels sortaient de l'imagination de tout un chacun ou si il y avait une part de vérité. Et l'Aestrïl en faisait partie. Il y avait tellement de on-dit et d'incertitudes autour de ses origines, de son créateur ou de son réel pouvoir, qu'au fil des années, l'histoire de cet artefact avait fini par devenir un récit que l'on contait aux enfants le soir. Apprendre que tout était vrai, ou en grande partie, alors que j'avais grandi avec l'idée que cet objet n'avait jamais existé, c'était quelque chose de difficile à croire, même de la bouche de la princesse héritière en personne. J'avais dû mal à me dire qu'il était sous nos yeux depuis tellement d'années... D'autant plus qu'il possédait un pouvoir hors du commun et qui aurait mérité d'être détruit depuis bien longtemps pour justement empêcher qu'il se retrouve entre les mains de personnes mal intentionnées. Comme les elfes noirs, justement. Si ils venaient à le trouver, le monde tel que nous le connaissions était mené à disparaître. Il ne serait plus que chaos et destruction. Et j'étais la mieux placée pour le savoir. Alors j'écoute en silence les propositions et le plan qui se met lentement en place, en essayant d'apporter mes connaissances sur nos ennemis avant d'avoir toutes les chances de notre côté. Je connaissais leur manière de fonctionner, leurs points forts comme leurs points faibles et nous devions à tout prix compter sur ces derniers pour espérer les vaincre. Parce qu'il ne faisait aucun doute qu'ils étaient déterminés à renverser le Royaume, quitte à le réduire en cendre s'il le fallait pour atteindre leur but. Et ils avaient beau être des guerriers sanguinaire et avides de pouvoir, je savais qu'il ne se serait jamais lancé à l'assaut du palais s'ils n'étaient pas certains d'être en mesure de remporter la guerre. Ou en tout cas, de faire suffisamment de dégâts pour nous affaiblir et lancer une seconde attaque un peu plus tard. « Je dois prévenir mon peuple. » je les informe d'un ton calme avant de reculer de quelques pas pour m'approcher de l'une des fenêtres de la pièce. Mes paupières se ferment, mes mains s'ouvrent, les paumes dirigées vers le haut et une poignée de secondes plus tard, une légère brise vient m'encercler, me faisait frissonner. C'est dans ma langue maternelle que je donne les indications à mon roi, l'informant de notre besoin en archer de toute urgence, ainsi que de toute l'armée elfique. Le message transmis, la brise fait marche arrière, emportant avec elle les informations à transmettre. Mes yeux s'ouvrent de nouveau alors que des hurlements retentissent dans la cour du château. Mon regard se pose sur l'immense porte, puis sur la princesse et sa conseillère. Le temps pressait et il fallait impérativement, en plus de lettre à l'abri, retrouver l'artefact et l'éloigner d'ici.

Mon arc maintenant logé entre mes mains, je viens me positionner aux côtés d'Adam, hochant la tête à ses mots. Les deux jeunes femmes finissent par nous quitter, empruntant le passage indiqué par le brun quelques instants plus tôt et on se retrouve tous les deux, à mon plus grand désarroi. Je ne pouvais pas empêcher mon cœur de s’accélérer à ce constat, encore moins à mes sentiments de venir s’entrechoquer dans mon esprit. Je rabat finalement ma capuche sur ma tête pour l’empêcher de lire toute ma déstabilisation sur mon visage, lançant une rapide coup d'œil dans sa direction quand il reprend la parole. « Je suis toujours prête. Tu devrais le savoir depuis le temps. » Ce n'était pas comme si nous nous étions jamais battus côte à côte. J'avais d'ailleurs la désagréable impression que le destin s'amusait un peu trop souvent à nous mettre sur la route de l'autre quand la situation était là plus critique. Je récupère une flèche dans mon carquois situé dans mon dos et j'arme mon arc, tout en observant les alentours avec la plus grande des attentions. Puis mes oreilles se mettent à frémir et mon regard se pose de nouveau sur la porte. « Il y en a une dizaine qui arrive par l'aile Est. » je chuchote avant de poursuivre, toujours sur le même ton. « Et plus d'une vingtaine par l'aile l'Ouest. » Autant dire qu'une trentaine et plus, d'hommes et d'elfes noirs en même temps, ça n'allait pas être une partie de plaisir. « Essaie de rester en vie. » je murmure à son attention. « J’assure tes arrières. » Puis je disparais dans l'obscurité de la pièce, me plaçant légèrement en hauteur pour dominer la salle.

Être invisible à leurs yeux, ça nous donnerait un avantage. Pour combien de temps, je l'ignorais, mais il ne serait pas négligeable.

Un combat était devenue l'unique solution. Parce que nous allions devoir défendre nos terres, notre peuple et la gemme cachée quelque part dans ce château. L'Aëstril était une légende que l'on contait aux enfants pendant les cours d'histoire, un mythe qui avait ravivé la curiosité de bon nombre de personnes au fil des années. Un artefact gorgé d'une puissante magie, dont l'allégeance allait et venait selon son possesseur, tout comme les conséquences de son utilisation. Il avait été offert en cadeau aux régents de Fort Fort Lointain parce qu'ils en avaient été estimés dignes. Des protecteurs de la gemme qui ne sauraient l'utiliser qu'en cas d'extrême urgence et pour de bonnes raisons, avec une volonté de faire le bien, d'instaurer la paix. Ils en étaient les gardiens et ils n'avaient jamais failli à leur tâche, ils n'avaient jamais cédé à la tentation. Ils avaient toujours honoré ce don qui leur avait été fait par les elfes sylvestres, ce symbole d'une alliance et d'une confiance qui dépassait tout le reste. Mais plus que ce joyau, c'était l'harmonie que je voulais continuer de voir régner autour de moi. Je refusais de voir notre contrée dévastée par la désolation et la peur à cause d'une pierre et j'étais prêt à me battre pour repousser l'ennemi. Auras-tu suffisamment d’hommes ? La voix de la princesse résonne et mes yeux glissent sur son visage plissé par l'inquiétude. Léna faisait face à des responsabilités qu'elle n'avait jamais porté jusqu'à aujourd'hui et je pouvais imaginer sa crainte, à défaut de la comprendre. Je n'étais qu'un chevalier, un bras armé, entraîné à répondre aux attaques. À servir mon roi et ma reine, à veiller sur la population pour que jamais elle ne vive dans la terreur. « Je ne sais pas, votre altesse. » Avant d'être l'héritière du royaume, elle restait mon amie d'enfance. Et je ne lui avais jamais menti. Mais je ressens une profonde détermination et je sais qu'elle sera présente l'intérieur de tous le gardes, de tous les hommes et les femmes qui protégeaient la ville. « Mais la seule chose dont je suis sûr, c'est qu'ils se battront jusqu'au dernier pour protéger Fort Fort Lointain et ses habitants. » je souffle, en me redressant de toute ma hauteur. Puis après que les deux demoiselles porteuses de magie se soient adressées à leurs destinataires, nous reprenons l'élaboration d'un plan pour repousser les Drows. Les informations de Mellyn sont précises et c'est un avantage de connaître leur point faible. Plus nous les éloignerions de l'ombre, plus nous avions de chances de sortir vainqueurs de cet affrontement.

Mais des cris retentissent et interrompent notre conciliabule, nous obligeant à nous séparer de manière brutale. J'indique un passage à la princesse et la jeune mage pour qu'elles disparaissent de ce lieu qui allait devenir un champ de bataille. Leurs silhouettes s'engouffrent derrière la tapisserie et je pivote face à la porte d'entrée de la grande salle, tirant mon épée de mon fourreau et la pointant en direction de celle-ci. L'elfe se positionne à mes côtés, son arc entre les mains et un sourire étire mes lèvres à sa remarque. Mes sourcils se fronçant néanmoins à la vision de sa capuche rabattue sur ce visage qui avait toujours eu le don d'attirer mon regard. « Est-ce que je rêve ou tu rougis ? » je souffle, amusé par cette réaction de repli plutôt inhabituelle. Mais des bruits d'armes qui s'entrechoquent résonnent plus près et je me tourne à nouveau pour me préparer à ce qui arrivait plus vite que l'on ne le pensait. Il y en a une dizaine qui arrive par l'aile Est. Avoir une créature avec une ouïe aussi perfectionnée de son côté pendant un combat était une aubaine et j'écoute les informations qui me sont livrées par la brune, réfléchissant à un angle d'attaque. Nous n'étions que deux face à plus d'une vingtaine d'assaillants et je n'allais certainement pas réussir à combattre tout le monde à la fois. Je comptais sur la présence de mes camarades pour me rejoindre aussi vite que possible. Essaie de rester en vie. Je penche la tête dans sa direction, l'observant sans ciller. Ses traits étaient dissimulés dans l'ombre de son habit mais je pouvais entrevoir l'éclat de ses yeux sombres. « Toi aussi, Mellyn. » je murmure, avec la certitude que ça parviendrait parfaitement jusqu'à ses oreilles pointues. « Si on réussit effectivement à survivre, laisse-moi t'emmener quelque part. » je rajoute, à brûle-pourpoint. Je n'avais pas la moindre idée de l'issue de cet assaut mais je ne voulais pas vivre sans regrets, si j'avais la chance d'en réchapper. Je l'entends m'assurer que mes arrières seront protégés avant de disparaître dans l'ombre. Puis la porte est secouée par une violente explosion, détruisant la moitié de sa structure et dévoilant des silhouettes vêtues d'habits noirs.

Et soudain, le monde se met à tourner rapidement. Les mouvements sont vifs et précis, mon arme claque contre le cuir, fouette l'air et s'abat sans ménagement sur nos ennemis. Des flèches fusent dans mon dos, des corps tombent lourdement sur le sol. Le sang rugit dans mes tempes et mon coeur bat sourdement dans ma poitrine. Ils sont partout et mes yeux quadrillent constamment la zone à mesure de mes actions, mes membres se mouvant pour esquiver et répondre aux multiples agressions tout autour de moi. Mon souffle est court et je roule sur le côté pour éviter la lame tranchante d'une hallebarde, m'appuyant sur les paumes de mes mains pour prendre appui et décrire un arc de cercle, balayant les jambes d'un adversaire avant d'attraper mon épée et de me redresser pour reprendre l'affrontement. Il fallait que l'on gagne du temps. Et ceux qui étaient mis hors d'état de nuire maintenant n'étaient plus une menace par la suite. J'entends la corde de l'arc de Mellyn résonner dans l'atmosphère, levant les yeux et mon corps se fige tout entier au mouvement d'air passant à quelques centimètres au-dessus de ma tête pour se ficher derrière moi, une figure massive s'écrasant par terre à mes pieds. L'elfe était redescendue de son perchoir mais se trouvait tout de même plus en hauteur, de manière à couvrir un périmètre plus large. Pourtant, savoir qu'elle était plus proche ne me rassurait pas le moins du monde, vu l'anarchie qui régnait dans la pièce.